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Quels sont les principaux candidats à l’élection présidentielle en Tunisie ?

Près de cent candidatures ont été déposées en amont de la présidentielle, anticipée au 15 septembre suite au décès du président Essebssi. Entre les poids lourds de la politique tunisienne, les personnalités polémiques et les candidatures folkloriques, MEE fait le point
Affiches électorales à Ariana, banlieue de Tunis, lors des élections de 2014 (AFP)
Par Ahlem Mimouna à TUNIS, Tunisie

Le décès du président Béji Caïd Essebssi le 25 juillet dernier a bousculé tous les calculs politiques et électoraux des formations politiques de la Tunisie. En effet, la date de l’élection présidentielle, initialement prévue le 17 novembre 2019, a été avancée au 15 septembre, comme annoncé par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE).

Vendredi 9 août, à la fin du délai de dépôt des candidatures – entamé le 2 août –, 97 candidats avaient déposé leurs dossiers en vue de succéder au président défunt.

Durant huit jours, l’ISIE a eu droit à un défilé de personnalités. Certaines connues et attendues par le grand public, d’autres anonymes qui ont pu goûter à leur moment de gloire.

« Cette année, il y a des candidatures folkloriques. Certaines personnes cherchent à faire le buzz et à passer dans les médias et sur les réseaux sociaux », a déclaré à Middle East Eye Anis Jarbaoui, membre de l’ISIE.

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« Malheureusement, ces derniers ont exploité une faille juridique », explique-t-il. « La loi électorale permet de déposer un dossier de candidature même s’il est incomplet, pour le finaliser plus tard. Des candidatures non sérieuses ont alors afflué. »

Pour pouvoir se présenter, un candidat doit être âgé d’au moins 35 ans, doit obtenir le parrainage de 10 députés ou bien de 40 présidents de municipalités ou encore de 10 000 citoyens. Il doit aussi déposer une caution d’un montant de 10 000 dinars (environ 3 100 euros).

Le nombre de dossiers de candidature est de 97, mais Anis Jarboui estime que l’ISIE n’en validera probablement pas plus de 30. La liste définitive des candidats retenus sera annoncée le 14 août.

Les attentes des Tunisiens sont grandes après le décès du président Essebssi. Charismatique et populaire, il a été le premier président tunisien à être élu au suffrage universel. Qui alors pourrait lui succéder ? Voici une présentation succincte des principaux candidats.

Deux candidats pour une gauche divisée

Le député Mongi Rahoui, 55 ans, est le premier candidat à s’être présenté au siège de l’ISIE. Il est soutenu par son parti, Al-Watad, et par un autre parti de gauche, Al-Taliaa.

Son intention de se présenter a créé une dissension au sein du Front populaire (FP), dont il est membre, car les autres partis de cette coalition de gauche soutiennent la candidature immuable du porte-parole du FP, Hamma Hammemi.

Hamma Hammemi, 67 ans, secrétaire général du Parti des travailleurs, a fini 3e à l’élection présidentielle de 2014 avec 7,82 % des voix. Il est l’initiateur de la création du Front populaire.

« Sa candidature est symbolique et il le sait. À l’apogée du Front populaire, après l’assassinat [en 2013 du secrétaire général du Mouvement des patriotes démocrates] Chokri Belaïd, Hammemi a obtenu seulement 250 000 voix », rappelle à Middle East Eye Aymen Zamali, journaliste politique tunisien.

Pour lui, « la gauche tunisienne n’a pas produit de partis politiques capables aujourd’hui de diriger le pays, au moins pour cette étape ».

Les candidats des partis au pouvoir

Abdelfattah Mourou, 71 ans, président du Parlement en remplacement de Mohamed Ennaceur, devenu, après le décès d’Essebssi, président de l’État par intérim. Abdelfattah Mourou est le candidat du mouvement Ennahdha. Il a été choisi à la suite de profondes discordes au sein du parti islamiste.

Avant le décès d’Essebssi et le changement du calendrier électoral, Ennahdha comptait se positionner en se basant sur les résultats des élections législatives, prévues le 6 octobre 2019.

En effet, le président du mouvement, Rached Ghannouchi, tête de liste de la circonscription Tunis 1 pour les législatives et probable président du prochain Parlement, avait déclaré auparavant qu’Ennahdha cherchait encore son « oiseau rare » pour la présidentielle.

Abdelffatah Mourou, candidat du parti Ennahdha à l’élection présidentielle anticipée du 15 septembre (AFP)
Abdelffatah Mourou, candidat du parti Ennahdha à l’élection présidentielle anticipée du 15 septembre (AFP)

Peu intéressé par le poste de président, considéré comme seulement honorifique, Ennahdha envisageait de soutenir un candidat hors du parti. D’autres voix au sein d’Ennahdha ont toutefois estimé qu’il était temps pour le mouvement d’avoir son propre candidat à la présidentielle.

