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À l’approche de la présidentielle, les élus français d’origine étrangère inquiets face aux attaques racistes

Députés ou conseillers municipaux, ils ont été la cible d’injures, voire de menaces, à caractère raciste. S’il n’existe pas de chiffre officiel, de plus en plus d’élus doivent faire face à une libération de la parole xénophobe et islamophobe en France
Ces dernières années, les insultes et menaces envers les députés d’origine étrangère sont devenues courantes, et ce dans l’indifférence presque totale des autres parlementaires (AFP/Sébastien Bozon)
Ces dernières années, les insultes et menaces envers les députés d’origine étrangère sont devenues courantes, et ce dans l’indifférence presque totale des autres parlementaires (AFP/Sébastien Bozon)
Par Céline Martelet à PARIS, France et Annabel Roger

Dans son bureau, accroché au mur, trône un portrait de Zinedine Zidane, la star du football français. « Je suis d’origine kabyle comme lui », précise fièrement Mohand Ouahrani.

Quelques minutes plus tard, l’élu à la mairie de Villejuif dans le Val-de-Marne soupire, avant de lâcher : « Avec la victoire de l’équipe de France, on a rêvé en 1998 à un élan black-blanc-beur, mais c’était éphémère. Vingt-deux ans après, on a fait plusieurs pas en arrière. »

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Conseiller municipal délégué à la jeunesse et aux sports, Mohand Ouahrani a été la cible de plusieurs insultes à caractère raciste depuis son élection en 2020 sur la liste de l’actuel maire communiste.

Les yeux rivés sur son téléphone, l’élu fouille sur son mur Facebook pour retrouver quelques messages. « Vous voyez, ils écrivent sur mon profil “Les Arabes ont pris la ville” ou encore “Rentrez chez vous, laissez-nous vivre en paix entre Français” », rapporte-t-il à Middle East Eye.

Après un message particulièrement violent en juin 2021, Mohand Ouahrani explique être allé déposer plainte à la police nationale. Il indique que, pour l’heure, cette plainte n’a débouché sur aucune action en justice bien que certains auteurs aient écrit ces messages avec leurs vrais noms, sans se cacher.

« Il n’y a plus de garde-fou, personne n’est allé les auditionner », s’agace Mohand Ouahrani. « Zéro nouvelle pour le moment. De temps en temps, il faut faire des exemples, si notre République veut avancer, il faut punir ! »

« Si on laisse ces gens faire, ils vont prendre de plus en plus de terrain, et ça va devenir compliqué. Leur parole est plus entendue que la nôtre. Aujourd’hui, les racistes parlent à visage découvert, à mots découverts. Ils n’ont plus besoin de se cacher »

- Mohand Ouahrani, conseiller municipal à Villejuif

L’élu est inquiet : « Si on laisse ces gens faire, ils vont prendre de plus en plus de terrain, et ça va devenir compliqué. Leur parole est plus entendue que la nôtre. Aujourd’hui, les racistes parlent à visage découvert, à mots découverts. Ils n’ont plus besoin de se cacher. »

Mohand Ouahrani a accroché dans un coin de son bureau une écharpe aux couleurs de la Palestine. « Je dois me rendre sur place dans les prochains mois, et je sais que ça va encore créer de la tension », rapporte le conseiller municipal de Villejuif, affirmant que ce soutien « gêne certaines personnes en France ».

Une députée vent debout

« Tu vas crever, ordure ! », « La seule solution pour reconstruire la France est de renvoyer les parasites islamiques ». Ce mardi 11 janvier, Lamia El Aaraje s’empare du micro dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale et, d’une voix ferme, cite quelques-unes des menaces qu’elle a reçues.

La jeune députée socialiste veut dénoncer en son nom et celui de plusieurs de ses collègues députés les agressions verbales dont elle est continuellement la cible.

Jointe par téléphone, l’élue confie à MEE que les injures qu’elle reçoît « sont à 90 % à caractère raciste ».

Des mots difficiles à oublier pour la Franco-Marocaine : « Cela me coûte quand je me fais attaquer sur le plan personnel, quand on attaque mon mari et que je suis inquiète pour mes enfants. »

Il y a aussi la lassitude des attaques et des insultes sur les réseaux sociaux : « J’ai un vrai problème personnel avec les réseaux sociaux, contrairement à certains de mes collègues qui sont en capacité de prendre beaucoup de recul, de détachement par rapport à cela. Moi, j’avoue que j’ai du mal parce que je trouve que ce sont des attaques injustes. »

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Quelques jours après son intervention à l’Assemblée nationale, Lamia El Aaraje publie une tribune dans le Journal du dimanche pour appeler à une prise conscience. Elle écrit notamment que « le respect de la vie démocratique est l’affaire de toutes et tous ».

