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Pourquoi Bouteflika est « poussé » vers un cinquième mandat

Par souci de préserver la rente ou peur du chaos, la clientèle du système comme les partenaires étrangers ont tous intérêt à voir le chef de l’État réélu. Mais ces enjeux ne concernent pas les Algériens

L’échéance électorale présidentielle d’avril 2019, en se rapprochant inéluctablement, restructure tous les agendas politiques du pays. 

Un simple état des lieux nous indique maintenant clairement que, faute d’un consensus sur un candidat en remplacement de l’actuel président, nous nous acheminons manifestement vers le renouvellement de son mandat, comme ce fut le cas dans le passé, à partir du troisième mandat… sauf si la santé du président ne le permet pas. 

Les images, diffusées par les chaînes publiques, lors de la cérémonie du 1er novembre, sont en effet pathétiques, affligeantes et déshonorantes. Son déplacement précipité dans un hôpital genevois fin août n’a rien fait pour rassurer et comme d’habitude, a déclenché une guerre des communiqués entre les médias officiels (parlant d’« examens médicaux de routine ») et la presse privée nationale et internationale (mettant en exergue la gravité de son état de santé et son impact sur la gestion du pays).

Bref, le scénario ressemble à celui que notre pays a vécu durant l’« agonie » du défunt président Houari Boumediene en 1979, à quelques ingrédients près

Bref, le scénario ressemble à celui que notre pays a vécu durant l’« agonie » du défunt président Houari Boumediene en 1979, à quelques ingrédients près. 

Certains analystes puristes n’hésitent pas à invoquer le besoin d’un certificat médical d’aptitude à exercer la fonction présidentielle, comme prévu par la Constitution ! Ce juridisme nous laisse pantois voire perplexes, comme si notre pays jouissait d’institutions crédibles.

Il n’a d’ailleurs pas échappé à Abdelaziz Bouteflika le rôle décisif du Conseil constitutionnel en cas de vacance de pouvoir, ayant vécu lui-même cette situation avec, à la mort de Houari Boumediene, son remplacement intérimaire par Rabah Bitat. 

Il a donc minutieusement désigné ses hommes fidèles à tous les postes susceptibles de l’écarter du pouvoir : le président du Sénat (Ahmed Bensalah), le président du Parlement (ex-Saïd Bouhadja), le président du Conseil constitutionnel (Mourad Medelci) et enfin le ministère de la Défense qu’il s’est octroyé à lui-même. Ce verrouillage institutionnel rend le régime politique dictatorial et sans contrepouvoir. 

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L’opinion publique nationale, quant à elle, ne se pose plus ce genre de questions, sachant parfaitement que les élections, à tous les niveaux, lui échappent, y compris pour une simple association de quartier, depuis l’indépendance de notre pays.

Les changements opérés et encore non achevés, dans les forces armées et les services de sécurité et ceux entamés dans un certain nombre de postes civils sensibles, préfigurent déjà d’une ingénierie de prise de pouvoir d’un clan par rapport aux autres et certains n’hésitent pas à parler de « coup d’état déjoué » ayant entrainé cette purge massive. 

Abdelghani Hamel, le patron de la police, a été limogé le 26 juin dernier sur ordre de la présidence (AFP)

Les lectures de ces changements massifs et à un haut niveau, faites çà et là, donnaient tantôt le clan présidentiel victorieux de par l’appartenance supposée des hommes « promus » aux postes stratégiques et ceux démis de leur fonction, mis à la retraite, incarcérés puis libérés. 

Cependant, l’étrange répudiation confuse de Saïd Bouhadja, président de l’APN, orchestrée par une coalition fantoche FLN-RND (partis au pouvoir) et ses affidés, révèle une incapacité du président de la république à gérer ses propres troupes et donc à briguer un autre mandat. 

