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France : le fantasme du « grand remplacement » entretient la peur de l’immigration

Ce tropisme islamophobe est de nouveau rabâché par la droite identitaire dans la perspective de la présidentielle de 2022. Or selon les démographes, les immigrés d’origine extra-européenne, en particulier les musulmans, ont très peu de chances de devenir majoritaires en France
Des habitants d’Argenteuil, au nord de Paris, se rendent à un bureau de vote pour le dernier tour de la présidentielle française, le 6 mai 2007 (AFP/Olivier Laban-Mattei)
Par Samia Lokmane à PARIS, France

Éric Zemmour en est certain. La France sera « à moitié islamique en 2050 » et « une république islamique en 2100 ». Dans son livre La France n’a pas dit son dernier mot, paru le 16 septembre, le polémiste de la droite identitaire, qui entretient le flou sur sa candidature à l’élection présidentielle de 2022, défie les démographes en martelant que « le grand remplacement n’est ni un mythe, ni un complot, mais un processus implacable ».

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L’été dernier, son comité de soutien, « Génération Zemmour », est allé jusqu’à manipuler les résultats d’une étude sur l’immigration de l’Insee pour alerter sur la hausse irréversible du nombre des étrangers (originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne) vivant en France. 

« Avec l’immigration massive d’une population de fécondité plus élevée et la politique toujours plus folle d’accueil des immigrés, ces populations d’origine extra-européenne, se greffant sur notre territoire, seraient donc au long terme, en état de remplacement, de surpassement de la population française (et d’Europe) de souche », a argué le mouvement sur son site internet.

Un discours repris par la droite identitaire

Éric Zemmour, condamné par la justice pour provocation à la discrimination raciale en 2011 et pour provocation à la haine envers les musulmans en 2018, continue de dénoncer « l’universalisme musulman » qui « écrase » selon lui « la nation, la culture et la civilisation françaises ».

« L’islam est tout à fait aux antipodes de la France », a-t-il martelé le 23 septembre dernier au cours d’un débat télévisé avec Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise (FI) et candidat à la prochaine présidentielle.

En 2019, lors d’une réunion organisée à Paris par des proches de l’ancienne députée d’extrême droite Marion Maréchal, petite-fille du fondateur du Front national Jean-Marie Le Pen, il avait estimé que « tous les problèmes de la France viennent de l’immigration et de l’islam », allant jusqu’à affirmer que les immigrés sont « des colonisateurs ».

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Grâce à sa croisade contre les musulmans, le polémiste voit se tourner vers lui une part de l’électorat de la droite et de l’extrême droite (15 % des intentions de vote selon un sondage Ipsos-Steria publié le 1er octobre).

Ce gain de popularité, qui le met au centre de l’attention médiatique, ne plaît guère à ses concurrents à droite et à l’extrême droite, comme le Rassemblement national (RN), qui n’hésite plus à reprendre haut et fort la thèse du « grand remplacement ».

« L’immigration entraîne un changement de population, inédit dans notre histoire par sa rapidité et son ampleur. Il nous reste peu de temps pour choisir le visage qu’aura demain la France », a ainsi déclaré le vice-président du parti, Jordan Bardella, déplorant l’implantation en France d’une civilisation – islamique – avec laquelle les Français ne partageraient rien du tout.

Pour ne pas se laisser doubler par Zemmour, d’autres responsables politiques ont dénoncé « l’envahissement des musulmans ».

Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et candidat à la primaire des Républicains (droite) pour la présidentielle, considère par exemple que « l’âme française se délite face à la submersion de l’immigration ». Il propose l’inscription dans la Constitution des origines chrétiennes de la France et la primauté du droit du sang sur le droit du sol dans l’acquisition de la nationalité française.

Des thèses démenties par les démographes

C’est Renaud Camus, écrivain influent au sein de la droite identitaire, qui a popularisé le concept du « grand remplacement » dans un livre, L’Abécédaire de l’in-nocence, publié en 2010.

D’après lui, les différentiels de fécondité entre les populations immigrées d’origine maghrébine et les Français « de souche » conduiront à « une substitution de la population », avec à terme la disparition de la France en tant que nation européenne.

« La proportion d’indigènes est encore assez haute parmi les personnes les plus âgées, mais elle va s’amenuisant spectaculairement à mesure qu’on descend dans l’échelle des âges. Tendanciellement, les nourrissons sont arabes ou noirs, et volontiers musulmans », écrit-il dans un autre ouvrage, Le Changement de peuple (2013), où il accuse le pouvoir politique « laxiste » de favoriser le processus de substitution de la population française « de souche » en encourageant l’immigration.

