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Raqqa en ruines : la brutalité des combats contre l’EI laisse la ville détruite

Les FDS soutenues par les États-Unis comptent libérer bientôt Raqqa de l’EI. Toutefois, il ne reste pratiquement rien de la ville
Au moins la moitié de la ville a été totalement détruite, selon un responsable de la reconstruction (Wladimir van Wilgenburg/MEE)

RAQQA, Syrie – Alors que le groupe État islamique (EI) est lentement mais sûrement chassé de son ancienne « capitale » syrienne à Raqqa, le dernier bastion semble être le plus féroce : les civils sont utilisés comme boucliers humains et des mines encerclent la ville.

Réduit à ses dernières positions à Raqqa, d’où l’EI planifiait des attaques majeures contre l’Occident, le groupe de combattants contrôle désormais environ 20 % à 25 % de la ville, selon les responsables des Forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par les États-Unis.

« Il ne faut pas beaucoup de combattants de l’EI pour une bataille urbaine interminable »

- Un officier de l’armée américaine 

Cependant, un haut responsable des FDS a mis en garde contre les déclarations « prématurées » annonçant la fin de la lutte.

« D’après ce que nous constatons, l’EI est en effet affaibli à Raqqa. Les combattants n’opèrent pas comme nous l’avons vu ailleurs », affirme un responsable américain sous couvert de l’anonymat à MEE.

« C’est peut-être la raison pour laquelle les observateurs annoncent prématurément la victoire. Mais si l’est de Mossoul constitue un indice, il ne faut pas beaucoup de combattants de l’EI pour une bataille urbaine interminable. »

Un combattant néerlandais des FDS à Raqqa, surnommé Heval Andok (Wladimir van Wilgenburg/MEE)

Mardi, vêtus de treillis avec des insignes des YPG, les combattants de l’EI ont réussi à infiltrer les lignes de front dans le nord-est de la ville.

L’attaque a été repoussée, mais le cinéaste britanno-kurde et membre des FDS Mehmet Aksoy, âgé de 32 ans, a été tué.

Mais globalement, selon Ismet Sheikh Hassan, un haut responsable de la défense kurde de Kobané « la situation est bonne, cela ne prendra pas longtemps, il ne reste que 20 % à 25 %, et l’opération pour Deir Ezzor a commencé. »

À quelques kilomètres de la ligne de front à Raqqa la semaine dernière, on pouvait voir les forces de la coalition américaine à l’est de Raqqa tirer au mortier sur les positions de l’EI au milieu des coups de feu et des frappes aériennes.  

« Les civils sont terrifiés : l’EI leur a mis en tête que, lorsque les Kurdes viendront, ils couperaient les oreilles des gens et leur arracheraient les yeux »

– Heval Ali, combattant kurdo-danois des FDS

En conduisant dans l’est de Raqqa, où les combattants des FDS traversent des rues jonchées de décombres, il y a énormément de destructions. 

On voit peu de civils s’échapper. Les responsables estiment qu’il en resterait entre 5 000 et 7 000.

Les dommages pourraient être pires que dans la ville de Mossoul, selon certains.

« Nous avons sauvé de nombreux civils dans la ville », a rapporté Heval (« camarade » en kurde) Ari, le surnom d’un combattant kurdo-danois des FDS, à MEE après son retour de la bataille à Raqqa. 

« Certains civils sortent en groupes de trois ou quatre. Parfois, ils sont seuls. Et certains combattants de Daech se rendent. »

Mais alors que les combattants kurdes ont été largement représentés en Occident comme la réponse modérée et laïque à l’EI, de nombreux civils syriens dans la ville ont appris auprès de l’EI à les craindre.

Des combattants des FDS marchent dans les ruines de Raqqa (Reuters)

« Les civils sont terrifiés : l’EI leur a mis en tête que, lorsque les Kurdes viendront, ils couperaient les oreilles des gens et leur arracheraient les yeux », explique le combattant danois.

Il y a quelques jours, un petit nombre d’enfants soldats de l’EI se sont rendus, maquillés et habillés en femmes, dans le but de ressembler à des civils.

« Ils nous ont dit qu’il ne restait pas tant de membres de Daech que ça dans la ville et qu’ils essayaient tous de se mêler aux civils pour quitter la ville », raconte-t-il.