En fait, le scénario de rêve des clans autour de lui serait sa reconduction pour un cinquième mandat, si possible encore plus affaibli et plus invisible, « branché à Zéralda » – comme l’a décrit l’ex-ambassadeur de France en Algérie, Bernard Bajolet, dans Le Figaro – ce qui leur permettra d’élargir leur marge de manœuvre dans la gestion mafieuse du pays. 

Un « changement dans la continuité »

Ce « changement dans la continuité » fédère tous les clans, à condition qu’aucun d’entre eux ne domine l’autre, dans le partage de la rente. Mais cette « solution idéale » pour le pouvoir, est tributaire du bulletin de santé du président et donc pose, plus que jamais, le problème non résolu, de la course à la succession. C’est dans ce cadre que le scandale dit de l’affaire « El-Bouchi » (une affaire de saisie de drogue, point de départ de remaniements profonds dans les services de sécurité et l’armée) est tombé à point nommé pour engager le processus dit « d’assainissement ».

En fait, seule l’analyse systémique du pouvoir nous permet de comprendre comment il se meut et quels canons le structurent dans son évolution. Or, cette analyse nous démontre que l’homme fort du moment, est incontestablement le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la défense et chef d’état-major de l’ANP qui a sauvé, une nouvelle fois, le clan présidentiel.

Le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, aussi vice-ministre de la Défense, l’homme fort du moment ? (AP)

Cette position de « décideur apparent » par rapport au « décideur elliptique » le met dans une situation particulièrement inconfortable vis-à-vis du président de la république lui-même, qui devra, dès lors, soit mettre fin à ses fonctions pour rester le seul à avoir tous les leviers du pouvoir et engager le processus de son propre remplacement en direction de celui qu’il aura, lui-même, choisi pour successeur. 

Ou bien, il devra consolider le pouvoir de son vice-ministre et chef d’état-major afin qu’il le protège contre ceux qu’il avait aidé à éliminer, ce qui n’est pas sans risque pour lui-même, dans ce jeu d’ombres chinoises, le poste de ministre de la Défense étant en jeu. 

D’autant que, même à la retraite, les « éliminés » conservent des capacités de nuisance suffisantes pour brouiller les cartes. Les annonces de l’imminence, de « changements majeurs », au niveau national dans les médias de certains pays étrangers, dont la France, relèvent de cette logique.  

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Dès lors et comme de coutume dans notre pays, tous les clans civils du pouvoir vont immédiatement se mettre en quête d’identifier le clan vainqueur, de manière à s’y accrocher puissamment et lui faire une allégeance totale et inconditionnelle. Car il est obligatoire de ne pas se tromper de clan et de choisir celui qui sera, à coup sûr, le vainqueur de ce bras de fer, qui se joue sous nos yeux. 

L’enjeu, faut-il encore une fois le rappeler, est une question de « vie ou de mort », puisque le choix du bon clan va assurer les protections et garantir l’impunité passée, présente et surtout future. Cette période de turbulences est délicate et incertaine, et nul n’est à l’abri d’une « descente aux enfers », les militaires comme les oligarques, tant que le président ne se prononce pas sur son propre devenir politique, très lié à son état de santé. 

Nous pourrions assister à des scénarios sanglants de « débouteflikarisation », passage obligé dans nos traditions et mœurs politiques, depuis l’indépendance et même avant

Évidemment, une partie de la classe politique au pouvoir le « pousse » à récidiver de manière à se « tranquilliser » et à ne pas l’obliger à faire de « mauvais choix ». Le cas échéant, nous pourrions assister à des scénarios sanglants de « déboutéflikarisation », passage obligé dans nos traditions et mœurs politiques, depuis l’indépendance et même avant. Les perquisitions et les saisies conservatoires et autres mises sous séquestre, des biens immobiliers, des numéraires et autres objets précieux des prévenus, dans l’affaire « El-Bouchi » ainsi que les généraux-majors, préfigurent d’ailleurs de la prévalence de cette procédure.