Il a fallu au conseil consultatif d’Ennahdha quatre jours de discussions pour tomber d’accord sur la candidature de Mourou, élu par ses pairs avec une majorité de 98 voix.  

https://www.facebook.com/Dr.Rafik.Abdessalem/posts/2551630344887907

Traduction : « Avec tout le respect dû au cheikh Abdelfattah Mourou, choisir un candidat est une erreur pour Ennahdha, c’est un choix qui ne répond pas aux exigences des circonstances actuelles » – Rafik Abdelsalem, ancien ministre des Affaires étrangères tunisien et membre du conseil consultatif d’Ennahdha 

Selon l’analyste politique Mokhtar Khalfaoui, Abdelfattah Mourou ne pourra pas remporter la présidentielle.

« Je suppose que ce n’est pas le meilleur choix qu’a fait Ennahdha », souligne-t-il.

« L’apparence du cheikh et de l’homme religieux prend le dessus sur l’image de l’avocat et du politicien. Mais apparemment, c’est ce que le mouvement a de mieux pour ce poste, sachant que le président du mouvement est en bas des sondages dans les intentions de vote. »

« La gauche tunisienne n’a pas produit de partis politiques capables aujourd’hui de diriger le pays »

- Aymen Zamali, journaliste politique

Abdelkerim Zbidi, 69 ans, ministre de la Défense démissionnaire, a été sollicité principalement par Nidaa Tounes, le parti du défunt président, car il était la personnalité politique la plus proche d’Essebssi.

« Il pourra gagner s’il arrive à rassembler les démocrates, la famille libérale et la gauche sociale, mais surtout parce qu’il est indépendant », estime Aymen Zamali, pour qui le candidat Zbidi « peut apporter un équilibre à la scène politique, qui penche en ce moment plutôt en faveur des islamistes ».

Pourtant, si Abdelkerim Zbidi a été sollicité en raison de son intégrité et de son patriotisme, son point de presse consécutif au dépôt de sa candidature a été qualifié par certains observateurs d’échec.

« L’homme connu pour son intégrité, son honnêteté et son patriotisme ne maîtrise pas la communication avec les médias. L’image qu’il a révélée lors de sa première apparition médiatique n’a pas arrangé les choses. Il pourra passer au second tour s’il arrive à éviter les erreurs de communication, s’il mène une bonne campagne électorale et s’il sort indemne des débats télévisés avec tous les autres candidats », prévient l’analyste Mokhtar Khalfaoui.

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Youssef Chahed, 43 ans, actuel chef du gouvernement, dont la décision de se porter candidat était très attendue, n’a révélé sa candidature qu’à la veille du dernier délai de dépôt des candidatures, à l’occasion du conseil national de son parti Tahya Tounes.

« J’ai bien réfléchi et je vais accepter de me présenter au poste de président de la République […] Je veux représenter la rupture d’avec le système qui menotte aujourd’hui la Tunisie, le système des lois archaïques, le système des mentalités archaïques, dont j’ai moi-même souffert pendant trois ans », a déclaré Chahed en référence à son mandat de Premier ministre.

« Je veux continuer le projet national du leader Habib Bourguiba, lequel qui est basé sur l’État, l’éducation, la santé, la femme et l’administration tunisienne », a insisté le candidat.

Sollicité par son parti politique Tahya Tounes (deuxième force au Parlement), Chahed a collecté 30 signatures de députés. Le quadragénaire, ingénieur agronome, avait été propulsé chef du gouvernement par Essebssi en août 2016. Cependant, des discordes avec Nidaa Tounes ont poussé le chef du gouvernement à créer son propre parti, Tahya Tounes, il y a trois mois.

Chahed a été appelé à démissionner du poste de chef du gouvernement dans le cas où il envisageait de se présenter à l’élection présidentielle. Lui ne semble pas l’entendre de cette oreille, car aucune loi ne lui interdit de se présenter à l’élection tout en demeurant à son poste à la tête du gouvernement.

Selon ses détracteurs, qui appellent à respecter l’égalité des chances entre les candidats, Youssef Chahed est en train d’user de son poste et des moyens de l’État pour sa campagne électorale.

L’actuel Premier ministre Youcef Chahed, candidat à l’élection présidentielle, ne compte pas démissionner de son poste à la tête du gouvernement pendant la campagne électorale (AFP)
L’actuel Premier ministre Youcef Chahed, candidat à l’élection présidentielle, ne compte pas démissionner de son poste à la tête du gouvernement pendant la campagne électorale (AFP)

« Ceux qui ont un poste dans le gouvernement, la loi ne les oblige pas à démissionner. Mais dans les mœurs et traditions des pays démocratiques, la démission est volontaire pour se libérer pour la campagne électorale », souligne Anis Jarboui, de l’Instance supérieure indépendante pour les élections.

« Nous, nous sommes encore dans une jeune démocratie. Le temps se chargera de faire le tri et de mettre le pays sur les bons rails. »

Les candidats polémiques

Nabil Karoui, 55 ans, président du parti Qalb Tounes, est un candidat controversé alors qu’il est en tête des sondages dans les intentions de vote. Karoui a été visé par le projet de loi portant amendement de la loi électorale. Il est accusé de faire sa campagne électorale par le biais de son association caritative Khalil Tounes et de faire sa promotion sur la chaîne TV dont il est propriétaire, Nessma.

