L’État islamique se regroupe dans le nord de l’Irak et réactive ses cellules féminines
Les membres du groupe État islamique (EI) se sont regroupés dans le nord de l’Irak et sont devenus fortement dépendants des femmes pour leur assurer un soutien logistique dans le bassin du Hamrin, ont déclaré des gradés irakiens à Middle East Eye.
À la suite de la défaite territoriale du groupe en Irak en 2017, ses combattants ont été pour la plupart contraints de se limiter à un triangle de terres situées entre les gouvernorats de Salah al-Din, Diyala et Kirkouk, et qui inclut les monts Hamrin.
Le bassin du Hamrin, ainsi qu’est appelée la région, est une zone accidentée et impénétrable. C’est l’un des refuges les plus vastes et les plus dangereux où se sont concentrés pendant des décennies les groupes armés radicaux sunnites et kurdes, et où les combattants de l’EI se replient chaque fois que la sécurité devient trop stricte dans d’autres régions.
La zone est prise en étau entre les juridictions des forces de sécurité fédérales irakiennes et celles du Gouvernement régional du Kurdistan (KRG), les peshmergas.
Une augmentation marquée de l’activité de l’EI au nord de Bagdad a été enregistrée par les responsables de l’armée irakienne sur le terrain au cours du mois dernier. Le groupe a revendiqué la responsabilité de trois attaques majeures ces dernières semaines, dont un double attentat suicide sur un marché de Bagdad qui a fait 32 morts le 21 janvier.
Depuis cette attaque, onze combattants du groupe paramilitaire des Hachd al-Chaabi ont été tués à al-Eith, à l’est de Salah al-Din, et cinq autres à Naft Khana, à l’est de Diyala, ont indiqué des responsables de l’armée à MEE.
« Nous avons enregistré une augmentation remarquable des activités de l’organisation dans ces zones au cours du mois dernier par rapport aux mois précédents. L’EI a mené trois grandes opérations et c’est quelque chose qui ne peut être négligé ou ignoré », a déclaré un haut commandant militaire sous couvert d’anonymat.
« Ils représentent toujours une menace réelle, mais leurs attaques actuelles visent uniquement à prouver leur existence, car l’organisation n’est plus en mesure de contrôler un territoire. »
En retour, les forces internationales et irakiennes ont intensifié leurs efforts contre le groupe. Des dizaines de combattants de l’EI ont ainsi été arrêtés ou tués dans et autour du bassin du Hamrin au cours des trois dernières semaines.
Abu Yasser al-Issawi, « vice-calife » de l’EI, faisait partie des personnes tuées fin janvier lors d’une frappe aérienne.
« L’EI représente toujours une menace réelle, mais ses attaques actuelles visent uniquement à prouver son existence, car l’organisation n’est plus en mesure de contrôler un territoire »
- Haut responsable de l’armée
Selon des gradés de l’armée contactés par MEE, Issawi et neuf autres dirigeants de l’EI ont été tués dans la vallée de Qouri al-Shay, au sud de Kirkouk.
La vallée est « l’une des routes d’approvisionnement les plus importantes » de l’EI dans le nord de l’Irak, reliant les gouvernorats de Kirkouk et Diyala et traversant la chaîne de montagnes de Hamrin, expliquent les commandants.
Ces montagnes, d’environ 25-30 km de long et 7-8 km de profondeur, s’étendent entre les gouvernorats de Salah al-Din et Souleimaniye à l’est et à l’ouest, Kirkouk au nord et Diyala au sud.
« Ces zones sont très accidentées, inhabitées et difficiles à contrôler, et c’est ce que les détachements de l’EI exploitent pour acheminer le ravitaillement ou le transférer entre Kirkouk et Diyala », précise à MEE le général Rafi Saeed, commandant de la 3e brigade des Forces d’intervention rapide déployées dans la région.