« Il n’en reste probablement que 100, 150 ou 200 », ajoute heval Ari.

Mais selon les évaluations de la coalition, il reste encore environ 400 à 900 combattants de l’EI dans la ville.

Enjamber les cadavres pour échapper à l’EI 

À l’intérieur de Raqqa, il est maintenant difficile de trouver des civils qui ont échappé à l’EI.

Cependant, dans un camp de personnes déplacées dans la ville d’Aïn al-Issa, où se trouve le conseil civil de Raqqa, des milliers de personnes déplacées internes attendent le jour où ils pourront rentrer chez eux.

« Nous étions encerclés. Lorsque les FDS ont attaqué, nous n’avions plus de nourriture. » 

« On enjambaient les cadavres pour fuir », raconte Fatima Ali, 29 ans.

« Il y avait des mines partout, et l’EI tuait toutes les personnes qui tentaient de fuir »

– Fatima Ali, originaire de Raqqa

« Quand on marchait, il y avait des mines partout, et l’EI tuait toutes les personnes qui tentaient de fuir », ajoute-t-elle.

« De même, quand ils voyaient des gens essayer de s’enfuir, ils tentaient de les abattre aussi », affirme Ahmed, 26 ans, qui est également arrivé au camp depuis Raqqa.

Il se lamente sur la ville détruite dans laquelle il retournera un jour.

« Même si nous rentrons, nous devrons emporter ces tentes avec nous », explique-t-il en montrant leurs frêles maisons temporaires.

« Parce que nos maisons sont détruites », ajoute-t-il, estimant que 90 % de la ville est en ruines.

Reconstruire la ville, une lourde tâche 

Fatima exprime également son inquiétude face à la destruction de sa ville, une grande partie de celle-ci ayant été complètement rasée dans la bataille pour chasser l’EI.

« La reconstruction pourrait prendre dix ans, elle est totalement détruite. Mais nous devons repartir, parce que rester ici n’est pas la solution », ajoute-t-elle.

Avec une lourde tâche qui l’attend, Nazmi Mohammed dirige le projet de reconstruction de Raqqa.

S’exprimant devant son bureau à Aïn al-Issa, il explique que le Conseil civil de Raqqa et les FDS s’apprêtent à nettoyer les mines.

« À la périphérie de Raqqa, il n’y a pas beaucoup de destructions, et les gens peuvent retourner là-bas. Nous avons réparé l’usine de traitement d’eau pour Raqqa, donc ils auront cinq heures d’eau par jour. ».

Mais d’autres zones sont beaucoup plus gravement endommagées.

Après des combats acharnés et une intense campagne aérienne, il faudra probablement des années pour reconstruire la ville (MEE/Wladimir van Wilgenburg)

« Je pense que plus de 50 % de la ville est totalement détruite, mais je ne suis pas sûr à 100 % », confie-t-il.

Il s’attend à ce que la reconstruction de Raqqa prenne au moins trois ou quatre ans – mais, selon lui, cette prévision est subordonnée à la réception d’une aide directe.

Jusqu’à présent, presque aucune de ces aides n’est arrivée.

« Nous voulons le même soutien que nous avons obtenu des Américains pour vaincre l’EI à Raqqa pour la reconstruction de la ville. Nous avons versé beaucoup de sang dans la bataille pour combattre l’EI », relève-t-il.

Les pertes civiles augmentent

Hormis les dégâts matériels, les frappes aériennes de la coalition sur Raqqa ont également engendré des pertes civiles.

« Dans la partie-Est de Raqqa, les destructions sont minimes, il s’agit de petites maisons, pas de bâtiments élevés », note Ali, 28 ans, un civil qui a fui Raqqa, s’exprimant depuis le camp de personnes déplacées. 

« Mais la maison de mon oncle a été détruite à l’intérieur de Raqqa, car l’EI avait creusé un tunnel entre sa maison et une autre, et quand une attaque aérienne a touché le tunnel, les deux maisons ont été détruites », précise-t-il

« Une famille a été enterrée par les décombres dues à une frappe aérienne dans le quartier de Jemili », raconte Fatima Ali.

