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Moscou et Washington au Moyen-Orient : deux stratégies opposées

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo était à Sotchi, en Russie, mardi 14 mai. Il a rencontré son homologue Sergueï Lavrov et le président Vladimir Poutine. Derrière l’optimisme de façade, les désaccords sont nombreux, notamment au Moyen-Orient
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, se serrent la main lors de la conférence de presse conjointe à Sotchi le 14 mai 2019 (AFP)

En dépit de la polémique sur l’ingérence russe dans l’élection de Donald Trump, le moins que l’on puisse dire est que les politiques étrangères de la Russie et des États-Unis ne sont pas sur la même longueur d’onde.

Les Russes avaient indéniablement de bonnes raisons de préférer Donald Trump à Hillary Clinton. Le discours de cette dernière était belliqueux, ostensiblement hostile vis-à-vis de la Russie et les milieux néoconservateurs, méfiants à l’égard de l’hypothétique isolationnisme de Trump, avaient tendance à préférer l’ancienne secrétaire d’État.

La politique étrangère menée par Donald Trump ne s’est pas caractérisée par une russophilie débordante

Seulement, la victoire de Trump n’a nullement abouti à une lune de miel russo-américaine. La politique étrangère menée par Donald Trump ne s’est pas caractérisée par une russophilie débordante, ou alors sa subtilité et sa discrétion forcent le respect.

L’imposition de nouvelles sanctions contre Moscou n’est pas le signe d’un réchauffement des relations. De même, la nomination de John Bolton – figure néoconservatrice notoire – au poste de conseiller à la sécurité nationale n’a rien de rassurant pour la Russie.

Pompeo en Russie : entre optimisme de façade et volonté d’apaisement

La rencontre entre Pompeo et les dirigeants russes ne marquera certainement pas un tournant dans les relations bilatérales. Le ton fut rassurant (entre vagues sujets de convergence et bonnes intentions), mais Russes et Américains savent bien que les sujets de tension se sont accumulés depuis la rencontre entre les présidents Poutine et Trump à Helsinki en juillet dernier.

Deux dossiers épineux sont venus s’ajouter aux dossiers syrien et ukrainien. Au Venezuela, Moscou soutient activement le président Maduro au nom de la souveraineté et du principe de non-ingérence. Pour la Russie, la volonté américaine de renverser le président vénézuélien est « irresponsable ». Selon certaines sources, le président vénézuélien pourrait se rendre en Russie le mois prochain. Pour Pompeo, Maduro doit simplement partir.

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L’autre dossier est celui du nucléaire iranien. À certains égards, Washington semble davantage isolé que Téhéran. Concernant les tensions actuelles, Moscou considère que les Américains sont les uniques responsables, qu’il s’agisse de leurs sanctions ou de leur retrait de l’accord.

Malgré ces divergences manifestes, les dirigeants russes insistent sur la nécessité de calmer les tensions et d’éviter toute escalade militaire. La Russie est en effet l’acteur le mieux placé pour servir de médiateur entre l’Iran et les États-Unis, un rôle qu’elle joue déjà en Syrie (entre Ankara et Damas et entre Israël et « l’axe de la résistance »).

Les diplomaties russe et américaine ne se ressemblent pas beaucoup. La phrase prononcée par Pompeo sur la nécessité pour Maduro de « partir » est difficilement imaginable dans la bouche d’un dirigeant russe. La diplomatie russe est davantage « légitimiste » : les dirigeants, quels qu’ils soient, sont les interlocuteurs privilégiés.

Par ailleurs, la diplomatie russe jouit d’un atout non négligeable : Lavrov est ministre des Affaires étrangères depuis quatorze ans et maîtrise parfaitement certains dossiers que ses homologues découvrent.

Deux visions opposées au Moyen-Orient

Au Moyen-Orient, où les actions américaines sont perçues comme source d’instabilité par Moscou, une autre différence majeure apparaît. Les deux puissances adoptent deux stratégies radicalement différentes.

Pour les Américains, la région est divisée entre alliés et ennemis et il est nécessaire de s’appuyer sur les premiers contre les seconds. Le pacte de Bagdad et la doctrine Eisenhower dans les années 1950, dans un contexte de guerre froide, annoncent des réflexes tenaces. Donald Trump ne fait que donner une nouvelle dimension à ces réflexes.

La Russie veut sortir de la logique des blocs et des alliances qui prévalait pendant la guerre froide

Ses principaux alliés sont faciles à identifier : Israël et l’axe Riyad-Abou Dabi. Avec les autres acteurs de la région, et en particulier avec les Iraniens et les Palestiniens, le nouveau président américain laisse peu de place au dialogue et au compromis.

Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce qu’il veuille éradiquer la question palestinienne avec son improbable « accord du siècle » ou mettre à genoux l’Iran à coup de sanctions. En somme, Washington assume le déséquilibre.

La doctrine russe est différente. La Russie veut sortir de la logique des blocs et des alliances qui prévalait pendant la guerre froide. Dans certains cas, Moscou assume bien un certain déséquilibre : tout a été fait pour faire gagner Damas et pour laminer ses adversaires (rebelles ou djihadistes).

Mais à l’échelle régionale, Moscou promeut un équilibre géopolitique : aucun acteur ne doit pouvoir écraser les autres. C’est au service de cet équilibre – jugé compatible avec les intérêts russes – que Moscou veut mettre sa victoire en Syrie.

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Aujourd’hui, la Russie entretient de bonnes relations avec les trois axes actifs au Moyen-Orient : l’axe Ankara-Doha, l’axe Riyad-Abou Dabi et l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah. Tout en assumant une certaine proximité avec Israël, elle condamne l’occupation et la colonisation et rejette un plan de paix qui noierait la question palestinienne.

Tout en assumant sa complicité avec « l’axe de la résistance » en Syrie, elle refuse l’idée d’une confrontation entre celui-ci et Israël, tout comme elle s’oppose aux agressions de ce dernier sur le sol syrien.

Dans ces conditions, il est possible d’affirmer que les Russes ont davantage besoin de la paix que les Américains. Comme l’affirmait le Cardinal de Retz, « on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens » : quand un acteur n’a que des amis, il a intérêt à ce que les conflits ne dépassent pas un certain seuil l’obligeant à sacrifier quelques intérêts et éventuellement quelques partenaires.

En définitive, bien que les Russes souhaitent affaiblir les Américains au Moyen-Orient, ils feront preuve de la plus grande prudence et feront tout pour éviter une guerre qui embraserait la région.

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