Israël-Turquie : l’appel passé par Erdoğan à Herzog est une nouvelle tentative de rétablissement des relations
Mardi, un événement s’est produit pour la première fois depuis qu’Israël a provoqué un tollé en réglementant l’accès à la mosquée al-Aqsa de Jérusalem en 2017 : les présidents turc et israélien se sont entretenus au téléphone.
Recep Tayyip Erdoğan a appelé Isaac Herzog afin de le féliciter pour sa prise de fonction.
« Les présidents ont souligné au cours de la conversation que les relations israélo-turques étaient d’une grande importance pour la sécurité et la stabilité au Moyen-Orient et qu’il existait un fort potentiel de coopération entre les deux pays dans de nombreux domaines, notamment dans les secteurs de l’énergie, du tourisme et de la technologie », indique le compte rendu officiel israélien.
« Les présidents attachent une grande importance à la poursuite des contacts et d’un dialogue permanent malgré les désaccords, afin de promouvoir des mesures positives pour résoudre le conflit israélo-palestinien qui contribueront également à l’amélioration des relations israélo-turques. »
Le compte rendu turc de l’appel est presque identique.
« Ils étaient coordonnés », indique un responsable israélien à Middle East Eye.
Si, sur le papier, les deux pays entretiennent des relations diplomatiques normales depuis 2016, aucun des deux n’accueille l’ambassadeur de l’autre en raison de différends réguliers portant sur l’attitude israélienne vis-à-vis des Palestiniens et des lieux saints de Jérusalem.
Pourtant, l’ouverture entreprise cette semaine par Erdoğan n’est pas uniquement le résultat de l’élection d’Isaac Herzog. Selon des responsables turcs interrogés par MEE et s’exprimant sous couvert d’anonymat, cette manœuvre était préparée depuis l’an dernier, lorsqu’Ankara prévoyait l’éviction possible de Benyamin Netanyahou de son poste de Premier ministre lors des élections.
Depuis l’an dernier, la Turquie et Israël mènent des discussions pour rétablir leurs relations dégradées par l’intermédiaire de leurs services de renseignement.
Ces dernières années, Netanyahou et Erdoğan ont donné un caractère personnel aux tensions entre leurs pays, choisissant d’exacerber leur inimitié et de l’utiliser dans leurs propres campagnes électorales nationales. Le remplacement de Netanyahou par Naftali Bennett le mois dernier a été une occasion pour Ankara de tourner la page.
« Nous cherchions une occasion de tendre la main », précise un responsable turc. « Nous avons décidé de tenter le coup après le départ de Netanyahou. »
Une occasion de repartir à zéro
Ankara a plusieurs raisons de vouloir rétablir les liens avec Israël. La première d’entre elles est la possibilité de briser le bloc antiturc qui s’est développé dans la région, notamment en Méditerranée orientale.
La Turquie a également entamé récemment des discussions diplomatiques avec l’Égypte en vue d’un rapprochement.
Israël, Chypre, la Grèce et l’Égypte prévoient d’acheminer le gaz israélien vers l’Europe par le biais d’un gazoduc et de porter ainsi atteinte aux intérêts turcs en proclamant leur propre zone économique exclusive et en réduisant le territoire maritime de la Turquie à une étendue minuscule.
En 2016, Ankara s’est renseigné sur les moyens d’obtenir l’adhésion du gouvernement israélien à un projet rival qui acheminerait le gaz par des gazoducs turcs, mais les différends autour de la question palestinienne et de la tentative de coup d’État de juillet 2016 en Turquie ont tué le projet dans l’œuf.
« Erdoğan pense que l’adoption d’une approche plus conciliante et plus diplomatique des questions en Méditerranée orientale, en particulier un changement de la teneur des relations avec des acteurs comme Israël et l’Égypte, pourrait améliorer sa position à Washington », indique Gabriel Mitchell, responsable des relations extérieures au sein de l’Institut israélien pour les politiques étrangères régionales (Mitvim).
