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Zeidan Atashi : « Nous n’avons plus aucune raison de servir dans l’armée israélienne »

L’ancien diplomate israélien Zeidan Atashi, également ancien député à la Knesset, revient pour MEE sur l’adoption de la très controversée loi sur « l’État-nation du peuple juif » qui met en rage sa communauté, les druzes
Zeidan Atashi, premier représentant non-juif d’Israël aux États-Unis dans les années 1970 (MEE/Cécile Galluccio)

Le 14 mai 1948, jour de sa création, l’État d’Israël assure dans sa Déclaration d’indépendance « une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ».

Soixante-dix ans après, toujours pas de Constitution, mais des lois fondamentales. La dernière, intitulée « l’État-nation » et adoptée le 19 juillet dernier à trois heures du matin, définit Israël comme le foyer du peuple juif. En clair, le droit à l’autodétermination est unique au peuple juif, l’hébreu est désormais la seule langue officielle du pays et « l’État considère le développement d’implantations juives comme une valeur nationale et fera en sorte de l’encourager et de le promouvoir. »

Pour beaucoup, ce texte officialise la fin d’un État juif démocratique qui respecte ses minorités. Car en Israël, 25, 4 % de la population n’est pas de confession juive, notamment les Arabes chrétiens et musulmans, ces Palestiniens qui sont parvenus à rester sur leur terre lors de la Nakba en 1948, et les druzes, autre minorité arabe qui représente 142 000 personnes en Israël, soit 2 % de la population.

Nés d’un schisme de l’islam chiite ismaélien, les druzes ont pu demeurer sur leurs terres en nouant de fortes relations avec l’État d’Israël et en se battant depuis à ses côtés – et donc, de facto, contre les pays arabes.

Avec cette loi, Israël est en train d’évoluer vers une sorte d’apartheid car cette loi confisque les terres que nous, les druzes, détenons depuis 1 000 ans

Mais aujourd’hui, avec cette loi, les druzes d’Israël, d’habitude silencieux et dévoués, se sentent trahis par leur patrie. Eux qui parlent arabe ont peur d’être considérés comme des citoyens de seconde zone, car c’est bien cela que le texte grave dans le marbre : une loi pour définir les inégalités entre citoyens.

L’ancien diplomate druze Zeidan Atashi, premier représentant non-juif d’Israël aux États-Unis dans les années 1970, est vent debout contre cette loi. Et ce n’est pas un geste financier ou législatif de l’État envers les druzes, comme évoqué ces dernières semaines, qui va le calmer.

Middle East Eye : Vous avez été diplomate de nombreuses années, avez-vous le souvenir de l’élaboration d’une telle loi par le passé ?

Zeidan Atashi : Certainement pas en Israël ! Pour les autres pays, je ne peux pas dire mais cette loi est sans précédent dans l’histoire juive. Et c’est un précédent sale pour la conscience juive tant que ce gouvernement sera le représentant du peuple juif.

Des membres de la communauté druze manifestent contre la loi sur l’État-nation à Tel Aviv le 4 août 2018 (AFP)

Avec cette loi, Israël est en train d’évoluer vers une sorte d’apartheid car cette loi confisque les terres que nous, les druzes, détenons depuis 1 000 ans. C’est pour cela que l’opinion publique s’y oppose en Israël mais aussi au Moyen-Orient. Nous allons donc essayer de faire pression sur le Parlement européen, c’est d’ailleurs déjà inscrit à notre agenda.

MME : Comment avez-vous vécu le vote de cette loi ?

ZA : J’ai eu l’honneur d’être le premier diplomate non-juif en fonction aux États-Unis pour Israël dans les années 1970. J’ai emménagé à New York avec ma famille et j’y ai vécu pendant quatre ans. J’étais si fier d’être un diplomate israélien. Pendant toutes ces années, je me suis battu pour la dignité et la réputation d’Israël en tant que pays démocratique. À plusieurs reprises, j’ai eu de vives altercations avec des groupes anti-israéliens, notamment dans des universités ou des collèges.

Je n’ai pas d’autre alternative que ce pays, mais ce gouvernement est le plus misérable de l’histoire juive, le plus corrompu aussi, notamment le Premier ministre [Benyamin Netanyahou]

Et maintenant, après avoir voté cette loi, l’État nous dit qu’il va légaliser notre statut, comme si c’était une faveur. Qu’est-ce que cela veut dire ? Après 70 ans, ils veulent légaliser mon statut ? Quel était alors mon statut pendant toutes ces années ? Quand je servais dans l’armée au service des Forces de défense israéliennes [l’armée israélienne] ?

