Up-fuse, une marque égyptienne qui transforme la pollution plastique en accessoires de mode
« Les sacs plastique volent plus que les oiseaux », dit un adage bien connu au Caire. C’est pour contrer ce phénomène que Rania K. Rafie et Yara Yassin décident de fonder Up-fuse en 2013, alors qu’elles terminent leurs études de design de produits dans la capitale surpeuplée de l’Égypte.
Le pari est risqué dans un pays où la conscience écologique et l’impact climatique ne sont pas vraiment au centre des préoccupations.
Un impact social…
Quand on navigue sur le site de la marque aujourd’hui, on est submergé par le vaste choix de sacs à dos, sacoches, portemonnaie ou encore carnets proposés. En six ans, Up-fuse a réussi le pari de proposer une offre de produits à la fois esthétiques et éthiques d’une grande variété.
Plus qu’un label de créateur, Up-fuse est devenue une véritable entreprise sociale qui emploie aujourd’hui 50 employés, parmi lesquels 16 femmes, travaillant quotidiennement dans l’atelier de recyclage de plastique.
Une opération effectuée en collaboration avec Roh el-shabab, une association qui travaille avec les habitants du quartier cairote de Manshiyat Nasr, un bidonville dont la communauté copte (les « zabalin » ou chiffonniers du Caire) subsiste de la collecte des déchets de la capitale.
Si la marque continue de se déployer aujourd’hui à travers sa boutique en ligne mais aussi des réseaux de distribution partenaires en Allemagne, au Royaume-Uni et à New-York, l’aventure n’a pas toujours été facile pour les deux entrepreneuses. Âgées de seulement 23 ans lorsqu’elles lancent Up-fuse, fraîchement diplômées, les deux jeunes femmes ont dû s’imposer.
« En tant que femme en Égypte, on attend de vous que vous suiviez un certain chemin. Donc quand j’ai commencé cette société avec ma partenaire, il était difficile de faire comprendre à mon entourage que je me lançais dans un business qui ne rapporte pas nécessairement de l’argent, plutôt que de me chercher un mari. Pendant assez longtemps, il m’a fallu me convaincre chaque jour que j’étais sur la bonne voie », raconte Yara Yassin, cofondatrice de la marque, à Middle East Eye.
Afin de surmonter les difficultés et les résistances culturelles, elle et sa partenaire choisissent de s’entourer principalement de femmes, au sein de leur équipe commerciale comme de leur entrepôt de fabrication.
« Il est parfois difficile de se faire respecter et obéir par des employés quand on est une femme en Égypte, surtout quand il s’agit d’hommes plus vieux que vous. Entre femmes, on se comprend plus vite, c’est plus simple et je me sens comme à la maison », explique-t-elle.
... et écologique
Quotidiennement, Up-fuse récolte des milliers de sacs plastique afin de produire la matière première nécessaire à la fabrication de ses collections. Jusqu’à ce jour, plus de 250 000 sachets plastique ont été récupérés pour créer les différents articles de la marque. Pour créer un sac, par exemple, il ne faut pas moins de 30 sachets plastique récupérés. Une information que l’on retrouve sur une étiquette cousue à l’intérieur de chacun des sacs siglés Up-fuse.
« En Égypte […] la société s’est malheureusement habituée à la pollution, à la foule et à la saleté »
- Yara Yassin, cofondatrice de Up-fuse
Des produits dont les revenus sont reversés à l’ONG Roh el-Shabab, mais aussi à la promotion de programmes d’éducation à l’environnement que la marque partage sur son blog.
L’équipe participe d’ailleurs à la Fashion Revolution, un mouvement collectif mondial créé en Angleterre par Carry Somers, pionnière de la mode éthique et durable, en réaction à la tragédie du Rana Plaza (un accident qui avait coûté la vie à des centaines d’ouvriers du textile dans une usine du Bangladesh). Up-fuse organise régulièrement des événements de sensibilisation autour de la mode éthique au Caire et ailleurs.
« Nous avons aussi participé à un programme de l’association VeryNile, dont le but est de nettoyer les eaux du Nil, en utilisant le plastique retrouvé pour en faire des bracelets », indique Yara Yassin.
Un activisme nécessaire dans un pays à la population grandissante et dans lequel l’éducation à l’environnement reste encore à faire.
« Le Liban a connu sa crise des déchets et les manifestations qui ont suivi en 2015, mais en Égypte, nous n’avons jamais eu cela. La société s’est malheureusement habituée à la pollution, à la foule et à la saleté. Éduquer une population aussi grande qu’en Égypte à l’urgence climatique coûterait beaucoup d’argent. Nous devons aussi faire face à une grande part d’illettrisme – et la corruption n’arrange rien », déclare la cofondatrice de Up-fuse.
Aujourd’hui, la marque vit grâce aux financements de nombreuses associations et fondations d’entreprises internationales, mais Yara Yassin aimerait aller plus loin et voir grandir « son bébé » dans le futur, en lançant une boutique dédiée.
« On essaie d’étendre notre production et nous aimerions produire des accessoires de maison et pour femmes, mais cela requiert des fonds et beaucoup de temps », souligne-t-elle.
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