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« Le vert des Verts est le vert de l’islam » : l’islamophobie d’Éric Zemmour est une menace pour l’ordre public

La banalisation des discours de haine dont est coutumier le polémiste français, en particulier à l’encontre des musulmans, est le socle de potentiels actes violents qui n’attendent que des conditions « favorables » pour se déployer
Éric Zemmour photographié à Paris en 2019 (AFP)

Malgré un taux d’abstention record dimanche 28 juin, les candidats d’Europe Écologie Les Verts (EELV) ont remporté plusieurs grandes villes de France dont Annecy, Lyon, Bordeaux ou encore Strasbourg à plus de quinze semaines du premier tour du 15 mars 2020.

Cette victoire historique, qualifiée de « vague verte », marque la progression croissante et constante de l’électorat écologiste, ainsi que la bascule à gauche de villes depuis très longtemps à droite comme Marseille. La rupture avec ce qui est communément désigné comme « l’ancien monde », celui d’avant l’épidémie de coronavirus, semble se dessiner.

Du renouveau, donc, qui s’illustre également dans l’exceptionnelle présence féminine en tête de liste pour un parti politique français. Pourtant, alors que ce succès inédit des écologistes aux municipales offre un vaste éventail de sujets d’analyse, le chroniqueur français controversé Éric Zemmour a opté pour une grille de lecture très singulière.

Au lendemain des résultats du second tour, celui qui s’est illustré lors de la Convention de la droite en septembre dernier par des propos racistes et islamophobes autour du péril du « grand remplacement » qui menacerait la civilisation française voit dans la vague verte… la couleur de l’islam !

« Le vert de l’islam »

Emporté par sa théorie complotiste, Éric Zemmour, dont le temps d’antenne sur CNEWS offre de multiples occasions de commenter l’actualité, explique que la gauche qui l’emporte aux municipales est « la gauche Terra Nova », du nom d’un cercle de réflexion proche du Parti socialiste.

Ce propos ne surprend guère quand on connaît son auteur. Pourtant, aussi ridicule que puisse paraître l’analogie colorimétrique à laquelle il se prête, la banalisation de son discours de haine est inquiétante

Terra Nova aurait ciblé, selon Éric Zemmour, un nouvel électorat pour remplacer le traditionnel électorat ouvrier, à savoir « une alliance composite de féministes, de jeunes femmes diplômées dans les grandes métropoles, d’enfants de l’immigration et de bobos » qui constituent « exactement l’électorat » des Verts. Convaincu par sa propre démonstration, il ajoute que ce ne sont non pas les écologistes qui ont gagné, mais bien Terra Nova.

N’oublions pas que pour Zemmour, la civilisation française est en danger et que ce danger est présent dans cette vague verte car « les verts sont des multiculturalistes assumés. Les verts sont des immigrationnistes assumés et des sans-frontiéristes assumés ». Et c’est là que le bât blesse pour le pamphlétaire, car les écologistes se soucient « de la nation française comme de leur dernière éolienne ».

Cette charge caricaturale visant à disqualifier Europe Écologie Les Verts est alors assortie d’une lecture très singulière de la couleur du parti. En effet, Éric Zemmour ajoute : « Si vous voulez… le vert des Verts correspond, comme par hasard, au vert de l’islam ». La boucle est bouclée, le triptyque menaçant la nation – multiculturalisme, immigration et islam – gagnerait du terrain politique.

Le temps d’antenne conséquent dont bénéficie Éric Zemmour ne l’immunise pas contre le ridicule. C’est sur Twitter que les abonnés du réseau social ont fait preuve d’une grande imagination pour habiller les lunettes du complotisme islamique propres à Éric Zemmour en tentant de débusquer du vert islamique à partir du hashtag #ZemmourFacts.

Provocation à la haine

Ce propos ne surprend guère quand on connaît son auteur. Pourtant, aussi ridicule que puisse paraître l’analogie colorimétrique à laquelle il se prête, la banalisation de son discours de haine est inquiétante. Le 1er juillet 2020, Éric Zemmour comparaissait une nouvelle fois pour « injure publique à caractère racial » et « provocation publique à la haine raciale » à la suite des propos qu’il avait tenus sur l’islam et l’immigration lors de la Convention de la droite le 28 septembre 2019.

