Samouni Road, un témoignage implacable et nécessaire sur Gaza
Depuis des générations, les Samouni vivent de la terre à Gaza. Le cinéaste italien Stefano Savona a posé sa caméra dans le salon de cette famille gazaouie un an après l’opération « Plomb durci » de 2008-2009. Stefano Savona interroge, derrière sa caméra, une famille disloquée et traumatisée. En une nuit, la famille Samouni a perdu 29 de ses membres du fait d’une « erreur » de l’armée israélienne.
En ressort une œuvre au format particulier, entre documentaire et film d’animation, pour raconter la guerre du point de vue de ses victimes.
L’animation, qui se base sur les souvenirs des Samouni et des témoignages de la Croix-Rouge, auxquels se juxtaposent des images reconstituées depuis l’intérieur d’un drone israélien, permet d’entrer dans l’histoire et de la revivre avec les Samouni. La reconstitution par Stefano Savona des images de drone, sur la base d’un rapport de l’armée israélienne censé enquêter sur les bavures de cette offensive, ajoute une portée objective au documentaire.
L’animation intervient de façon sporadique pour restituer, dans un va-et-vient captivant, les souvenirs des plus jeunes membres de la famille, les adolescents Amal et Fouad. Nous en sortons 1 h 40 plus tard le souffle court, parce que l’histoire des Samouni est celle d’une injustice universelle.
Le parti pris de voir au-delà des décombres et des chiffres
Cette mise en perspective de l’offensive israélienne sur Gaza, que nous ne connaissons bien souvent qu’à travers le regard des médias français, est nécessaire. À l’heure où la liste des morts palestiniens s’allonge après les derniers bombardements israéliens sur la bande côtière et la répression de la Grande marche du retour, Samouni Road est d’une actualité criante.
Souffrant d’une image déshumanisante – les terroristes – ou empreinte de misérabilisme – les martyrs –, les Palestiniens, dans l’imaginaire collectif, n’ont pas accès à la nuance. Samouni Road aide à prendre la mesure de la résilience de ces femmes et de ces hommes qui, malgré l’environnement violent qui leur est imposé, continuent de vivre.
D’ailleurs, c’est le constat de cette résilience qui donnera le déclic à Stefano Savona pour commencer à filmer. Un an après la guerre, revenu de Gaza où il avait effectué un séjour rapide durant l’opération « Plomb durci », ce dernier reçoit une invitation au mariage d’un jeune couple de la famille, maintenu malgré le décès tragique de leurs pères respectifs.
Stefano Savona réalise alors qu’entre la propagande israélienne qui diabolise et les médias internationaux qui ne filment que les cadavres, la population de Gaza, dans sa richesse et sa diversité, est complètement invisibilisée.
En donnant un visage et une voix aux subalternes que nous ne connaissons qu’à travers les chiffres des rapports d’après-guerre, ce type de documentaire est indispensable. D’autant plus quand l’écrasante majorité des victimes des opérations israéliennes à Gaza sont des civils comme les Samouni.
Derrière les exactions militaires, la paranoïaque peur de l’autre
La caméra posée à l’intérieur d’un drone israélien révèle au public toute l’absurdité de la vision du monde de l’occupant. C’est dans le regard du colon que le colonisé est un danger, et c’est parce qu’il est perçu comme tel que son extermination est permise, voire inévitable.
Ainsi, dans les images de synthèse, les civils palestiniens sont perçus comme des terroristes, et leurs bâtons de bois – utilisés pour faire un feu et aider la tante à faire cuire son pain – sont identifiés comme des lance-roquettes. Cela suffira à briser le destin d’une famille.
Samouni Road nous rappelle les mots d’Albert Memmi, auteur de Portrait du colonisé, précédé du Portrait du colonisateur : « Par sa fatalité propre et par égoïsme, [la colonisation] aura en tout échoué, pollué tout ce qu’elle aura touché. Elle aura pourri le colonisateur et détruit le colonisé ». Les exactions de l’armée israélienne, comme celle dont a été victime la famille Samouni, sont régulièrement dénoncées par des ONG.
Finalement, le documentaire montre aussi comment les Samouni, non militants et peu politisés, se verront approcher tour à tour par les groupes politiques palestiniens qui souhaitent s’approprier leur drame familial, laissant deviner le climat de perte de confiance de la population gazaouie vis-à-vis de ses leaders politiques.
Stefano Savona, qui s’était déjà fait remarquer avec son excellent documentaire sur la place Tahrir au Caire en 2011, Tahrir, place de la Libération, confirme ici son engagement et son talent. Samouni Road a été primé à Cannes, obtenant l’Œil d’or du meilleur documentaire.
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