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Liban : derrière la contestation socio-économique, un bras de fer américano-russe

Les milliers de Libanais qui manifestent depuis le 17 octobre pour exiger une vie plus décente se trouvent au cœur de conflits d’intérêts régionaux et internationaux qui semblent les dépasser
Un manifestant masqué tenant un drapeau libanais passe devant une barricade en feu pendant des manifestations anti-gouvernementales à Beyrouth cet automne (Reuters)

La contestation qui se poursuit au Liban depuis le 17 octobre se veut indépendante et exclusivement centrée sur des revendications politiques, économiques et sociales d’intérêt national. Bien que ce mouvement reste sans véritable chef, ceux qui affirment parler en son nom minimisent l’impact des enjeux géopolitiques régionaux et internationaux sur les événements qui secouent le pays et se défendent de servir des intérêts étrangers.

Lorsque le secrétaire d’État Mike Pompeo a estimé, dans un tweet, que la révolte au Liban et en Irak était dirigée contre l’influence iranienne, ses propos ont été critiqués, y compris par les alliés des États-Unis.

Même si la révolte est spontanée et exprime le ras-le-bol d’une majorité de Libanais excédés par la corruption de la classe politique et par les difficultés économiques croissantes, les pays influents ont d’autres objectifs que ceux réclamés par les contestataires. La levée de boucliers contre la prise de position du chef de la diplomatie américaine ne suffit pas pour nier les ingérences des puissances étrangères dans les affaires libanaises.

Une arène et une caisse de résonnance

À leurs corps défendant, les Libanais constatent que leur pays est parfois une arène où des puissances régionales et internationales viennent régler leurs comptes, ou une caisse de résonnance pour des conflits qui les dépassent, comme le bras de fer entre les États-Unis et l’Iran, qui se déroule à l’échelle du Moyen-Orient.

Le 19 novembre, l’ancien secrétaire d’État adjoint et ex-secrétaire général adjoint des Nations unies pour les affaires politiques, Jeffrey Feltman, a affirmé que le Liban était devenu une scène « pour une compétition stratégique globale ».

« Le résultat de ces manifestations pourrait affecter les intérêts américains positivement ou négativement. D’autres rempliront le vide si nous cédons du terrain »

- Jeffrey Feltman, ancien secrétaire d’État adjoint

« Le résultat de ces manifestations pourrait affecter les intérêts américains positivement ou négativement », a-t-il ajouté, avant d’avertir : « d’autres rempliront le vide si nous cédons du terrain ».

Pour cet ancien ambassadeur au Liban, qui s’exprimait devant la sous-commission pour les affaires du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et du terrorisme international à la Chambre des représentants, ces « autres » sont la Russie et, dans une moindre mesure, la Chine, qui maintient un contingent de 400 militaires dans le cadre de la Force intérimaire des Nations unies au Liban-Sud (FINUL). « La Russie regarde le Liban comme une scène pour continuer l’expansion agressive de son rôle régional et méditerranéen », a-t-il souligné.   

 La veille, la porte-parole du département d’État avait sévèrement attaqué la Russie, l’accusant de vouloir « mettre en doute les revendications » du mouvement de contestation au Liban avec des « paroles creuses ». Dans une vidéo de près de trois minutes mise en ligne sur Twitter, Morgan Ortagus assurait que les États-Unis se tenaient « aux côtés du peuple libanais ».

Émissaires libanais à Moscou

Cette attaque en règle contre la Russie est d’autant plus surprenante que Moscou s’est abstenu de commenter les événements qui secouent le Liban depuis six semaines. La seule allusion à la crise libanaise est venue du ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en réponse à une question pendant une session de travail « Master class » au 2e Forum de Paris sur la paix, le 12 novembre.

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« Au Liban, nous soutenons les efforts de Saad Hariri visant la formation du nouveau gouvernement. Mais, si je comprends bien, l’idée de Saad Hariri et d’un certain nombre de ses camarades est de former un gouvernement de technocrates n’ayant aucune formation politique. Je doute que cela soit possible dans le contexte libanais », a dit le chef de la diplomatie russe.

