Algérie : incertitudes sur la présidentielle de 2019
« Quel subterfuge légal pour un report du scrutin ? », titre ce mardi matin le quotidien algérien Liberté. Depuis quelques jours, les initiatives politiques et déclarations de chefs de partis tendent en effet vers cette hypothèse.
Affaibli par la maladie depuis son AVC en 2013, n’ayant plus la capacité de parler publiquement depuis près de cinq ans et ayant remporté la dernière présidentielle sans faire campagne, le président Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, n’a pas émis de signal quant à sa candidature pour un cinquième mandat.
Espaçant fréquemment ses apparitions à la télévision pour des audiences avec des invités étrangers, le président Bouteflika n’a pu recevoir, la semaine dernière, le prince héritier saoudien Mohamed ben Salmane, pour cause de « grippe aiguë » selon la version officielle.
Traduction : « L’horizon politique se ferme de plus en plus et il s’avère maintenant qu’il n’y aura pas de cinquième mandat […] Les forces pro-système n’arrivent plus à s’entendre autour du choix d’un candidat du consensus, alors que l’opposition est incapable de rentrer dans cette compétition en l’absence de garantie et dans cette opacité » (compte Facebook de Abderrezak Makri)
Le 29 novembre dernier, c’est au président du Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance Frères musulmans), Abderrezak Makri, d’ouvrir le débat. Makri propose le report, pour une année maximum, de la présidentielle prévue au printemps 2019 « si nécessaire ».
Le leader du MSP propose aux « décideurs » et à tous les acteurs politiques de rejoindre son initiative de « consensus national », lancée il y a quelques mois pour sortir de la crise actuelle. Il s’oppose aussi à un prolongement du mandat actuel : « Prolonger le mandat de Bouteflika sans réformes serait pire que le cinquième mandat, parce que nous allons sortir de la légitimité. »
« Si la solution et le consensus devraient nécessiter plus de temps, alors reportons l’élection présidentielle pour une période qui sera déterminée d’une manière consensuelle. Aller vers ces élections, c’est aller dans l’inconnu », déclare Makri.
Contact avec les « décideurs »
Ces déclarations, et l’aveu de Makri, qui affirme avoir eu des contacts avec des représentants du pouvoir, ont poussé certains commentateurs politiques à penser que le report de la présidentielle était une idée qui émane aussi des cercles proches du chef de l’État.
Un deuxième signal est venu de Amar Ghoul, ex-cadre du MSP, ex-ministre et président du Tajamou Amal el-Jazaer (Rassemblement pour l’espoir de l’Algérie, TAJ). Membre d’une coalition de partis pro-pouvoir, le TAJ a proposé, au lendemain des déclarations de Makri, la tenue d’une « conférence nationale » sous l’égide de Abdelaziz Bouteflika « pour la mise sur pied d’une Algérie nouvelle, dotée d’institutions fortes et modernes ».
Dans ses propos, Amar Ghoul insinue que la présidentielle est « secondaire ». Une onde de choc parcourt alors les milieux médiatiques et politiques algérois : il semble qu’on se dirige effectivement vers un report des élections d’avril 2019.
Un troisième indice complète le tableau : dans le communiqué faisant suite à la réunion, le 9 décembre, de l’instance de coordination de la coalition présidentielle, les partis pro-pouvoir (FLN, RND, TAJ, MPA) la composant réitèrent leur « soutien » au chef de l’État mais sans évoquer de près ou de loin l’échéance d’avril 2019.
Même Moad Bouchareb, le nouveau secrétaire général du Front de libération national (dont le président est Abdelaziz Bouteflika), s’abstient d’évoquer un éventuel cinquième mandat du président. Pourtant, c’était le mantra de son prédécesseur, Djamel Ould Abbes, débarqué brutalement de son poste mi-novembre dernier.
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Pour sa part, le Premier ministre Ahmed Ouyahia avait déclaré, début octobre, que la présidentielle « aura bien lieu en 2019 ».
« La panique qui s’est emparée des décideurs est visible à la prolifération des propositions anticonstitutionnelles qui vont suivre », a commenté Ali Laskri, un des dirigeants du Front des forces socialistes (FFS, opposition).
« Légalement, le report de la présidentielle dans la situation actuelle n’est pas justifié », explique au site d'information TSA la constitutionnaliste Fatiha Benabbou, sauf « pendant la durée de l’état de guerre, [où] la Constitution est suspendue [et] le président de la République assume tous les pouvoirs ».
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