C’est une question de survie car les enjeux sont colossaux pour ceux qui ont accumulé des richesses indues, issues essentiellement de la rapine, de la corruption, du détournement, des monopoles, des rentes, des trafics, de l’économie informelle et autres formes de délinquance économique et financière. 

Un système « escobarisé »

À la fin de l’été, la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune, a introduit un nouveau concept en sciences politiques en déclarant que le système politique algérien s’était « escobarisé ». 

Non seulement, ils risquent de voir leur empire s’écrouler et de perdre leur fortune mais également de se voir traduits en justice pour les divers délits et crimes commis « par la justice de jour ou celle de nuit ». 

Mêmes leurs biens et autres numéraires, transférés illégalement à l’étranger, ne sont plus en sécurité dans la mesure où le droit international a évolué et que des recours appropriés peuvent être engagés devant certaines juridictions pour récupérer tout ou une partie de ces richesses spoliées. Sans parler de leur éventuelle extradition – à l’image de Rafik Khalifa, ex-golden boy algérien réfugié à Londres depuis la chute de son empire en 2003 – qui les conduira directement à la « case prison ».

Des députés de la majorité bloquent l’entrée principale du Parlement algérien avec des chaînes et des cadenas, mardi 16 octobre : ils réclament le départ du président de l’Assemblée nationale, Saïd Bouhadja (AFP)

La seule solution et de loin la plus sûre pour eux et leur descendance, est celle qui consiste à, soit faire allégeance, le plus rapidement possible, une nouvelle fois au président elliptique – les luttes intestines, notamment celle au Parlement, auxquelles se livrent les différents clans du pouvoir entrent dans la logique d’une préparation d’un rapport de force pour l’émergence d’un nouveau pouvoir – soit faire une moubayaa (allégeance) au nouveau pouvoir qui se dessine, à condition de ne pas se tromper de camp ! 

On comprend mieux, dès lors, les bouffonnades nerveuses des partis du pouvoir (FLN, RND, TAJ…), le ralliement d’une coalition des partis insignifiants appelés sanafirs (tiroirs caisses) et enfin de quelques « grosses pointures » qui souhaitent renégocier chèrement et âprement leur retour dans le giron majoritaire du pouvoir. 

Si les plans élaborés par le pouvoir se réalisent et qu’aucun déchirement interne ne vient contrarier toutes ses coutures, ce sera donc sans surprise, que la désignation élective d’avril 2019, se déroulera, avec un seul tour, un taux de participation sera supérieur ou égal à 50 % et une victoire écrasante d’Abdelaziz Bouteflika, sur ses propres lièvres, qui se situera autour de 80 %. 

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La messe étant dite, une question se pose : ce scénario est-il viable politiquement, diplomatiquement, économiquement et socialement ? 

Il est symptomatique de constater que les rassemblements sportifs deviennent des moments de contestation politique (les chants dénonçant la mal-vie et la supercherie des quatre mandats de Bouteflika, les slogans anti-saoudiens des supporters d’Ain M’lila, ceux de l’USMA qui ressuscitent Saddam Hussein, face à l’équipe irakienne, la rivalité sportive MCA-USMA qui se transforme en rivalité Bouteflika-Toufik). Certains analystes les considèrent même comme un  « phénomène de socialisation de la violence ». 

Mais « c’est la peur générale que l’Algérie puisse basculer dans le chaos qui maintient le statu quo grotesque qui fait de l’Algérie le seul pays au monde dirigé par un vieillard malade et handicapé », rappelle un cadre de la nation dans Le Soir d’Algérie

Question subsidiaire, est-ce que le peuple algérien est concerné par toute cette agitation et combien de temps le président réélu, en 2019, tiendra-t-il ?

- Mourad Goumiri est professeur en sciences économiques et président de l’Association des universitaires algériens pour la promotion des études de sécurité nationale. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.  

Photo : le président algérien Abdelaziz Bouteflika prête serment après avoir été élu pour un quatrième mandat, le 28 avril 2014 (AFP).

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