Hadi Damien : « Le chemin est long » pour la communauté LGBT libanaise
BEYROUTH – La seconde édition de la Beirut Pride était prévue initialement du 12 au 20 mai. Au programme, concerts, workshops autour de la santé et du VIH, ou encore conférence autour des droits juridiques des homosexuels.
Mais la fête a tourné court lundi, alors que l’événement entamait son troisième jour.
Le studio Zoukak, une compagnie théâtrale qui s’est fait connaître entre autres par des projets de thérapie par le théâtre auprès des réfugiés syriens, accueillait une lecture en arabe de la pièce de théâtre Ogres de Yann Verburgh et Eugen Jebeleanu, qui évoque une succession de crimes homophobes dans différents pays.
Peu avant le début de la lecture, des membres du bureau de la censure de la Sûreté générale, les services de renseignement libanais, interviennent pour suspendre l’événement. L’organisateur du festival, Hadi Damien, 29 ans, est finalement emmené au siège de la police des mœurs, où il passe la nuit en cellule avant d’être entendu pour interrogatoire.
Accusé d’avoir écrit un texte portant atteinte à la pudeur sur le site internet du festival, texte qu’il estime être « falsifié et altéré », Hadi Damien a été relâché le lendemain matin après décision du procureur d’annuler tous les événements relatifs à la Beirut Pride. L’organisateur s’est quant à lui engagé par écrit à ne pas maintenir les activités du festival.
Il est aujourd’hui libre, mais demeure dans l’incertitude quant aux suites légales de son dossier.
Traduction : « Le coordinateur des activités de la GayPrideBeirut n’a pas subi de violence directe ou indirecte. Mais le mal est fait, ciblant l’association et un public qui voulait juste écouter un texte théâtral »
MEE : Que s’est-il passé exactement lors de cette soirée au studio Zoukak ?
Hadi Damien : En deuxième partie de soirée, lundi, une lecture du texte de théâtre Ogres en langue arabe était programmée au studio Zoukak. La compagnie avait demandé au bureau de censure de la Sûreté générale si un visa de censure était nécessaire pour la lecture. Le bureau avait répondu que non, pas besoin, puisqu’il s’agit d’une simple lecture et non pas d’une performance.
Quelques minutes avant le début de l’événement, des membres du bureau de censure débarquent au studio, demandant l’annulation immédiate de la lecture pour manque d’obtention du visa de censure. On essaie de négocier, de raisonner, mais rien n’y fait.
Au même moment, des éléments du bureau de la police des mœurs et de la Sûreté générale arrivent. En tout, il y avait plus de quinze membres de bureaux sécuritaires au studio Zoukak. Le public commence à se faire de plus en plus restreint par crainte d’escalade ou de détentions arbitraires.
On m’appelle alors pour me demander de passer le lendemain, mardi, vers 11 heures du matin, au bureau des mœurs pour quelques questions.
Trente minutes plus tard, deux hommes font irruption dans la salle, me demandant de les accompagner immédiatement à la gendarmerie de Hbeich, le siège de la police des mœurs. Je m’y rends, accompagné de mon avocate. J’ai été retenu à la gendarmerie et j’ai dû passer la nuit dans la cellule, en compagnie de 39 détenus – une cellule conçue pour cinq personnes. Le lendemain, mardi, vers 11 heures, je suis appelé pour interrogatoire.
MEE : Le motif invoqué par la Sûreté générale est la traduction en arabe d’un texte sur votre site internet qui décrit les activités de la Beirut Pride. Quels éléments du texte ont attiré l’attention de la police ?
HD : Le chef de la police des mœurs m’explique que je suis interpellé à la suite d’un texte expliquant les activités du festival publié sur le site de la Beirut Pride. Je l’invite à se connecter au site internet et à m’indiquer les points problématiques pour les lui éclaircir. Il me présente un texte en arabe de l’événement.
Il y a une « destigmatisation » qui est manifeste et naturelle dans la société. C’est une évolution organique. Les homosexuels, par exemple, sont de plus en plus visibles dans les sphères professionnelles, académiques et sociales
Je précise que le texte en question n’a jamais été communiqué en arabe. À première vue, il s’agit d’un texte falsifié, monté, altéré. En effet, les auteurs du texte en langue arabe ont choisi des événements du festival, en ont changé le contenu et la description, y ajoutant du sensationnalisme et des mots résonnant avec débauche, incitation à l’immoralité et au vice.
Je l’invite à visiter le site internet et je lui démonte le texte en arabe, point par point. Il demande à ce que ma déclaration soit rédigée, je la lis et la signe.