« Erdoğan pense que l’adoption d’une approche plus conciliante et plus diplomatique des questions en Méditerranée orientale pourrait améliorer sa position à Washington »
– Gabriel Mitchell, analyste
« L’escalade des tensions entre Israël et le Hamas en mai 2021 a perturbé les agissements de la Turquie, mais les motivations qui la poussent à normaliser les liens diplomatiques – en particulier dans le cadre d’un effort plus large déployé par la Turquie pour démontrer sa bonne volonté à l’administration Biden – n’ont pas disparu. »
Plus tôt cette année, la Turquie a invité à la surprise générale le ministre israélien de l’Énergie à s’exprimer à l’occasion d’une conférence diplomatique internationale organisée à Antalya. Ankara a ensuite retiré l’invitation à la suite de la guerre israélienne contre Gaza en mai.
En rétablissant les liens avec Israël, les responsables turcs espèrent également obtenir une meilleure position à Washington, plus précisément au Congrès. Les législateurs américains proposent souvent des projets de loi prévoyant des sanctions contre la Turquie afin de punir Ankara pour ses politiques intérieures et régionales qui contredisent les positions américaines en Syrie, en Libye et ailleurs.
Les responsables turcs estiment que les lobbyistes de Netanyahou sont à l’origine ou ont permis l’adoption de plusieurs textes de loi antiturcs.
Selon le responsable israélien, malgré le caractère positif de l’échange téléphonique, son camp reste prudent quant à son issue. En 2019 par exemple, Erdoğan avait adressé une lettre de condoléances au président de l’époque Reuven Rivlin et à tout le peuple israélien après le décès de son épouse Nechama. Or, rien n’a changé par la suite sur le plan diplomatique.
« Il est important de garder ce canal ouvert et de l’utiliser. Mais pour la suite, nous devons attendre et voir », explique le responsable israélien.
Le scepticisme l’emporte
Sous Netanyahou, les responsables israéliens ont fait pression pour obtenir des concessions de la part d’Ankara au sujet des dirigeants du Hamas résidant en Turquie, parfois par le biais des médias. En réponse, les responsables turcs soulignent que les dirigeants du Hamas ont été envoyés en Turquie par Israël dans le cadre de l’accord Shalit et insistent sur le fait qu’Ankara ne fournit aucun soutien matériel au mouvement palestinien. Il n’est pas certain que la tactique d’Israël change avec le nouveau gouvernement.
Selon l’expert établi en Israël Gabriel Mitchell, il existe un scepticisme général dans le pays quant à la sincérité de la Turquie, en raison des accès de colère publics répétés d’Ankara contre Israël depuis qu’Erdoğan a quitté brutalement un événement du Forum économique mondial en 2009.
De même, ajoute-t-il, les Israéliens se méfient de la rapidité avec laquelle la Turquie est revenue sur ses gestes de normalisation lorsque les violences et les tensions ont éclaté en Israël et en Palestine en mai.
« Le fait qu’Erdoğan ait passé cet appel témoigne d’un niveau d’engagement que certains ont eu plus de facilité à remettre en question ces derniers mois », explique Gabriel Mitchell.
« Même si les deux camps relancent leurs liens diplomatiques, Israël ne va pas sacrifier ses relations sérieuses avec d’autres acteurs régionaux comme l’Égypte, la Grèce, Chypre et les Émirats arabes unis ; une forte dose de réalisme est donc de mise. »
Malgré sa volonté de prendre un nouveau départ avec le gouvernement de Naftali Bennett, composé de nombreuses personnalités de droite qui détestent Erdoğan, Ankara n’a pas encore envoyé de message de félicitations à la coalition, selon le responsable israélien.
Gabriel Mitchell estime que le nouveau gouvernement a également de bonnes raisons de normaliser ses relations avec Ankara.
« En raison du sentiment anti-Netanyahou au sein du nouveau gouvernement, celui-ci cherchera à inverser un grand nombre de ses politiques et nous voyons de multiples exemples de cette approche dans le domaine de la politique étrangère », indique-t-il.
« Même pendant l’ère Netanyahou, Israël s’est donné beaucoup de mal pour garder une porte ouverte en vue d’une normalisation [avec la Turquie], donc cela continuera probablement dans l’ère post-Netanyahou. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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