« […] les Français d’origine qui comptaient pour 85 % de la population totale en 2020 représentent encore 66 % en 2100, soit les deux tiers. Si on poursuit la projection au-delà de 2100, la population d’origine non immigrée ne devient minoritaire qu’en 2160, soit dans 140 ans »

- Hervé Le Bras, démographe

Avant qu’elle ne soit dirigée contre les Maghrébins, l’idée du « grand remplacement » avait eu pour cible les juifs et les Arméniens. Selon l’historien Gérard Noiriel, les premiers textes à charge sont l’œuvre de nationalistes français et allemands de la fin du XIXe siècle. Ce tropisme idéologique servira ensuite de prétexte aux nazis pour exterminer les juifs.

Selon Ahmed Boubeker, professeur de sociologie à l’université de Saint-Étienne, ce discours sécuritaire apparu en France dans les années 1980 a exacerbé la xénophobie et entraîné une véritable psychose, surtout envers les musulmans.

« La réalité est remplacée par quelque chose qui est de l’ordre de l’hallucination. On a beau la prendre de tous les côtés, cette hystérie du grand remplacement n’a aucun fondement », explique-t-il à Middle East Eye.

Dans son livre Serons-nous tous submergés ? Épidémie, migrations, remplacement (2020), Hervé Le Bras, démographe, directeur d’études à l’Institut national des études démographiques (INED) et à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), déconstruit le discours de l’extrême droite sur « le grand remplacement ».

Il montre d’une part que la France n’ouvre pas grandes ses portes aux étrangers extra-européens, avec une augmentation très modérée du nombre des cartes de séjour délivrées (220 000 en 2010 contre 260 000 en 2019).

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Le démographe tient compte d’autre part de paramètres comme la fécondité et la mortalité pour constater que les immigrés et leurs descendants resteront minoritaires pendant très longtemps.

« […] les Français d’origine qui comptaient pour 85 % de la population totale en 2020 représentent encore 66 % en 2100, soit les deux tiers. Si on poursuit la projection au-delà de 2100, la population d’origine non immigrée ne devient minoritaire qu’en 2160, soit dans 140 ans », écrit-il.

« Cette projection n’est pas une invention de ma part. C’est la manière avec laquelle on étudie les populations depuis très longtemps », précise-t-il à MEE, en accusant Éric Zemmour et d’autres d’utiliser des slogans, comme la supposée puissante fécondité des étrangers, l’invasion ou la criminalité, pour stigmatiser les immigrés et semer la peur dans la société française.

Valoriser le « rôle positif » de l’immigration

« Je ne comprends pas comment on peut continuer à croire à ce discours qui est de l’ordre de la pensée archaïque. Zemmour fait un peu comme les racistes américains dans les années 30 qui prétendaient que toute personne qui avait une goutte de sang noir était noire. Selon lui, un individu ayant un ascendant d’origine maghrébine doit être également considéré comme maghrébin. C’est complétement ridicule ! », déplore Hervé Le Bras.

« [Le discours de Zemmour et de l’extrême droite] représente tout le déni de la société française relativement à la présence sur son sol de personnes héritières de l’immigration postcoloniale et qui ne sont pas considérées comme de vrais citoyens même lorsqu’elles sont françaises »

- Ahmed Boubeker, professeur de sociologie

Le sociologue Ahmed Boubeker partage ce constat, décrivant Zemmour comme une personne « […] habité[e] par le ressentiment et qui essaie de taper toujours plus fort que Marine Le Pen [présidente du RN] ».

Pour autant, il estime que le discours du polémiste et de l’extrême droite en général « représente tout le déni de la société française relativement à la présence sur son sol de personnes héritières de l’immigration postcoloniale et qui ne sont pas considérées comme de vrais citoyens même lorsqu’elles sont françaises ».

« On a des gens qui habitent dans des banlieues, qui s’appellent Rachid, Fatima ou autre et qui ne sont pas reconnus en tant que français », constate l’universitaire, qui invite les autorités à faire « un travail contre les discriminations et contre le rejet des populations d’origine immigrée ».

Selon lui, il est temps que le discours sur le grand remplacement laisse la place à un discours sur le « rôle positif » de l’immigration. « Nous sommes face à une société qui change et qui devient multiculturelle. Il faut voir l’immigration comme une richesse et non pas crier avec Zemmour à la disparition de la race blanche », conclut Ahmed Boubeker.

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