Explosions à Beyrouth : les répercussions sur l’économie libanaise
L’énorme explosion sur le port de Beyrouth est un coup dur à un pays déjà aux prises avec une crise politique et financière, une devise dévaluée et la pandémie de COVID-19. Le préjudice économique de l’explosion est estimé à plusieurs milliards de dollars.
« Il est difficile d’imaginer le coût financier de ce désastre, on parle de plusieurs milliards. Le port est totalement détruit et une grande partie de la ville est endommagée. Qui paiera pour la reconstruction de Beyrouth ? », demande Laury Haytayan, un spécialiste basé à Beyrouth au National Resource Institute.
Le port de Beyrouth, épicentre de l’explosion, est le principal hub logistique du pays et son plus profond port maritime.
« Ce désastre aura un impact dramatique sur la sécurité alimentaire. Le prix du pain était déjà élevé, la flambée des prix alimentaires va se poursuivre et 50 % des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté. Ce sont les conditions parfaites pour un désastre sur les prochains mois »
- Martin Keulertz, Université américaine de Beyrouth
« C’était le cœur du pays vu qu’il fournissait environ 80 % des biens importés, ce qui maintenait l’économie en mouvement », estime Sami Halabi, cofondateur de Triangle Consulting à Beyrouth.
La fermeture du port menace la sécurité alimentaire du pays, qui dépend des importations pour 65 % à 80 % de ses besoins alimentaires, selon un rapport de Triangle Consulting. Environ 15 000 tonnes de blé étaient stockées dans les silos du port.
« Ce désastre aura un impact dramatique sur la sécurité alimentaire. Le prix du pain était déjà élevé, la flambée des prix alimentaires va se poursuivre et 50 % des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté. Ce sont les conditions parfaites pour un désastre sur les prochains mois », estime Martin Keulertz, professeur adjoint du programme de sécurité alimentaire de l’Université américaine de Beyrouth (AUB).
Le second port du pays, Tripoli, à 80 kilomètres au nord de la capitale, est bien plus petit que celui de Beyrouth et aura du mal à gérer le fret supplémentaire.
« Tripoli n’est vraiment pas taillé pour gérer la quantité nécessaire de denrées alimentaires importées. L’urgence absolue est d’importer et le gouvernement ne dispose pas des devises étrangères pour ce faire », affirme Halabi.
« Un désastre total »
Ce désastre est le troisième choc qui frappe le pays après les manifestations apparues en octobre 2019 et l’impact économique de la pandémie de coronavirus.
Bien que les banques aient imposé des contrôles informels sur le capital pour limiter les retraits de liquidités, plus de 25 milliards de dollars sont sortis du pays au cours de l’année passée, tandis que la livre libanaise a perdu environ 80 % de sa valeur face au dollar. La dette publique a également grimpé en flèche à 92 milliards de dollars, soit plus de 170 % du PIB.
Avec l’assèchement des devises étrangères, les importateurs ont du mal à payer les marchandises, ce qui se reflète par une chute des importations de 50 % cette année, selon les données des douanes libanaises.
L’impact de l’explosion du port sur l’économie pourrait provoquer une chute supplémentaire de la livre (laquelle s’est déjà effondrée de 1 507 livres libanaises le dollar à plus de 8 000 livres), ce qui augmenterait d’autant plus le coût des importations.
« Lorsque les marchés ouvriront, la livre sera impactée, mais reste à voir dans quelle mesure. Quelle que soit la demande locale pour la livre, elle sera sapée par le fait que les gens ont moins de perspectives économiques que précédemment », prévoit Halabi.
Les ramifications actuelles de la crise financière entraveront la capacité de l’économie à rebondir après l’explosion.
« Comment les entreprises peuvent-elles reprendre alors que des contrôles sont imposés au capital et que ceux-ci ne permettent pas aux gens de retirer de l’argent des banques ? Et que le cours des devises fluctue sur le marché noir ? C’est un désastre total », déplore Haytayan.
Dans tous les secteurs, l’économie libanaise est en déclin : les permis de construire ont chuté de 60 %, les ventes de voitures de 70 % et le tourisme a baissé de moitié cette année par rapport à 2019.
« Tout est à l’arrêt et il va être compliqué de tout remettre sur pied car beaucoup n’avaient pas souscrit d’assurance pour couvrir ce type de sinistre, et les compagnies d’assurance sont liées au secteur bancaire, qui était déjà en plein marasme en raison de la crise financière », ajoute Halabi.
« Beaucoup d’entreprises ne s’en remettront pas. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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