Des manifestants palestiniens réclament la fin des traitements brutaux infligés par l’AP
HÉBRON, Territoires palestiniens occupés (Cisjordanie) – Jamal Karameh a perdu plusieurs dents lorsque des membres des forces de l’Autorité palestinienne l’ont attaqué avec des matraques à Hébron, une ville du sud de la Cisjordanie occupée, le 14 décembre.
Jamal Karameh, âgé de 50 ans, participait la semaine dernière à une marche pacifique contre l’intensification des opérations militaires israéliennes dans les villes de Cisjordanie. La manifestation devait partir du centre-ville d’Hébron et se diriger vers Bab al-Zawiya, à environ 2 km.
Karameh portait une veste de cérémonie bleu marine, une chemise blanche et une cravate rouge ; il prévoyait d’assister au mariage d’un membre de sa famille après la marche qui avait lieu à la fin de la prière du vendredi.
« Ce que l’on demande aux forces de sécurité de l’AP, c’est de protéger ces rassemblements et non de les restreindre ni d’employer la force contre ces derniers »
– Majed Arouri, journaliste
Il a déclaré à Middle East Eye que des membres des forces de sécurité palestiniennes avaient commencé à réprimer la manifestation et s’en étaient pris à lui, essayant de le pousser de force dans un véhicule civil. Lorsqu’il a tenté de résister, ils l’ont encerclé et l’ont frappé à coups de matraques sur tout le corps, y compris à la tête.
Quelques instants plus tard, son épouse Hanaa a couru en leur direction et s’est jetée sur son mari pour tenter de le protéger et de parer les coups.
Karameh, qui a passé plusieurs années dans les prisons israéliennes, a été arrêté et convoqué par les services de sécurité de l’Autorité palestinienne (AP) à plusieurs reprises. L’armée israélienne a effectué un raid nocturne à son domicile en octobre.
La fille de Karameh, Janeh, a déclaré dans une publication sur Facebook que l’attaque des forces de l’AP contre son père lui rappelait le raid israélien, lors duquel son père et sa mère avaient été arrêtés et son frère passé à tabac.
Jamal Karameh a indiqué à Middle East Eye que son fils de 12 ans était avec lui lorsque l’attaque de l’AP s’était produite.
« Ils s’en fichaient »
« Ils s’en fichaient et ils ont continué à me battre jusqu’à ce qu’un groupe de journalistes s’en aperçoive et vienne filmer l’agression. À ce moment-là, les forces de sécurité se sont arrêtées », a-t-il raconté, tout en précisant qu’il avait des contusions sur tout le corps et des coupures à la tête et qu’il avait perdu certaines de ses dents inférieures et supérieures.
Jamal Karameh n’est pas le seul à avoir été agressé lors de la dispersion de la marche par l’AP, à laquelle des dizaines de personnes ont participé à l’occasion du 31e anniversaire de la fondation du Hamas, le groupe de résistance armée basé à Gaza.
Les forces de l’AP se sont mises à agresser des femmes et des enfants qui participaient à la marche et ont empêché les journalistes de filmer et photographier, ont déclaré des témoins.
« Les forces de sécurité de l’AP se sont mises à lancer des bombes assourdissantes directement sur les gens. Ils ont ensuite commencé à attaquer les hommes, à les battre et à les arrêter »
– Sari Jaradat, journaliste
Sari Jaradat, une journaliste ayant couvert la marche, a affirmé que des dizaines de membres des forces de sécurité palestiniennes avaient été déployés dans la zone et que celle-ci avait été déclarée zone militaire fermée, alors qu’il n’y avait aucune raison de le faire.
« C’était une marche pacifique et il n’y avait pas plus de 50 participants, dont beaucoup de femmes et d’enfants.
« Ils ont marché sur une cinquantaine de mètres avant que les forces de sécurité de l’AP ne se mettent à lancer des bombes assourdissantes directement sur les gens. Ils ont ensuite commencé à attaquer les hommes, à les battre et à les arrêter. »
Sari Jaradat a expliqué que les forces de sécurité avaient encerclé les reporters et les avaient menacés pour les empêcher de s’approcher et de filmer.
Les journalistes travaillant pour des médias gouvernementaux, résolus à faire obstacle au travail des autres journalistes, se tenaient quant à eux devant leurs caméras et bouchaient la vue, a-t-elle ajouté.
Un autre journaliste local présent sur les lieux, Abdulmohsen Shalalda, a affirmé qu’alors qu’il couvrait l’agression de Karameh, deux agents des services de sécurité l’avaient traîné et frappé à coups de matraque. Ils ont ensuite essayé de le pousser dans un véhicule à proximité pour l’arrêter.
« Lorsque la situation s’est tendue et que l’agression contre Karameh s’est intensifiée, ils m’ont laissé et ils sont retournés vers lui », a déclaré Shalalda à MEE.