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Alors que la chaîne d’info en continu LCI couvrait l’événement en direct, pas moins de 400 signalements avaient été comptabilisés auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Cette instance avait alors mis en garde LCI. Le Collectif contre l’islamophobie en France s’était porté partie civile pour condamner ces propos racistes et islamophobes.

Rien de nouveau, donc, dans la diatribe zemmourienne. Cet habitué des procès avait été condamné à 3 000 euros d’amende pour provocation à la haine religieuse en septembre 2019. Il avait déclaré en septembre 2016 sur France 5 dans l’émission « C à vous » que la France vivait « depuis trente ans une invasion » qui avait pour objectif d’« islamiser le territoire » et d’alimenter un « djihad ». 

Ces propos haineux envers les Arabes, les noirs, les féministes, les immigrés, les banlieues et l’islam l’amènent de la scène médiatique aux barres d’audience des tribunaux. Ses multiples condamnations pour provocation à la haine envers les musulmans prouvent la régularité de ses saillies réactionnaires.

Porte-voix de l’idéologie suprématiste

Ne minimisons pas les propos d’Éric Zemmour. On se souvient des attentats de Christchurch en Nouvelle-Zélande en mars 2019. Un assaillant attaquait des musulmans de deux mosquées, faisant 51 morts. L’effroi, les condamnations et l’émotion avaient suscité des réactions unanimes d’hommes et de femmes d’État au niveau mondial.

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Aujourd’hui, on sait que l’auteur avait laissé une lettre dans laquelle il déclarait avoir transité par la France, pays où il a adhéré à la thèse du « grand remplacement » de Renaud Camus. Quel rapport entre Christchurch et Zemmour ? L’idéologie camusienne du danger représenté par l’invasion d’une population étrangère qui viendrait remplacer la population occidentale.

Or, un grand danger gît dans ces postures réactionnaires et suprématistes qui se transforment parfois… en actes violents et meurtriers. La prévention et la lutte contre la radicalisation mises en œuvre depuis les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher en janvier 2015 ne doivent pas omettre que la radicalisation en réaction à la menace terroriste islamiste peut également être suprématiste. Zemmour en est la voix audible dans un débat de plus en plus binaire.

Éric Zemmour, dans son fiel nationaliste, agite et nourrit une animosité, une obsession et une haine à l’égard de toutes les féministes, de tous les « bobos », de tous les noirs et Arabes de France, et surtout de tous les musulmans.

Une analyse de son discours aboutit immanquablement à souligner la charge violente qu’il dirige vers ces groupes sociaux. L’Autre est déshumanisé et essentialisé en entité dangereuse. Et face à un danger, on peut s’attendre à ce que certains s’organisent pour le combattre.

L’Autre est déshumanisé et essentialisé en entité dangereuse. Et face à un danger, on peut s’attendre à ce que certains s’organisent pour le combattre

Regardons l’histoire pour considérer la gravité de cette idéologie. C’est ce qu’a fait l’historien Gérard Noiriel dans son livre Le Venin dans la plume : Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République. À partir d’une perspective historique et comparative, l’auteur souligne la matrice du discours réactionnaire et fait le parallèle entre les combats idéologiques d’Édouard Drumont, antisémite notoire du XIXe siècle, et ceux d’Éric Zemmour.

L’histoire de l’horreur de la Shoah permet aussi cela : révéler chaque étape qui a mené à la banalisation d’un discours antisémite, lequel a abouti à l’extermination du danger désigné : les juifs. Que l’histoire nous serve de leçon. La banalisation des discours de haine à l’encontre des femmes, des homosexuels, des noirs, des Arabes, des musulmans et des étrangers est le socle d’une violence qui n’attend que des conditions favorables pour basculer.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye. 

Hanane Karimi est sociologue et doctorante en sociologie à l'Université de Strasbourg, laboratoire Dynamiques européennes. Sa thèse porte sur l'« agency » de femmes françaises musulmanes dans le contexte de la « nouvelle laïcité ». Elle est titulaire d'un master en Éthique (CEERE-France). Diplômée du Yale Bioethics Center, elle dispense des formations en éthique médicale transculturelle ainsi qu'en laïcité. Hanane Karimi est également une militante féministe et antiraciste.
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