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Carlos Martens Bilongo : « Il y a du racisme, de la xénophobie et de l’islamophobie dans la société française »

Carlos Martens Bilongo, invité à « retourn[er] en Afrique » par un député RN à l’Assemblée nationale, explique à MEE que l’incident témoigne de la prise de confiance de l’extrême droite en France
Né de parents d’origine congolaise et angolaise et élevé dans le Val-d’Oise, Bilongo estime que le commentaire raciste dont il a été victime est « mauvai[s] pour la France et pour l’image de la France à l’international » (AFP)

Lorsque le député Carlos Martens Bilongo a pris la parole à l’Assemblée nationale ce mois-ci pour exhorter la France à venir en aide aux 234 migrants coincés en Méditerranée, un député d’extrême droite s’est exclamé : « Qu’il retourne en Afrique ! »

Des exclamations ont fusé à travers l’Assemblée et les collègues de Bilongo ont immédiatement dénoncé cette remarque raciste et exigé l’expulsion de Grégoire de Fournas, député du Rassemblement national (RN) tout juste élu en juin. 

Bilongo a calmement répondu : « Pas du tout ! »

Même pour la France, un racisme aussi manifeste est choquant et la séance a rapidement été suspendue. 

À Middle East Eye, Carlos Martens Bilongo (31 ans), enseignant français entré en politique dans les rangs du parti de gauche La France insoumise (LFI), dit estimer que cette remarque est « mauvaise pour la France et pour l’image de la France à l’international ». 

On comprend aisément pourquoi. Cette remarque a non seulement été condamnée par de larges pans de la société française, mais elle a également fait la une à l’étranger.

« La France est mon pays. Je me battrai pour l’unité et l’universalité de l’humanité pour tous »

- Carlos Martens Bilongo, député français

« Cette remarque m’a attristé », confie Bilongo à Middle East Eye, premier média étranger auquel il s’est confié après l’incident.

« J’ai été choqué d’entendre un tel langage à l’Assemblée nationale. Cependant, je suis resté calme et je n’ai pas bougé. C’était terrible d’entendre ça. »

Né de parents d’origine congolaise et angolaise et élevé dans le Val-d’Oise (au nord de Paris), Bilongo estime que ce commentaire raciste reflète une plus grande véhémence dans le discours de l’extrême droite, aujourd’hui troisième parti à l’Assemblée nationale.

« J’évoquais la situation en Méditerranée à la demande de SOS Méditerranée, l’ONG qui avait secouru 234 migrants auxquels les autorités italiennes avaient refusé un passage en toute sécurité, lorsque ce nationaliste blanc extrémiste s’est exprimé », raconte Bilongo. 

« L’Assemblée nationale française n’est généralement pas comme ça – il n’y a que les nationalistes blancs qui le sont. »

Le Rassemblement national, autrefois Front national (FN), dirigé par Marine Le Pen a remporté un nombre record de sièges au Parlement lors des élections législatives en juin dernier. 

Le RN est passé de seulement 8 sièges en 2017 à 89 aujourd’hui. La confiance grandissante de ses membres s’exprime aujourd’hui à l’Assemblée.

Soutien de Marine Le Pen

S’il ne se laisse pas abattre, Carlos Martens Bilongo ne sous-estime toutefois pas le défi qui l’attend. 

« Le problème est européen, il ne se limite pas à un seul pays. Il y a des partis nationalistes extrémistes en Italie, en France et en Autriche, mais pas seulement », insiste-t-il. 

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C’était d’ailleurs la décision du gouvernement Meloni d’empêcher les migrants secourus en Méditerranée de débarquer en Italie, en violation du droit international, qui avait amené Bilongo à demander l’intervention du gouvernement français pour les sauver. 

Le 10 novembre, une semaine après cette remarque raciste, le gouvernement français a cédé et permis aux immigrés de débarquer.

Si des politiques français ont condamné cette remarque ouvertement raciste, Le Pen a soutenu de Fournas. Elle affirme que le député ne disait pas à Bilongo de retourner en Afrique, mais plutôt aux migrants de retourner sur le continent. 

Ce n’est pas ce qu’indique le procès-verbal officiel de la séance. 

« Ne pas oublier le passé »

Pour s’opposer à l’extrême droite en France et au-delà, Bilongo estime qu’il ne faut pas oublier les luttes antiracistes du passé. Le chemin qui nous attend, c’est de « ne pas oublier le passé ».

« Je me souviens de Rosa Parks, la militante pour les droits civiques américaine qui a refusé d’aller au fond du bus pour laisser place au racisme blanc », déclare le député insoumis.

« Cette fois, un député blanc me dit “retourne en Afrique”, je ne plierai pas.

« Je suis né et j’ai été élevé ici. C’est mon pays. Je me battrai pour l’unité et l’universalité de l’humanité pour tous. » 

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Carlos Martens Bilongo répugne cependant à dépeindre l’ensemble des électeurs du RN comme des partisans de l’idéologie d’extrême droite de Le Pen. Pour lui, ce n’est pas un groupe monolithique, mais un patchwork d’électeurs mécontents qui se sentent abandonnés par leurs représentants. 

« Il y a du racisme, de la xénophobie et de l’islamophobie dans la société française et le Parlement français est également un reflet de cette société », concède Bilongo. 

« Cependant, beaucoup de Français sont désabusés par la politique française » et, en signe de protestation contre la classe dirigeante du pays, ont vu Le Pen comme le seul vote contestataire possible. 

« Lors des élections, les gens qui n’aimaient pas le capitalisme ou qui avaient d’autres griefs sociaux » ont voté Le Pen, mais « ça ne veut pas dire qu’ils la soutiennent elle et ses politiques plus radicales ».

La voie à suivre

Les politiciens comme Marine Le Pen exploitent la désillusion croissante vis-à-vis de la politique en France. L’antidote à la montée de l’extrême droite consiste à faire en sorte que les gens s’engagent en politique et qu’ils aient l’impression que celle-ci peut œuvrer pour eux, soutient Bilongo.

« La seule solution est une mobilisation de la population pour expliquer les dangers et les conséquences de l’extrême droite au pouvoir. » 

Alors que ces dernières années, un nombre croissant de personnes issues des minorités ont percé dans la politique française, Carlos Martens Bilongo estime que ces remarques racistes ne vont que renforcer la volonté des jeunes à entrer en politique. 

« Oui, ils sont choqués mais ils veulent changer les choses en s’impliquant davantage en politique. » 

« Il n’y a pas de remède magique [à l’extrême droite], cela n’existe pas… Il nous faut nous lancer dans cette lutte et, avec des gens qui partagent les mêmes valeurs, nous pouvons combattre cela ensemble. »

Interview réalisée en anglais par téléphone.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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