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L’aide a été utilisée pour paralyser les Palestiniens – il est temps de reprendre le contrôle

Voici quatre actions de bon sens que les Palestiniens pourraient envisager pour réagir à cette récente réduction de l’aide américaine et garantir la dignité et l’autodétermination de leur développement

En 2006, après la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes – un scrutin régulier et démocratique –, des donateurs majeurs du secteur de l’aide humanitaire internationale ont suspendu leur aide à la Cisjordanie occupée et à la bande de Gaza pour protester contre les résultats électoraux.

À cette époque, je travaillais dans une grande université palestinienne et nous recevions l’une après l’autre des lettres de donateurs nous informant que nos projets communs avaient pris fin, que notre collaboration était suspendue et que notre financement était réduit.

Le côté obscur de l’aide

Nous avons tous paniqué et avons été attristés par l’abandon des projets que nous mettions en œuvre. Nous nous sommes sentis humiliés de recevoir par fax – pas même lors d’une réunion ou d’un appel – ces nouvelles qui dictaient notre avenir. Cette expérience nous a montré le côté obscur du secteur de l’aide et à quel point laisser les autres décider de notre avenir était une mauvaise idée.

Si nous, Palestiniens, ne garantissons pas la dignité de notre développement, personne ne le fera

Cela nous a également montré que l’aide est un « cadeau » empoisonné, à la fois pour le donateur et le bénéficiaire. Toutefois, cela nous a également donné une leçon capitale : si nous, Palestiniens, ne garantissons pas la dignité de notre développement, personne ne le fera.

Cette leçon capitale n’a pas été bien comprise ou reconnue par les dirigeants politiques palestiniens et, depuis lors, l’aide internationale a continué d’être gaspillée au lieu d’être utilisée efficacement pour transformer la vie des gens. Plus tôt cette année, le président américain Donald Trump a menacé de retirer son aide à l’Autorité palestinienne (AP) puis, ce vendredi, il a annoncé l’arrêt du financement des États-Unis à l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens (l’UNRWA).

Non seulement il a coupé les aides, mais il a également transféré l’ambassade américaine à Jérusalem, reconnu cette dernière comme capitale d’Israël et attaqué l’UNRWA et l’inaliénable droit au retour des Palestiniens.

Hormis certaines déclarations enflammées et une rhétorique éclatante, les dirigeants politiques palestiniens n’ont pris aucune mesure concrète pour contrer les États-Unis et leur trumpisme

Hormis certaines déclarations enflammées et une rhétorique éclatante, les dirigeants politiques palestiniens n’ont pris aucune mesure concrète pour contrer les États-Unis et leur trumpisme. Lorsque, le 24 août, l’administration américaine a décidé de réduire de plus de 200 millions de dollars l’aide palestinienne par exemple, la réaction des dirigeants palestiniens s’est cantonnée à de virulentes mais inoffensives déclarations de condamnation, non suivies d’actions quelconques.

Voici quatre actions de bon sens que les dirigeants palestiniens pourraient envisager pour réagir à cette récente réduction de l’aide américaine.

Cesser la coordination en matière de sécurité avec Israël

Premièrement, il faut mettre un terme à toutes les relations et à la coopération avec le coordinateur américain chargé de la sécurité (USSC). Cela s’accorderait avec la décision de l’OLP, les demandes de tous les partis politiques palestiniens ainsi que du peuple palestinien, de cesser la coordination israélo-palestinienne en matière de sécurité et de changer la dynamique dans le domaine de la sécurité.

La coordination en matière de sécurité était l’une des principales raisons pour lesquelles l’USSC a été créée en premier lieu il y a plus de dix ans. L’USSC ne viole pas seulement les principes internationaux clés de la distribution de l’aide, car son intervention continue de nuire à la population bénéficiaire, mais elle agit également comme un bras complémentaire de l’occupation coloniale israélienne.

L’aide américaine n’est pas une aide pour la Palestine ou les Palestiniens ; c’est une aide pour soutenir les actions brutales de leur oppresseur (l’occupation israélienne), et c’est aussi une aide pour les entrepreneurs américains et leur personnel de sécurité

L’aide américaine fournie dans le cadre de l’intervention de l’USSC n’est pas une aide pour la Palestine ou les Palestiniens ; c’est une aide pour soutenir les actions brutales de leur oppresseur (l’occupation israélienne), et c’est aussi une aide pour les entrepreneurs américains et leur personnel de sécurité.

En outre, l’intervention de l’USSC a non seulement pour but de protéger la sécurité de l’oppresseur, mais a également intensifié la répression de la population opprimée (les Palestiniens) en rendant les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne plus autoritaires, sous prétexte d’assurer la stabilité et l’ordre.

Le préjudice causé par la mission de sécurité américaine est manifeste, et il est temps de tenir l’USSC responsable et de rejeter son intervention.