Certes, le commentaire est laconique, mais il illustre parfaitement les divergences avec les États-Unis. En effet, Washington soutient la formation d’un gouvernement de technocrates d’où serait exclu le Hezbollah, considéré par les Américains comme une organisation terroriste. Pour Moscou, cette formation chiite fait partie intégrante du paysage politique libanais et son isolement est inacceptable.

L’ambassadeur de Russie à Beyrouth, Alexander Zasypkin, avait d’ailleurs mis en garde, dès août 2017, dans une interview accordée à Magazine Le Mensuel, contre les risques de déstabilisation du Liban au cas où Washington renforcerait les sanctions contre le Hezbollah.

Les faits lui ont donné raison. La crise financière sans précédent à laquelle est confronté le pays, avec une pénurie de dollars et des restrictions drastiques imposées par les banques pour tout retrait de devises fortes (entre 300 et 1 000 dollars par semaine seulement), est le résultat direct de ces sanctions.

« La résistance de l’Iran et de ses alliés face aux pressions américaines renforce l’influence et le rôle de la Russie au Levant et au Moyen-Orient »

- Ali Nassar, chercheur

Le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, a révélé lors d’une conférence de presse que la fuite des capitaux du Liban avait commencé début septembre, après les sanctions imposées par le Trésor américain à la banque libanaise Jammal Trust bank, au prétexte qu’elle avait ouvert un compte à un député du Hezbollah.

Mis à l’index du circuit financier international, l’établissement a été liquidé. L’affaire a provoqué la panique des gros déposants qui ont commencé à vider leurs comptes pour les transférer à l’étranger.

Si les responsables russes s’expriment peu sur le Liban, il n’en reste pas moins que les va-et-vient d’émissaires libanais à Moscou se multiplient. La capitale russe a accueilli, ces deux dernières semaines, un représentant du président de la République Michel Aoun, l’ancien député Amal Abou Zeid, et Georges Chaabane, le conseiller pour les questions russes du Premier ministre démissionnaire Saad Hariri.

« Grève générale en raison de notre incapacité à acheter des dollars américains », peut-on lire dans une station-service de Beyrouth le 28 novembre (Reuters)
« Grève générale en raison de notre incapacité à acheter des dollars américains », peut-on lire dans une station-service de Beyrouth le 28 novembre (Reuters)

Une preuve que l’avis des autorités russes sur les événements qui se déroulent en ce moment compte pour les différents acteurs libanais.

La Russie « partie prenante » dans tous les dossiers

Ali Nassar, chercheur et directeur du site d’information Al-Houkoul, affirme que « la Russie est partie prenante de tous les dossiers régionaux », surtout depuis qu’elle s’est engagée en 2015 en Syrie, où elle dispose de plusieurs bases navales et aériennes.

« Le pétrole et le gaz et la présence militaire américaine au Liban dans les bases de Rayak [Békaa] et de Hamat [Liban-Nord] sont autant de sujets qui intéressent la Russie », affirme-t-il à Middle East Eye.

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La prochaine entrée du Liban dans le club des pays producteurs et exportateurs d’hydrocarbures est un enjeu de taille. Le Russe Novatek a été retenu aux côtés du Français Total et de l’Italien ENI pour forer les premiers puits, à partir de décembre.

Selon le chercheur, « la résistance de l’Iran et de ses alliés face aux pressions américaines renforce l’influence et le rôle de la Russie au Levant et au Moyen-Orient ».

Aussi, Moscou n’a-t-il aucun intérêt à voir les États-Unis marquer des points dans la confrontation avec Téhéran.  

L’ultime objectif de la Russie, comme l’affirment ses dirigeants, est l’instauration de relations internationales soustraites à l’hégémonie exclusive de Washington. « Le Liban se trouve sur la ligne de démarcation où se décident ces nouveaux rapport de force. Il est au cœur de la transition vers un monde multipolaire », soutient Ali Nassar.      

Même s’ils n’en sont pas conscients, les milliers de Libanais qui manifestent depuis le 17 octobre pour exiger une vie plus décente se trouvent au cœur d’un bras de fer dont les implications régionales et internationales semblent les dépasser.

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