Ils sont en train de se moquer de nous ! Notre but, et là je parle à la jeune génération, à ceux qui servent dans l’armée, aux officiers supérieurs, à ceux qui ont manifesté à Tel Aviv, c’est de résister, avec les Arabes [les citoyens palestiniens d’Israël], avec les juifs progressistes qui sont nombreux dans ce pays et qui soutiennent la communauté druze.

MME : Que change concrètement cette loi ?

ZA : Avec cette loi, ils peuvent confisquer n’importe quelle terre demain matin, et ce, même si on décide d’engager des poursuites. Pourtant, le gouvernement n’a pas investi un centime pour développer ces terres, tout s’est fait avec notre argent. Je n’ai pas d’autre alternative que ce pays, mais ce gouvernement est le plus misérable de l’histoire juive, le plus corrompu aussi, notamment le Premier ministre [Benyamin Netanyahou].

Vue sur le mont Carmel depuis la maison de Zeidan Atashi à Isfiya, dans le nord d’Israël (MEE/Cécile Galluccio)

Tout n’est que corruption, argent sale, pots-de-vin… La plupart des ministres sont sous le coup d’une enquête judiciaire. Et maintenant, ils sont après nous ? C’est quelque chose que l’on ne peut pas avaler. (Il se dirige vers la grande baie vitrée de son salon). C’est ma terre, regardez comme elle est belle. Qui peut l’abandonner ? Pourquoi me la prendre et en faire la propriété exclusive du peuple juif après 70 ans ?

Pourquoi être loyal ? Pourquoi ne pas me battre plutôt pour une autre patrie ? Les gens vont d’abord faire défection. Ceci est un avertissement. Si cette loi n’est pas supprimée, nous allons nous retirer de tout

MME : Justement, pensez-vous que le gouvernement israélien va céder ?

ZA : C’est simple, s’il ne cède pas en changeant la loi, nous allons modifier notre comportement et notre loyauté envers l’État d’Israël. S’il ne cède pas, nous n’avons plus aucune raison de servir dans les Forces de défense israéliennes. Nous ne perdrons certainement pas notre terre à cause de l’extrême droite qui tente de tout nationaliser pour les juifs.

Pourquoi continuer à servir dans l’armée ? Pourquoi être loyal ? Pourquoi ne pas me battre plutôt pour une autre patrie ? Les gens vont d’abord faire défection. Ceci est un avertissement. Si cette loi n’est pas supprimée, nous allons nous retirer de tout.

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Cette terre sera toujours la mienne mais je ne vais plus la défendre s’ils pensent qu’elle est uniquement à eux. Encore une fois, je ne parle pas du peuple juif, je parle des racistes, de l’extrême droite, de Benyamin Netanyahou et du Likoud. Nous vivons ici depuis 1 000 ans et nous continuerons à vivre ici malgré toutes les lois racistes israéliennes.

MME : Ce combat que vous menez est-il un combat pour les minorités ?

ZA : Ce n’est pas uniquement un combat des minorités. C’est un combat des druzes, des Arabes israéliens et des juifs aussi. La plupart des juifs de ce pays sont contre cette loi. Beaucoup disent que c’est la plus misérable et la plus discriminatoire de l’histoire d’Israël.

Qu’est- ce qu’ils sont en train de faire ? Ils veulent tout simplement constitutionnaliser le racisme, c’est choquant !

Qu’est- ce qu’ils sont en train de faire ? Ils veulent tout simplement constitutionnaliser le racisme, c’est choquant ! Alors pourquoi devrions-nous l’accepter ?

Ensemble, nous devons rester debout et faire en sorte que cette loi soit amendée ou alors complétement abrogée. Il faut montrer le vrai visage de ces nationalistes de droite et leur dire qu’en face, il y a de nombreux progressistes. Cette loi n’est pas contre nous, elle est contraire à la survie même et à la stabilité de la société israélienne dans l’État.

MME : Si la communauté druze obtenait un amendement vis-à-vis de cette loi, autrement dit, si le gouvernement israélien faisait une faveur à la communauté druze, serait-ce suffisant ?

ZA : Évidemment non ! Le fait est que nous avons déjà demandé un amendement de la loi et, en réponse, ils ont essayé d’acheter la communauté druze. Ils pensaient qu’un peu d’argent pouvait suffire. Mais qui peut vendre sa fierté, son histoire, sa dignité, son existence, sa conscience ? Ce sont des pots-de-vin dont nous ne voulons pas ! Car si nous n’avons pas de terre, à quoi va nous servir l’argent ? La terre est ce que l’on a de plus précieux.

Ils pensaient qu’un peu d’argent pouvait suffire. Mais qui peut vendre sa fierté, son histoire, sa dignité, son existence, sa conscience ? Ce sont des pots-de-vin dont nous ne voulons pas !