De nombreuses arrestations
Malek al-Jaabari, un étudiant en médias qui suit une formation dans une station de presse locale, a lui aussi été agressé, avant d’être arrêté. Jaabari a été relâché plus de deux heures plus tard.
« J’ai vu plus de vingt hommes dans le centre de détention, dont des hommes âgés, qui avaient été arrêtés lors de la répression de la manifestation. La plupart avaient été arrêtés par des hommes en civil qui les avaient emmenés au poste dans des véhicules civils », a-t-il déclaré à MEE.
Le recours excessif à la force par l’AP ne concerne pas uniquement Hébron. Dans la ville septentrionale de Naplouse, les forces de sécurité ont écrasé une marche similaire le même jour et empêché les journalistes de couvrir l’événement.
Traduction : « Les forces de sécurité palestiniennes attaquent des femmes et arrêtent des dizaines de personnes tout en empêchant les journalistes de filmer lors de la répression d’une marche du Hamas à Hébron. »
Plus tôt cette année, en juin, une marche organisée à Ramallah pour réclamer la levée des sanctions imposées par le président Mahmoud Abbas à la bande de Gaza a subi le même sort. Les forces de l’AP avaient alors empêché les manifestants d’atteindre le complexe présidentiel de l’Autorité palestinienne et le siège de l’Organisation de libération de la Palestine.
Le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) a réagi aux agissements de l’Autorité palestinienne contre les rassemblements d’Hébron et de Naplouse, publiant un communiqué dans lequel le parti politique a qualifié les agressions de « honte pour les dirigeants de l’Autorité palestinienne et ses services de sécurité ».
Le parti a appelé les services de sécurité à protéger le peuple palestinien en empêchant les attaques de l’armée israélienne et des colons au lieu de restreindre les libertés et réprimer les protestations pacifiques.
Une enquête demandée
L’Association du barreau palestinien a également condamné la réponse de l’AP. Dans une déclaration du 14 décembre, l’association a exhorté le parti politique au pouvoir, le Fatah, à enquêter sur les événements, soulignant que la liberté de réunion et d’expression est garantie par le droit fondamental et ne doit être violée en aucune circonstance.
Selon Majed Arouri, journaliste spécialisé dans les droits de l’homme et le droit, la liberté d’expression doit être protégée à tout prix, même dans les situations d’urgence.
Il a déclaré à MEE que les protestations pacifiques comme celle d’Hébron ne justifiaient pas le recours des forces de l’AP à la violence et à une force excessive.
« La répression qui a eu lieu à Hébron confirme que les forces de sécurité ont employé une force extrême, ce qui nécessite une enquête car il s’agit d’un indicateur inquiétant de la réalité de la liberté d’expression en Palestine », a soutenu le journaliste.
Le droit palestinien garantit pleinement la liberté d’expression, notamment le droit de se rassembler et de manifester pacifiquement, a-t-il poursuivi. « Ce que l’on demande aux forces de sécurité de l’AP, c’est de protéger ces rassemblements et non de les restreindre ni d’employer la force contre ces derniers. »
Les forces de sécurité ont défendu leurs agissements en précisant que les manifestations visaient à critiquer l’AP et son président, Mahmoud Abbas.
Des agissements défendus par l’AP
Dans des déclarations aux médias, le porte-parole des forces de sécurité de l’AP, Adnan Damiri, a déclaré que les matraques et les bombes assourdissantes n’étaient pas des outils violents et qu’il n’y avait donc pas de recours à la force dans la répression des manifestations.
La raison pour laquelle l’AP a réprimé la marche est que « celle-ci a été lancée par le Hamas contre l’Autorité palestinienne et non contre l’occupation », a-t-il ajouté.
« Comment pouvons-nous garder le silence lorsqu’il y a une invitation à une marche contre l’AP et les forces de sécurité ? »
– Adnan Damiri, porte-parole des forces de sécurité palestiniennes
« Comment pouvons-nous garder le silence lorsqu’il y a une invitation à une marche contre l’AP et les forces de sécurité ? », a-t-il poursuivi, ajoutant toutefois qu’il y aurait une enquête sur toutes les plaintes formulées contre les agents des services de sécurité.
Lundi, des organisations de la société civile ont rencontré le Premier ministre de l’AP Rami Hamdallah pour demander au gouvernement de respecter la liberté d’expression garantie par le droit palestinien.
D’après Arouri, Hamdallah a promis d’ouvrir une enquête sur les événements.
Interrogé par MEE, Khalil Assaf, directeur du Consortium des Palestiniens indépendants, une association populaire d’hommes d’affaires et d’universitaires, a déclaré : « Ce qui s’est passé à Naplouse et à Hébron n’a aucune justification. Le peuple a le droit d’exprimer ses pensées et ses sentiments, c’est un droit protégé par le droit palestinien et les traités internationaux. Un agent des services de sécurité doit préserver la loi et non l’enfreindre. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].