Dépréciation de la livre libanaise : chute libre d’une monnaie esclave
17 octobre 2019. La population libanaise descend dans la rue en réaction à un trop-plein de taxes dans ce pays en détérioration économique exponentielle. Rapidement, l’accès aux dépôts bancaires de billets verts est bloqué, paralysant toute activité, notamment avec l’extérieur, le Liban important près de 80 % de sa consommation locale.
Cette fin d’année signait l’aube d’une récession exceptionnelle qui, malgré des signes avant-coureurs, était inévitable. Pour l’endiguer, le gouvernement actuel dirigé par Hassan Diab a présenté, le 30 avril dernier, son plan de sauvetage, évoquant un nouveau taux de change et retournant même son ultime carte : implorer l’aide du Fonds monétaire international (FMI).
Une descente hors de contrôle
Fixée en 1997 par la Banque centrale, la parité officielle d’échange est de 1 507, 50 livres libanaises pour 1 dollar. Cette libre mise en circulation du dollar sur le marché libanais avait pour objectif, après la guerre civile (1975-1990), de faciliter les échanges avec l’étranger et d’attirer les déposants avec des taux d’intérêt presque invraisemblables.
« Nous assistons à une lirafication du marché qui passe par la dévaluation de la livre. Cette transition doit se faire progressivement : on ne se défait pas facilement de trois décennies d’un système à deux monnaies »
- Waël Attallah, coadministrateur de finance4lebanon
Depuis, c’est un véritable schéma de Ponzi – une machination financière à des fins économiques de rente – qui structure le marché financier libanais. Avec une très faible production comparée à son potentiel, le Liban laisse alors sa propre monnaie dépendre des spéculations : un statu quo en apparence attirant, en réalité fragile.
L’économie libanaise est régie par sa proportion de dollars reçus. Les fonds obtenus de l’étranger – principalement de la diaspora et des aides internationales – couvraient alors une productivité locale quasi nulle illustrée par un taux de croissance alarmant et par une dette publique désormais à 170 % du PIB.
Une spirale sécessionniste aggravée par une perte de confiance totale envers le système bancaire, impulsant le retrait en masse des dépôts à la veille de la crise et le gel des fonds promis par la conférence internationale des donateurs CEDRE.
Une situation aux lourdes conséquences socio-économiques : plus de la moitié de la population tombe aujourd’hui sous le seuil de pauvreté.
Traduction : « La dollarisation a été un gouffre pour notre économie pendant des années. La lirafication des dollars restants, à un taux flottant, la détruira complétement. Ceci est le résultat d’une santé économique forgée superficiellement qui se retourne contre nous sous la forme d’une monnaie que nous n’avons jamais demandée. »
Ce manque de dollars a mené à l’explosion de sa demande ; citoyens et entreprises en dépendant d’une façon ou d’une autre.
Ne pouvant accéder à leurs dollars, nombreux s’en remettent au « marché noir » régi par les institutions de change, lorsque d’autres échangent leur dollars en liquide pour en obtenir une somme très avantageuse en livres libanaises : la parité du dollar – après avoir atteint les 2 000 livres en novembre 2019 – passait le cap des 4 000 fin avril dernier.
Traduction : « Un revenu de 4 000 000 livres libanaises représente aujourd’hui moins de 1 000 dollars après les taxes. Il y a cinq mois encore, c’était un très bon salaire. Cela force à réfléchir. »
Quelle responsabilité pour ces pots cassés ?
Au pied du mur, les dirigeants politiques et financiers se doivent d’expliquer ce bilan pour constituer le plan de relance futur. En particulier s’ils espèrent contenir la colère des Libanais qui, malgré l’épidémie de COVID-19, réinvestissent les rues.
Les chefs du gouvernement et de la Banque centrale, Hassan Diab et Riad Salamé, s’attribuent l’un l’autre le désastre actuel.
Le premier déplore la « machination à haut risque financier » mise en place par la Banque du Liban durant toutes ces années, alors que le second pointe la complaisance des gouvernements successifs et, dans un climat de crise sanitaire, accuse les changeurs de manipuler le cours de la livre.
Depuis octobre dernier, l’unique solution proposée aux Libanais pour toucher leurs dollars était de les convertir en monnaie locale au taux en vigueur, soit 1 507, 50 livres. Dans l’attente d’une réévaluation juste de ce taux – vraisemblablement autour des 3 000 –, la Banque centrale a imposé aux changeurs de plafonner leur dollar à 3 200 livres.
« Nous assistons à une lirafication du marché qui passe par la dévaluation de la livre. Cette transition doit se faire progressivement : on ne se défait pas facilement de trois décennies d’un système à deux monnaies », prévient l’ingénieur et coadministrateur du blog d’analyse financière finance4lebanon, Waël Attallah, interrogé par Middle East Eye.
La seule solution viable dans l’immédiat demeure l’apport de nouveaux dollars sur le marché pour redémarrer un nouveau cycle économique misant sur la capacité locale et contrôlant les billets libanais en circulation dont l’excès impliquerait une hyperinflation.
D’ici la restauration de la confiance, la poursuite de fonds évaporés et le développement d’un localisme durable, Hassan Diab, dans l’attente également d’un déblocage des 11 milliards de dollars prévus par CEDRE – que seules des réformes activeront – doit trouver d’autres solutions. Des demandes d’aides qui limiteront indéniablement la liberté du Liban à disposer de lui-même.
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