Khaled Hosseini : il faut raconter le « désespoir inimaginable » des réfugiés syriens
Le monde est différent de celui dans lequel Alan Kurdi nous a quittés.
Bien que le réfugié syrien de 3 ans ne l’ait jamais vu, sa mort dans la mer Égée, dont le troisième anniversaire a eu lieu dimanche dernier, a modifié le discours public et ouvert les yeux sur le traumatisme vécu par les réfugiés et la guerre en Syrie.
Khaled Hosseini, auteur plusieurs fois primé des Cerfs-volants de Kaboul (The Kite Runner) et ambassadeur de bonne volonté du HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, espère que l’exemple du petit Kurdi continue d’avoir cet effet.
Le romancier décrit son dernier ouvrage, Sea Prayer, comme un hommage à cet enfant qui a fui Kobané, une ville du nord de la Syrie alors confrontée à la guerre civile et à l’insurrection de l’État islamique, pour se retrouver face à un danger encore plus grand dans les eaux qui devaient le mener à la sécurité et à une vie meilleure.
« J’espère aussi qu’à plus large échelle, cela aidera à mettre en lumière le désespoir inimaginable auquel sont confrontés les milliers d’autres familles que la violence et la persécution ont forcées à abandonner tout ce qu’elles savaient et à se risquer à une traversée incroyablement périlleuse de la mer », explique-t-il à Middle East Eye.
« Je n’ai pas cessé de chercher à imaginer la douleur que son père a dû endurer chaque fois qu’il voyait des photos de son fils gisant sur cette plage en Turquie »
– Khaled Hosseini
Au fil des pages, Sea Prayer nous fait suivre l’histoire d’un père qui raconte à son fils une Syrie perdue à jamais, à la veille d’un voyage périlleux à travers les mers vers un avenir loin des bombardements, de la famine et de la mort.
L’auteur évoque le choix – peut-être forcé – fait par un père que le conflit pousse à emmener sa famille d’un danger à un autre dans cette quête de paix et de sécurité.
Cette relation père-fils est ce qui a frappé Hosseini il y a trois ans et ce qui l’a incité à écrire Sea Prayer en mémoire d’Alan Kurdi et de sa famille.
« J’ai moi-même deux enfants, confie Hosseini. Quand j’ai vu la photo du corps d’Alan Kurdi sur la plage, cela m’a bouleversé.
« Je n’ai pas cessé de chercher à imaginer la douleur que son père a dû endurer chaque fois qu’il voyait des photos de son fils gisant sur cette plage en Turquie ou d’un étranger sortant de l’eau le corps de son enfant, d’un inconnu qui ne connaissait rien d’Alan, qu’il s’agisse de ses jeux préférés, de ce qui le faisait rire ou de son plat préféré. »
Khaled Hosseini n’a pas été le seul à être touché par la tragédie vécue par Alan Kurdi.
Des présidents et des Premiers ministres ont été poussés à commenter cette tragédie et à modifier leurs politiques de manière à mieux refléter une opinion publique qui s’est mise à développer une empathie nouvelle pour les centaines de milliers de réfugiés et de migrants traversant la Méditerranée.
« La mort d’Alan Kurdi, la manière dont celle-ci s’est produite, a éveillé la conscience de millions de personnes à travers le monde », affirme Hosseini.
« Il semblerait que nous puissions répondre émotionnellement à une tragédie ponctuelle qui éveille notre conscience, mais que paradoxalement, face à une souffrance à plus grande échelle, nous perdions le lien émotionnel, laissant disparaître notre compassion »
– Khaled Hosseini
« Nous avons vu un déferlement de solidarité et d’empathie. Les pays ont ouvert les frontières. Partout, des gens ont adressé des dons à des organisations caritatives qui viennent en aide aux réfugiés. »
Aujourd’hui, cette atmosphère semble lointaine. Les migrants et les réfugiés continuent de tenter la traversée de la Méditerranée et de périr en chemin. Mais l’attitude de l’Europe à l’égard des réfugiés a sensiblement changé.
Rien que cette année, 1 549 personnes ont perdu la vie en tentant la traversée maritime vers l’Europe depuis l’Asie ou l’Afrique du Nord. « Certaines des victimes étaient des enfants plus jeunes qu’Alan », note Hosseini.
Mais la colère, le choc et l’horreur ont reculé, en partie à cause de la fatigue qui accompagne les statistiques.