Nabil Karoui est poursuivi en justice pour des soupçons d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent (AFP)
Nabil Karoui est poursuivi en justice pour des soupçons d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent (AFP)

Le projet de loi adopté par le Parlement n’est pas entré en vigueur dans la mesure où il n’a pas été paraphé par le président Essebssi avant sa mort.

Nabil Karoui et son frère Ghazi sont poursuivis en justice pour des soupçons d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Tous deux sont interdits de voyage et leurs avoirs sont gelés.

Abir Moussi, 44 ans, est la présidente du Parti destourien libre (PDL) et l’ancienne secrétaire générale adjointe du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali. Cette figure de l’ancien régime défend les principes destouriens de l’ancien président tunisien Bourguiba et s’oppose farouchement aux islamistes.

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Elle a, elle aussi, beaucoup dénoncé l’amendement de la loi électorale. Elle est en outre tête de liste du PDL dans la circonscription de Tunis 2 pour les élections législatives.

Mounir Baatour, avocat du Parti libéral tunisien et président de l’association Shams pour la défense des droits des homosexuels, a collecté 19 565 signatures populaires. Ce candidat ouvertement homosexuel avait été condamné à trois mois de prison « pour sodomie » en 2013.

Dans son programme électoral, il compte notamment annuler la criminalisation de l’homosexualité en Tunisie. Il n’est cependant pas soutenu par les défenseurs des droits LGBT, qui voient en lui « non seulement une menace mais aussi un énorme danger pour [leur] communauté ». 

Slim Riahi, 47 ans, homme d’affaires controversé, a déposé son dossier de candidature par procuration car il se trouve à l’étranger depuis janvier 2019, invoquant des raisons professionnelles.

Le candidat fait l’objet d’un mandat de dépôt en Tunisie et est poursuivi pour corruption financière. Par ailleurs, il est tête de liste d’Al-Watan Al-Jadid dans la circonscription France 1 pour les législatives.

« Il y a beaucoup de points d’interrogation autour de la candidature de Riahi. Cependant, chaque Tunisien a le droit de se présenter et c’est à l’ISIE de trancher », explique à MEE le journaliste politique Aymen Zamali.

« On est dans une jeune démocratie. La loi électorale est en train de se développer et le paysage politique aussi. »  

Retour de Moncef Marzouki et… pléthore de candidatures folkloriques

Moncef Marzouki, président du parti Mouvement Tunisie Volonté (MTV), a été en 2011 le premier président de la République tunisienne après le renversement de Ben Ali, élu par les députés avant la rédaction de la nouvelle Constitution du pays. En 2014, soutenu par Ennahdha, Marzouki était arrivé au second tour de l’élection présidentielle avec 33,43 % des voix, mais s’était incliné ensuite face à Essebssi.

L’ISIE a également reçu la candidature d’autres hommes politiques – notamment Mohamed Abbou (Courant démocratique), Lotfi Mraihi (Union patriotique républicain), Mohsen Marzouk (Machrouu Tounes), Salma Elloumi (Amal Tounes).

« La diversité [des candidatures] que le poste de président n’est plus limité à une seule personne ou à une élite réduite, mais est devenu une ambition populaire citoyenne »

- Mokhtar Khalfaoui, analyste politique

« Il y a plusieurs candidatures de la même orientation politique ou idéologique, ce qui reflète l’échec de ces partis à se réunir et s’unifier à cause de conflits personnels à tendances narcissiques dans la plupart des cas », commente Mokhtar Khalfaoui.

En 2014, la vision générale était plus claire, selon Aymen Zamali, dans la mesure où la présidentielle se jouait entre les islamistes et les bourguibiens (Marzouki contre Essebssi).

« Aujourd’hui, on ne peut pas faire de pronostics pour le second tour. Les démocrates se sont dispersés et la popularité d’Ennahdha a baissé. Ce sont les indépendants qui ont le plus de chances de passer », estime-t-il.

D’autres candidats jugés comme étant « non sérieux » ont présenté des dossiers incomplets, à l’instar de Mohamed Agrebi, alias Recobba, ancien membre des Ligue de protection de la révolution (LPR), considéré comme un agitateur islamiste avec un discours violent et haineux, ou encore l’artiste-peintre Abdelhamid Ammar, devenu célèbre grâce à sa photo le montrant saluant solennellement le cortège funèbre d’Essebssi, ainsi que d’autres totalement inconnus.

« Certains candidats sont là pour le show, d’autres révèlent de vrais cas pathologiques. Mais voyons le côté plein du verre. Cette diversité montre que le poste de président n’est plus limité à une seule personne ou à une élite réduite, mais est devenu une ambition populaire citoyenne », souligne Mokhtar Khalfaoui.

« Cela dit, ceci ne se poursuivra pas les prochaines années quand les partis se seront structurés et que les offres politiques se seront stabilisées. »

L’ISIE a annoncé samedi que « plus de 65 dossiers de candidature [avaient] été rejetés pour vice de forme en raison de l’absence d’une caution financière et des parrainages nécessaires ».

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