« Nous avons identifié cette vulnérabilité. Nous avons effectué plusieurs opérations dans la zone, mais elles ne durent qu’un jour ou deux et se terminent. Nous n’avons pas reçu l’ordre de prendre le contrôle de cette vallée malgré la disponibilité des armements et des effectifs des forces armées irakiennes. »
Réactivation des cellules féminines dormantes
Les réseaux et capacités du groupe État islamique ne constituent plus que l’ombre de ce qu’ils étaient autrefois, à l’époque où le groupe contrôlait un tiers de la Syrie et de l’Irak.
Mais alors qu’il cherche à se renforcer, l’EI semble se rabattre sur une tactique dont le groupe et son précurseur, al-Qaïda, ont autrefois fortement dépendu : le recrutement de femmes.
Les groupes armés utilisent depuis longtemps les femmes pour mener des attentats suicides et effectuer des opérations logistiques. Les femmes passent souvent les contrôle des forces de sécurité sans être inspectées en raison de sensibilités religieuses.
Les commandants militaires irakiens sur le terrain expliquent à MEE que l’EI a réactivé ses cellules féminines dormantes. Les Forces de réaction rapide déployées dans le bassin du Hamrin ont arrêté cinq femmes au début de la semaine dernière, après que certains détenus ont avoué et révélé où elles se trouvaient.
« Les femmes transportaient de l’argent, des messages et de la nourriture vers et depuis les cachettes de l’organisation et les familles de combattants », a indiqué mercredi dernier à MEE le lieutenant-colonel Tariq al-Ghazali, commandant des Forces de réaction rapide.
« Nous avons arrêté les cinq femmes il y a deux jours, en coordination avec le service de lutte contre la criminalité de la ville de Sulaiman Bek, où elles vivent, et elles ont avoué. »
Les commandants militaires de la zone supervisant les efforts anti-EI ont indiqué à MEE que les cinq femmes détenues, et toutes les autres femmes précédemment arrêtées, étaient des proches de combattants de l’EI et que le groupe n’était pas encore parvenu à recruter de nouveaux visages.
« Ce sont toutes des femmes au foyer et des parentes de membres de l’EI, il est donc facile de les attirer et de les recruter », détaille Ghazali.
« L’EI dépend à nouveau fortement des femmes en raison des restrictions massives imposées par les renseignements à ses membres, dont la majorité ont vu leur identité révélée. L’organisation parie sur le statut sensible des femmes dans la société irakienne pour faire passer ce qu’elle veut. »
Tensions entre Bagdad et Erbil
Dans le passé, la plupart des attaques menées par l’EI ont eu lieu dans des régions désertiques autour de l’ouest d’Anbar et du nord de Ninive, outre des zones disputées entre les régions administrées par Bagdad et le KRG.
Des commandants militaires ont déclaré à MEE que la plupart de ces attaques coïncidaient généralement avec une escalade des tensions entre Bagdad et Erbil.
« Depuis des années, l’EI exploite les tensions entre les gouvernements fédéral et régional pour augmenter le rythme de ses opérations »
- Haut responsable de l’armée
Or, ces tensions ont récemment atteint de nouveaux sommets. Bagdad refuse en effet de payer les salaires des employés de la fonction publique du Kurdistan (plus de 700 000 personnes), tant que le KRG ne lui verse pas l’argent collecté grâce à la vente de pétrole extrait dans la région.
« Depuis des années, l’EI exploite les tensions entre les gouvernements fédéral et régional pour augmenter le rythme de ses opérations, car la plupart de ses ressources sont situées dans des zones considérées comme non sécurisées : des endroits tenus par les forces fédérales d’une part et les peshmergas de l’autre », explique à MEE un haut gradé de l’armée.
« L’escalade entre les deux parties donne toujours, intentionnellement ou non, l’occasion à ces groupes de mener à bien leurs opérations, et c’est exactement ce qui s’est passé avant 2014, au moment de la montée en puissance de l’EI et de sa conquête de la plupart des villes et villages de la région », ajoute-t-il.
« Ce problème ne cessera que lorsque le différend entre Bagdad et Erbil prendra fin une fois pour toutes. »
Traduit de l’anglais (original).
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