Malgré mes éclaircissements, le procureur général de Beyrouth décide d’annuler les événements de la Beirut Pride. Quant à moi, deux options me sont offertes. La première est de signer un engagement qui garantit que les événements du festival prévus jusqu’au 20 mai n’auront pas lieu, et de fournir un document de résidence pour me libérer.
La deuxième option est de ne pas signer cet engagement, faute de quoi je serai retenu, le dossier transféré au Parquet pour organisation de manifestations qui incitent à l’immoralité et à la perturbation de la morale publique, ce qui est passible d’une peine de prison.
Le dossier n’est pas encore clos, et peut être rouvert sur ordre du procureur.
MEE : La Beirut Pride avait déjà connu des difficultés pour des « raisons de sécurité » l’an passé. Avez-vous l’impression que la Sûreté générale cherche des justifications pour faire annuler l’événement ?
HD : L’an passé, il y a eu quelques pressions de groupes religieux sur deux ONG qui participaient à la Beirut Pride. En conséquence, les lieux qui accueillaient les deux événements des ONG ont décidé d’annuler la réservation.
Le mouvement LGBT au Liban est en progression. [...] Mais chaque évolution s’accompagne de coups
La première ONG a refusé de relocaliser, préférant annuler l’événement, tandis que la deuxième a préféré que son événement se déroule à huis clos avec transmission sur les réseaux sociaux.
MEE : Plus généralement, comment voyez-vous l’évolution du mouvement LGBT au Liban ? On a l’impression qu’il y a des progrès, plus de liberté puis, soudain, un retour en arrière. La semaine dernière, par exemple, l’exposition « Love letters to Meem », consacrée à la question LGBT, n’a pas rencontré de problèmes…
HD : Le mouvement LGBT au Liban est en progression. La Beirut Pride de 2017 a présenté un nouveau modèle d’événementiel que les ONG reprennent cette année : plusieurs jours, une panoplie d’événements, etc. L’évolution est positive.
Mais chaque évolution s’accompagne de coups. On les assume, on cherche à les dépasser et on va de l’avant. Pourquoi certains événements sont ciblés et d’autres pas ? Ceci dépend de la portée de l’événement, de sa résonance, du public, de la communication autour. Plus on est organisé, plus on se fait attaquer.
Traduction : « La répression des événements de la #BeirutPride par les forces de sécurité intérieure du Liban, forçant leur annulation, est vile et honteuse. L’article 534 est une loi draconienne. Les droits LGBTQI + sont des droits humains. Point final »
MEE : Les citoyens libanais ont voté il y a quelques semaines lors des premières élections législatives depuis neuf ans. Avez-vous l’impression qu’il y a une prise de conscience des intérêts de la communauté LGBT par les différents partis politiques et chez les citoyens ?
HD : La Beirut Pride a été sur le devant de la scène électorale à travers des actions de lobbying. Pendant plus de trois mois, nous avons rencontré des chefs et des exécutifs de partis politiques traditionnels ainsi que de nouveaux partis pour parler de la situation.
Les politiques sont conscients de la base électorale que représente cette population. Nous avons ouvert des canaux de communication avec l’ensemble des partis politiques et des pôles religieux du pays
Aujourd’hui, au moins quatre députés ayant évoqué le sujet LGBT sont élus au Parlement. Plusieurs autres sont sensibles à nos idées et prêts à travailler sur le dossier. Les politiques sont conscients de la base électorale que représente cette population. Nous avons ouvert des canaux de communication avec l’ensemble des partis politiques et des pôles religieux du pays.
Concernant les citoyens, notre démarche est mieux comprise. Le simple fait que la Beirut Pride existe est un élément progressif. C’est une initiative publique, qui n’y va pas par quatre chemins et qui dit les choses telles qu’elles sont. Nos initiatives annuelles qui touchent à la politique, à la religion, aux entreprises et aux familles constituent l’expression de sa longévité, en plus des Pride Days qui se déroulent autour du 17 mai.
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Il y a une « destigmatisation » qui est manifeste et naturelle dans la société. C’est une évolution organique. Les homosexuels, par exemple, sont de plus en plus visibles dans les sphères professionnelles, académiques et sociales.
MEE : La communauté LGBT mène depuis des années un combat contre l’article 534 du code pénal qui sanctionne les relations sexuelles dites « contre-nature ». Où en est la mobilisation sur ce sujet ?
HD : L’amendement légal est très important. L’article en question constitue le cadre juridique qui permet au Parquet d’ordonner aux forces de sécurité de procéder à des arrestations qui sont le reflet de l’homophobie de l’État.
Mais le chemin est long, et le travail est transversal, il ne peut s’arrêter à l’article 534 et à l’approche légale. Il y a un travail en profondeur à faire, au niveau social, dans les médias, pour que notre approche soit comprise.
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