Dénonçant un complot, Alger refoule des Syriens, des Yéménites et des Palestiniens
Le jeudi 3 janvier, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) s’est déclarée « préoccupée » par « la sécurité des personnes vulnérables originaires de Syrie, du Yémen et de Palestine qui seraient bloquées à la frontière avec le Niger, au sud de l’Algérie ».
« Le HCR a reçu des informations selon lesquelles le groupe, composé d’environ 120 Syriens, Palestiniens et Yéménites, avait été détenu au centre de Tamanrasset dans le sud de l’Algérie, avant d’être conduit vers une zone proche du poste-frontière d’In Guezzam, le 26 décembre dernier », détaille le HCR.
« Certaines des personnes de ce groupe sont connues du HCR comme étant des réfugiés enregistrés, qui ont fui le conflit et les persécutions, ou qui ont signalé avoir tenté d’obtenir une protection internationale en Algérie. »
L’instance onusienne reconnaît que « l’Algérie a ouvert ses portes à environ 50 000 réfugiés syriens en quête de sécurité dans le pays » mais appelle les autorités algériennes « à étendre cette hospitalité aux personnes qui en ont besoin ».
Dès le lendemain, Hacen Kacimi, chargé de la migration au ministère de l’Intérieur a réagi en indiquant à l’AFP que « les décisions prises par les pouvoirs publics au sujet des migrants arabes l’ont été en exécution de décisions de justice », affirmant qu’il s’agit d’une « question de sécurité nationale ». « Plusieurs de ces personnes sont soupçonnées d’avoir des liens avec des groupes djihadistes », appuie le responsable algérien.
« Les décisions prises par les pouvoirs publics au sujet des migrants arabes l’ont été en exécution de décisions de justice »
- Hacen Kacimi, chargé de la migration au ministère de l’Intérieur
Visiblement irrité par la position du HCR vis-à-vis du statut de réfugié, le représentant du ministère de l’Intérieur a révélé qu’Alger avait, à maintes reprises, rappelé à l’instance onusienne « qu’elle ne doit plus continuer à enregistrer, seule, des dossiers de demande de la qualité de réfugié, sans l’avis préalable des pouvoirs publics, qui sont les seuls habilités à délivrer l’attestation de reconnaissance de la qualité de réfugié. Malgré tous ces rappels, le bureau HCR Alger continue de gérer ce dossier seul et d’enregistrer, de manière irrégulière, des demande de reconnaissance de la qualité de réfugié, sans tenir compte des attributions des pouvoirs publics ».
Alger cible de critiques des ONG
Comme le rappelle l’AFP, les autorités algériennes sont régulièrement critiquées pour la façon dont elles traitent des migrants subsahariens, dont certains cherchent à gagner l’Europe. Le pays, qui ne dispose pas de législation en matière d’asile, fait face ces dernières années à un afflux de migrants subsahariens, estimés à quelque 100 000 en Algérie par les ONG.
Ce dimanche 6 janvier, le même responsable algérien fait de nouvelles révélations sur ce qu’il considère comme de « faux migrants » syriens. Les interrogatoires des Syriens ayant tenté d’entrer clandestinement en Algérie à partir de ses frontières avec le Mali et le Niger auraient confirmé les craintes d’Alger.
Selon Hacen Kacimi, « 150 Syriens, Palestiniens et Yéménites ont été reconduits aux frontières ces derniers temps ».
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« Il ne s’agit pas de migrants, ni de personnes en quête de protection internationale. Ils viennent d’Alep. Nous avons trouvé dans leur WhatsApp des échanges de communication avec un général-major de l’Armée syrienne libre [ASL] qui leur ordonnait de prendre contact avec les membres de la communauté syrienne en Algérie. C’était leur mission en attendant d’aller vers d’autres scénarios qui pouvaient être nuisibles à notre pays », affirme le représentant du ministère de l’Intérieur.
Selon Alger, donc, ces Syriens auraient été transportés par avion de Turquie vers le Soudan « où ils ont obtenu de faux passeports soudanais ». « Après, ils ont fait le voyage en Mauritanie par avion. Certains sont passés par l’Égypte ».
« Le risque avec les Yéménites est qu’ils transfèrent vers notre pays un problème confessionnel plus dangereux, le chiisme »
- Le représentant du ministère de l’Intérieur
Du Mali et du Niger, ils auraient tenté de pénétrer en territoire algérien après avoir été escortés, pour certains, par des groupes armés actifs dans le nord du Mali.
« Ces Syriens ont été jugés à Tamanrasset et condamnés avec interdiction de séjour sur le territoire national. Ils ont fait l’objet de décisions d’expulsion. À titre humanitaire, nous leur avons demandé de choisir une capitale de destination pour partir par avion et de demander l’aide de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ils ont refusé. Il s’agit d’agitateurs », explique encore Hacen Kacimi.
Importer des conflits ?
Selon sa version, à peine arrivés à Tamanrasset, « ils ont commencé à organiser des conférences et à prendre contact avec des chaînes de télés du Moyen-Orient. Ils ont voulu faire pression sur l’Algérie au nom du droit des migrants. Ils voulaient qu’on régularise leur situation ».
Pour les Yéménites et les Palestiniens expulsés, le ministre de l’Intérieur algérien a aussi des arguments : « Le risque avec les Yéménites est qu’ils transfèrent vers notre pays un problème confessionnel plus dangereux, le chiisme. On ne veut pas que les problèmes et les conflits confessionnels de certains pays soient déplacés sur le territoire national ».
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Pour les refoulés palestinien, le responsable algérien ajoute : « Nous avons beaucoup de respect pour les Palestiniens que nous soutenons, mais nous ne voulons pas que les conflits de factions soient transférés chez nous aussi. C’est un sujet sensible. Nous ne voulons pas nous interférer dans les affaires internes des Palestiniens ».
Le représentant du ministère de l’Intérieur n’a pas donné plus détails sur ces derniers cas.
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