« Il semblerait que nous puissions répondre émotionnellement à une tragédie ponctuelle qui éveille notre conscience, mais que paradoxalement, face à une souffrance à plus grande échelle, nous perdions le lien émotionnel, laissant disparaître notre compassion », poursuit-il.
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« C’est pourquoi la narration autour de cette question, bien qu’elle ne soit pas suffisante en soi, demeure vitale. »
Sea Prayer cherche à raconter cette histoire et à inviter les gens à se sentir de nouveau concernés.
Ses pages sont remplies d’illustrations tourbillonnantes et évocatrices de Dan Williams.
Des scènes bucoliques de la Syrie rurale et des souks bourdonnants de Homs s’évanouissent dans des images de guerre laissant finalement place au vert sombre de la mer.
« Pour qu’un changement significatif se produise dans nos esprits, nous devons tout d’abord nous sentir concernés et, pour cela, nous devons tout d’abord éprouver des sentiments », explique Hosseini.
Mais raconter l’histoire des réfugiés ne suffit pas, reconnaît-il. « En fin de compte, nous devons changer nos politiques afin d’offrir une meilleure protection aux réfugiés, un meilleur accès à l’asile dans les États membres de l’UE, des centres d’accueil plus adéquats et un accès accru à des moyens sûrs et légaux d’entrer en Europe. »
Malheureusement, la politique en Occident semble ne se diriger que dans une seule direction. De nombreux électeurs et responsables politiques considèrent désormais les réfugiés comme un problème.
« Pour qu’un changement significatif se produise dans nos esprits, nous devons tout d’abord nous sentir concernés et, pour cela, nous devons tout d’abord éprouver des sentiments »
– Khaled Hosseini
La Suède, pays qui a rapidement ouvert ses portes aux réfugiés syriens, les a en grande partie refermées.
Les migrants secourus en Méditerranée se voient refuser l’entrée dans certains pays européens et se retrouvent bloqués en mer pendant des jours.
La semaine dernière, les autorités grecques ont arrêté une réfugiée syrienne qui avait porté secours aux passagers d’un bateau en perdition en 2015, l’accusant de trafic d’êtres humains.
Pendant ce temps, sur l’île de Lesbos, les conditions de vie dans le camp de Moira sont si terribles que des enfants d’à peine 10 ans font des tentatives de suicide.
Dans le même temps, la rhétorique hostile aux réfugiés, mariée à une montée de la politique d’extrême droite, progresse des États-Unis à l’Allemagne, en passant par l’Italie.
« La montée du sentiment hostile aux réfugiés à laquelle nous assistons me préoccupe beaucoup », confie Hosseini, qui reconnaît la complexité du problème.
Selon lui, cette tension peut toutefois être comblée en comprenant mieux qui sont les réfugiés et pourquoi ils arrivent sur les côtes occidentales.
« Toute discussion légitime sur cette question doit commencer par cette vérité fondamentale : personne ne choisit de quitter son foyer, sa terre, sa communauté et de risquer sa vie pour venir en Europe à bord d’une frêle embarcation impropre à la navigation en mer, à moins que des circonstances dramatiques qui échappent totalement à son contrôle ne l’y obligent », observe-t-il.
Les histoires comme celle du petit Kurdi ont le pouvoir d’informer et de changer les idées fausses que les gens se font, affirme Hosseini, qui ajoute que ces récits constituent les meilleurs moyens d’enseigner l’empathie et de nourrir la compréhension.
« Personne ne choisit de quitter son foyer, sa terre, sa communauté et de risquer sa vie pour venir en Europe à bord d’une frêle embarcation impropre à la navigation en mer, à moins que des circonstances dramatiques qui échappent totalement à son contrôle ne l’y obligent »
– Khaled Hosseini
C’est une expérience qu’il a connue directement dans son travail auprès du HCR.
« Les réfugiés que j’ai rencontrés au cours de mes voyages, que ce soit en Ouganda, en Afghanistan ou au Liban, m’ont tous énormément inspiré et ont enrichi ma vie », explique-t-il.
« Ils m’ont rappelé que ce qu’ils espèrent plus que toute autre chose, c’est rentrer chez eux et reprendre leur vie en paix.
« Un réfugié syrien que j’ai rencontré au Liban m’a dit récemment : “Même le paradis, ce n’est pas chez nous.” »
Khaled Hosseini fera don de toutes les recettes des ventes de son livre au HCR.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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