La députée explique à MEE qu’elle a déjà porté plainte à deux reprises pour « provocation non publique à la haine ou à la violence en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion ».

Mais Lamia El Aaraje ne se fait aucune illusion : sans auteurs identifiés, ces plaintes seront très probablement classées, elle n’a d’ailleurs pas pris d’avocat. Depuis plusieurs semaines, son domicile ainsi que l’école de ses enfants ont été intégrés dans les patrouilles du commissariat dont elle dépend. Une première pour elle.

Peu de soutien

Ces dernières années, les insultes et menaces envers les députés d’origine étrangère sont devenues courantes, et ce dans l’indifférence presque totale des autres parlementaires, qui échappaient jusqu’alors à ces agressions. Mais depuis, la crise des Gilets jaunes et la pandémie sont passées par là.

Ainsi, ces deux dernières années, les prises à partie, invectives et autres attaques contre des élus français se sont multipliées, en particulier sur les réseaux sociaux.

« Chez les élus on se mobilisera plus facilement contre l’antisémitisme que pour dénoncer le racisme contre les noirs. Ça n’intéresse personne à l’Assemblée nationale  ! »

- Jean François Mbaye, député

Selon Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, 430 députés sur 577 ont été menacés pour leurs positions sur le vaccin contre le COVID-19, par exemple.

Une situation qui a récemment conduit le gouvernement à renforcer la sécurité des élus et, début janvier, à mettre en place une cellule destinée à mieux suivre les plaintes déposées par les représentants du peuple.

Interrogé par MEE, le ministère de l’Intérieur explique que les menaces et les insultes à caractère raciste ne font pas l’objet d’un calcul spécifique. Aucune distinction n’est faite, par exemple, entre les injures proférées après une prise de position sur un texte de loi et les insultes uniquement à caractère xénophobe.

Pourtant, dans le code pénal français, toute une série d’articles de loi punit clairement le racisme, considéré comme un délit.

Un racisme de plus en plus assumé et admis par une partie de population française. Selon un sondage réalisé par SOS Racisme en mars 2021, 43 % des personnes interrogées estiment qu’il y a trop de musulmans et de Maghrébins en France.

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La plainte déposée il y a trois ans par Jean François Mbaye, elle, a d’ores et déjà été classée. Le député La République en marche (centre-droit) avait fini par se tourner vers la police après avoir reçu une lettre anonyme en janvier 2019.

« L’argumentaire de l’auteur de cette missive était très bien établi, on avait passé un cran, ce n’était plus seulement “sale noir ou sale nègre”, il y avait une logique dans cette lettre », rapporte Jean François Mbaye à Middle East Eye.

Depuis son élection en 2017, le député franco-sénégalais rapporte avoir reçu une quinzaine de menaces à caractère raciste.

Il souligne que le soutien des parlementaires n’a pas toujours été à la hauteur : « Il y a une solidarité, oui, mais je dirais qu’elle est conjoncturelle. Chez les élus, on se mobilisera plus facilement contre l’antisémitisme que pour dénoncer le racisme contre les noirs. Ça n’intéresse personne à l’Assemblée nationale  ! Vous savez, chez des élus, j’entends encore : “Je ne suis pas raciste, j’ai un ami noir ou arabe”, et ça, c’est déjà un premier acte de racisme. »

Une campagne qui s’annonce difficile

Tous les élus interrogés par Middle East Eye font part de leur inquiétude, à quelques mois du premier tour des présidentielles qui se déroulera le 10 avril prochain.

« La banalisation du racisme risque de créer des tensions. Les déclarations des uns et des autres ne sont pas de nature à apaiser les débats », ajoute Jean François Mbaye.

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Bien sûr, l’élu montre du doigt Éric Zemmour, le polémiste d’extrême droite devenu candidat, mais aussi Valérie Pécresse. La candidate du parti Les Républicains (droite) a assuré récemment vouloir « ressortir le Kärcher de la cave » pour « nettoyer les quartiers » et « remettre de l’ordre dans la rue », reprenant ainsi les propos de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Intérieur.

Pour Lamia El Aaraje, la campagne présidentielle a déjà commencé : la députée soutient la socialiste Anne Hidalgo et sera candidate à sa propre réélection aux législatives de juin prochain.

Comment envisage-t-elle cette période ? « Franchement, je vais être très honnête avec vous et vous faire part d’un sentiment très personnel : je l’appréhende énormément. Si je pouvais me passer de cette campagne, je le ferais, parce que face à cette violence-là, on n’est pas prêts, et moi, je ne fais pas de la politique pour ça. »

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