« C’était un centre pour la police islamique et tout le quartier a été détruit. »

« La coalition devrait suivre notre exemple, mener des enquêtes approfondies, et trouver des moyens de rendre plus précises ses évaluations des pertes civiles »

– Ole Solvang, directeur adjoint de la division Urgences chez HRW

Lundi, Human Rights Watch (HRW) a documenté le bilan humain de la campagne aérienne contre l’EI à Raqqa, accusant la coalition d’avoir tué au moins 84 civils dans deux attaques près de la ville en juillet.

« La coalition devrait suivre notre exemple, mener des enquêtes approfondies, et trouver des moyens de rendre plus précises ses évaluations des pertes civiles », a déclaré Ole Solvang, directeur adjoint de la division Urgences chez HRW.

Haqi Kobani, un haut responsable des FDS, assure à MEE que des mesures importantes avaient été prises pour protéger les civils.

Selon lui, s’il n’y avait plus de civils dans la ville, la bataille serait déjà terminée depuis longtemps. 

« Le bombardement des frappes aériennes est prévu – sinon 2 000 civils auraient été tués. L’EI oblige certains d’entre eux à rester. Nous voulons nous assurer que les civils peuvent partir tranquillement. »

Le camp pour les déplacés internes d’Aïn al-Issa (MEE/Wladimir van Wilgenburg)

Selon un autre combattant des FDS, la coalition a éprouvé des difficultés à cibler l’hôpital principal et le stade de football, en raison du nombre élevé de civils dans ces endroits fortifiés.

« Les prochaines cibles pour les FDS, le stade et l’hôpital, ne peuvent pas être touchées car les Américains respectent le droit international », estime Heval Ari.

« 10 à 15 % de la ville est toujours sous le contrôle de l’EI », croit-il, mais la bataille sera bientôt terminée.

« Dans environ un mois, tout sera aux mains des FDS. »

Il sera plus difficile pour les FDS de prendre ses positions en raison du manque de soutien aérien sur celles-ci. 

L’un des objectifs les plus importants pour les FDS est maintenant l’hôpital, qu’elles assiègent de tous les côtés.

« Sous l’hôpital, l’EI a construit un grand centre de commandement. Et dans l’hôpital, il y a environ 30 à 40 combattants de l’EI, mais les Américains ne peuvent pas l’atteindre », résume-t-il.

« Ils ont placé des mines tout autour de l’hôpital. C’est donc difficile. Nous avons essayé quelques fois d’entrer, mais sans succès. »

De plus, le nord de Raqqa est jonché de mines.

« On ne peut pas faire un pas sans marcher sur une mine, et c’est pourquoi nos forces ne peuvent pas aller aussi vite que nous le voulons. C’est le problème et c’est pourquoi nous ne pouvons pas prendre Raqqa en un ou deux jours. »

La dernière bataille de l’EI ?

Mais même une fois que l’EI sera complètement chassé de la ville, le jugement dernier pour le groupe sera rendu à Deir Ezzor, où les forces démocratiques syriennes et l’armée syrienne se précipitent pour s’emparer d’autant de territoire que possible.

Des conflits mineurs entre les deux côtés, soutenus respectivement par les États-Unis et la Russie, éclatent sporadiquement. L’armée russe aurait frappé les positions des FDS dans l’est de la Syrie lundi. Moscou a nié les allégations des FDS.

« La bataille de Raqqa n’est plus le principal pour la coalition dirigée par les États-Unis », analyse pour MEE Nicholas A. Heras, chercheur spécialiste du Moyen-Orient au Centre for a New American Security.

« Je ne sais pas si nous livrerons bataille, ou si le gouvernement syrien le fera, mais j’espère que nous exterminerons Daech à 100 % »

– Heval Ali, combattant kurdo-danois des FDS

« Il n’y a plus de cibles de l’EI de grande valeur à Raqqa pour l’armée américaine. Celles-ci se trouvent toutes dans la région, entre les villes de Mayadin et Abou Kamal à Deir Ezzor.

« La lutte contre l’EI va se terminer à Deir Ezzor, pas à Raqqa », a-t-il ajouté.

« L’endroit important de Daech est désormais la ville de Mayadin », lui répond Ari, le combattant originaire du Danemark.

« C’est la nouvelle capitale du califat, et je pense que ce sera la partie la plus difficile et la dernière bataille. Je ne sais pas si nous livrerons bataille, ou si le gouvernement syrien le fera, mais j’espère que nous exterminerons Daech à 100 %. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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