Une intervention néfaste

Deuxièmement, il faut mettre fin aux projets et aux opérations de l’USAID. La pénétration de l’agence américaine d’aide au développement dans la société palestinienne a été profonde et néfaste dès son lancement. Les conditions imposées aux Palestiniens et le type d’intervention poursuivi par l’USAID entraînent non seulement une dépendance préjudiciable vis-à-vis de l’aide et un maintien du statu quo nuisible, mais ont également déformé la structure de la société civile palestinienne, ses valeurs et les fondements du contrat social entre les gouvernés et le gouvernant. 

Les conditions imposées aux Palestiniens et le type d’intervention poursuivi par l’USAID entraînent non seulement une dépendance préjudiciable vis-à-vis de l’aide et un maintien du statu quo nuisible, mais ont également déformé la structure de la société civile palestinienne

Pour inverser ces tendances, il est temps d’empêcher l’USAID de causer d’autres dommages. Son intervention future sera encore plus dangereuse car elle mettra en œuvre la vision politique de l’administration américaine, qui ne présage rien de bon dans la quête du développement positif, de la prospérité ou de la paix.

Il est temps d’empêcher l’USAID d’agir comme si de rien n’était, mais aussi de tenir l’agence américaine responsable si la dignité du peuple palestinien est inquiétée. S’il n’est pas possible de s’attaquer aux dommages historiques causés par l’organisme, nous avons désormais une occasion en or de prévenir tout dommage à venir et un moyen efficace d’y parvenir consiste à mettre fin aux projets et aux opérations de l’USAID.

Des objectifs de bon sens

Troisièmement, il faut rompre les liens avec l’ambassade des États-Unis à Jérusalem et ses représentants, son soutien, ses projets et son personnel. Il n’est pas judicieux de continuer de renforcer les liens et d’accueillir à bras ouverts une entité qui déclare clairement et sans ménagement la guerre contre nous-mêmes, notre peuple et nos droits fondamentaux.

Des employés de l'UNRWA et leurs familles protestent contre les suppressions d’emplois annoncées par l’agence devant ses bureaux à Gaza, le 31 juillet 2018 (AFP)

Même les principes de base de la diplomatie n’excusent pas un tel comportement. Repousser et résister, c’est la réaction naturelle. Alors que l’ambassade des États-Unis à Jérusalem continue de célébrer la bourse scolaire qu’elle offre aux jeunes Palestiniens brillants, elle agit sans aucun doute comme l’ombre et le bras du gouvernement américain dans les territoires palestiniens occupés pour mettre en œuvre ses politiques, ses stratégies et ses visions politiques.

Le simple fait d’ignorer les agissements de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, option choisie par les dirigeants politiques palestiniens, n’est ni suffisant ni efficace pour modifier la dynamique du pouvoir.

À LIRE ► L'attaque de Trump contre l'UNRWA est une attaque contre les réfugiés palestiniens

Quatrièmement – et enfin –, il faut réduire (de 200 millions de dollars) la facture gonflée du secteur de la sécurité de l’Autorité palestinienne.

Étant donné que la sécurité demeure un secteur de dépense majeur pour l’Autorité palestinienne, avalant environ 30 % du budget mais n’offrant que très peu de sécurité et de protection au peuple palestinien, cette décision récente de l’administration Trump offre aux planificateurs et aux responsables politiques palestiniens une occasion de réévaluer leurs priorités et de s’éloigner d’un paradigme qui leur était imposé afin qu’ils servent dans les faits de sous-traitants de l’occupation israélienne.

En effectuant une coupe de 200 millions de dollars dans ce secteur et en offrant au peuple palestinien une répartition et des preuves de cette coupe budgétaire, un message clair serait envoyé à l’administration américaine et aux acteurs clés de l’industrie de l’aide : il est temps de changer de cap pour garantir la dignité, l’autodétermination et l’appropriation locale de la fourniture d’aide au développement par les Palestiniens.

Certes, ces quatre objectifs sont de nature politique et auront des conséquences pour les dirigeants politiques palestiniens actuels et futurs, tout comme ils seront source de souffrances à court terme.

Mais d’un autre côté, il s’agit d’actions de bon sens que de nombreux Palestiniens espèrent peut-être. Je souhaite juste que le sens commun soit plus courant en Palestine et au-delà.

- Alaa Tartir est conseiller de programme auprès d’Al-Shabaka: The Palestinian Policy Network et chargé de recherche invité au Centre on Conflict, Development and Peacebuilding (CCDP) de l’Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID), situé à Genève (Suisse). Vous pouvez le suivre sur Twitter : @alaatartir.Vous pouvez consulter ses publications sur le site www.alaatartir.com.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un Palestinien se tient devant l’emblème de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), devant les bureaux de l’agence à Gaza, le 31 juillet 2018 (AFP).

Traduit et (mis à jour) de l’anglais (original).

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