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« Des familles anéanties en un instant » : la coalition anti-EI accusée d’avoir tué des milliers de civils à Raqqa

Une enquête d’Amnesty International et Airwars révèle que les frappes aériennes américaines, britanniques et françaises ont tué plus de 1 600 civils pris au piège dans Raqqa
Des milliers de bâtiments ont été détruits par les frappes aériennes de la coalition dirigée par les États-Unis lors de sa campagne de bombardement à Raqqa (AFP)
Par MEE

Une enquête menée par Amnesty International et Airwars révèle ce jeudi que plus de 1 600 civils ont perdu la vie à cause des milliers de frappes aériennes américaines, britanniques et françaises menées lors de l’offensive militaire de la coalition contre le groupe État islamique (EI) à Raqqa, dans le centre de la Syrie, de juin à octobre 2017. Au moment où l’offensive a été lancée, l’EI contrôlait Raqqa depuis près de quatre ans.

Les chercheurs de l’ONG Airwars et d’Amnesty International ont analysé des éléments disponibles en libre accès, dont des milliers de publications sur les réseaux sociaux et d’autres documents, pour constituer une base de données des civils qui auraient été tués lors des frappes de la coalition militaire dirigée par les États-Unis.

« J’ai vu mon fils mourir, brûlé dans les décombres devant moi. J’ai perdu tous les êtres qui m’étaient chers »

Ayat Mohammed Jasem, survivante de Raqqa

Les deux ONG ont recensé plus de 1 600 victimes civiles et recueilli les noms de plus d’un millier d’entre elles. Amnesty International a souligné qu’elle avait réussi à vérifier directement 641 de ces noms sur le terrain à Raqqa.

Dans leur rapport, Amnesty et Airwars rapportent un incident particulièrement tragique lors duquel quatre familles ont été « anéanties en un instant » après un bombardement de la coalition sur un quartier de Raqqa, le 25 septembre 2017.

« J’ai vu mon fils mourir, brûlé dans les décombres devant moi. J’ai perdu tous les êtres qui m’étaient chers. Mes quatre enfants, mon mari, ma mère, ma sœur, toute ma famille », a témoigné Ayat Mohammed Jasem, survivante de l’attaque, à une équipe de télévision un an après l’incident.

« L’objectif n’était-il pas de libérer les civils ? Ils étaient censés nous sauver, sauver nos enfants », a-t-elle ajouté.  

« Déni »

Tout au long de leur enquête, Airwars et Amnesty International ont indiqué avoir soumis régulièrement des preuves de la mort de civils à la coalition dirigée par les États-Unis. Suite à ces preuves, cette dernière a admis sa responsabilité dans la mort de 159 civils – soit 10 % du nombre de décès relevés par les deux ONG –, et a rejeté les autres allégations en les qualifiant de « non crédibles ».

Pour les deux ONG, « les forces américaines, britanniques et françaises s’enfoncent dans le déni ».

« Les forces de la coalition dirigée par les États-Unis ont rasé Raqqa, mais elles ne peuvent pas effacer la vérité », ont déclaré Amnesty International et Airwars ce jeudi, demandant aux membres de la coalition de mettre en place une enquête indépendante et impartiale sur les morts et les blessés civils, et d’en rendre les conclusions publiques.

« En tout état de cause, la lutte contre l’EI n’atténue pas la nécessité de la protection des civils »

Donatella Rovera, Amnesty International 

Donatella Rovera, principale conseillère d’Amnesty pour les situations de crise, a déclaré à Middle East Eye que la coalition dirigée par les États-Unis n’avait pas mené d’enquête sur la mort de civils suite à sa campagne de bombardements.  

« Le manque de transparence de la coalition et sa réticence à mener des enquêtes appropriées sur le terrain s’inscrivent dans le cadre plus large de son incapacité à accorder la priorité à la protection des civils dans la mesure où elle aurait pu et aurait dû le faire », a-t-elle déploré.

« En tout état de cause, la lutte contre l’ISIS [l’EI] n’atténue pas la nécessité de la protection des civils », a insisté Donatella Rovera. « Par exemple, les pluies de volées d’obus d’artillerie – imprécises au point d’être indiscriminées – dans les quartiers où se trouvent des civils ne sont jamais acceptables, peu importe qui contrôle le territoire. »

Dans un communiqué, le colonel Scott Rawlinson, porte-parole de la coalition, a affirmé que l’alliance contre l’EI avait rapporté de manière « ouverte et transparente » les pertes civiles.

« Avant toute chose, toute perte humaine involontaire pendant la défaite de Daech [EI] est tragique. Toutefois, cela doit être relativisé par rapport au risque de permettre à Daech de poursuivre ses activités terroristes, infligeant peine et souffrances à son gré », a-t-il déclaré à MEE.

« Selon nos dossiers, il existe 69 allégations crédibles concernant Raqqa, pour un bilan de 318 morts. Il convient de noter que certaines allégations font encore l’objet d’une enquête. »

« Amnesty International nous a fait part de 86 nouvelles allégations, dont 43 avaient déjà été jugées crédibles et préalablement rapportées ou n’étaient pas crédibles parce qu’elles ne corroboraient pas nos registres de frappes », a ajouté Rawlinson.

« Nous avons demandé à Amnesty International de nous fournir les informations complémentaires dont elle dispose (le cas échéant) sur les 43 allégations restantes, de sorte que nous puissions déterminer si nous pouvons mener une enquête. »

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