Je ne vais pas faire de lavage de cerveaux pour que les druzes quittent l’armée, ils font ce qu’ils veulent, mais laissez-moi rappeler ceci : les druzes se sont battus pour la sécurité de l’État d’Israël et les guerres ont été nombreuses ici. Nous avons été nombreux à avoir donné notre sang, notre vie pour l’État d’Israël et la défense d’Israël. Il y a eu dans nos rangs des centaines d’invalides, des centaines de handicapés et de nombreux blessés. Et c’est comme ça que Monsieur Netanyahou remercie la communauté druze ?

Banderole représentant le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qualifié de « ministre du crime », dans le cadre d’une manifestation à Tel Aviv le 11 août 2018 (AFP)

Cela me chagrine vraiment qu’un homme élu par le peuple essaie de ruiner l’existence et la survie de l’État ainsi que la liberté et la démocratie. Je n’ai pas servi dans l’armée pour l’argent, mes enfants et mes petits-enfants non plus. J’espère vraiment que nous allons réussir à faire disparaître cette loi !

MME : Le gouvernement devait savoir qu’en votant cette loi, il provoquerait la colère des druzes. Alors pourquoi l’avoir fait ?

ZA : Le gouvernement a toujours minimisé et sous-estimé les réactions des minorités en Israël. À plusieurs reprises. Ils ne savent pas quel pouvoir nous avons, notamment en matière de défense territoriale, en matière de survie, car nous n’avons pas d’État. Je ne vais certainement pas aller vivre au Liban, ni en Syrie, encore moins en Égypte ou aux États-Unis. C’est mon pays et il le restera tant que je me battrai pour sa survie et pour les futures générations de druzes.

Nous avons été nombreux à avoir donné notre sang, notre vie pour l’État d’Israël et la défense d’Israël. […] Et c’est comme ça que Monsieur Netanyahou remercie la communauté druze ?

Avec cette loi, ils ignorent la Déclaration d’indépendance, ils ignorent le rêve des fondateurs d’Israël, ils sapent la démocratie israélienne, la survie, le destin, l’égalité et la réussite d’Israël. Ils sapent tout avec cette loi.

Et vous allez voir ce qui va se passer. Nous allons vers une détérioration de la société israélienne. Peu importe la force de la démocratie en Israël, avec cette loi, nous allons voir de nombreuses fissures dans ce mur solide. Des fissures entre les juifs et les druzes et, plus globalement, entre les juifs et les non-juifs. Mais soyez-en certain, la langue arabe continuera d’être parlée au Moyen-Orient, y compris en Israël.

MME : Pourquoi les druzes ont-ils toujours soutenu Israël ?

ZA : C’est vrai, nous sommes la communauté la plus fidèle au peuple juif, et ils le savent. Nous sommes très attachés à la terre, bien plus qu’à la communauté, car la terre continue d’exister sans la communauté alors que l’inverse n’est pas vrai. La terre, c’est l’élément le plus important, c’est la meilleure garantie pour les habitants d’Israël, y compris pour la communauté druze. Nous n’avons pas de meilleure garantie que notre terre.

Des membres de la communauté druze israélienne viennent assister à une célébration religieuse sur le tombeau sacré de Nabi Shuaib, dans le nord de l’Israël, le 25 avril 2018 (AFP)

Les juifs ont été pendant très longtemps une minorité sans terre et c’est pour cela qu’ils devraient nous comprendre mieux que quiconque. Ils sont venus ici et, avec notre aide, ils ont créé un grand pays, un État innovant, basé sur la haute technologie, sur une agriculture prospère.

MME : Regrettez-vous d’avoir tant donné à l’État d’Israël ?

ZA : Je ne regrette rien, j’ai investi ici en Israël, je suis fier de mon pays et de mon affiliation à cette terre. Maintenant, je vais me battre contre cette loi et j’ai tous les moyens pour le faire. J’ai le soutien des juifs d’Israël mais aussi des juifs de l’étranger.

C’est vrai, nous sommes la communauté la plus fidèle au peuple juif, et ils le savent. Nous sommes très attachés à la terre, bien plus qu’à la communauté, car la terre continue d’exister sans la communauté alors que l’inverse n’est pas vrai

Je suis optimiste. Avec cette unité, la loi va être modifiée ou supprimée. D’ailleurs, nous avons déjà prévu plusieurs réunions pour savoir quel va être notre plan d’attaque.  

Nous savons très bien que ce combat ne va pas durer 24 heures, mais nous sommes déterminés et nous allons nous battre en utilisant les moyens les plus démocratiques que nous avons à notre disposition, comme notre loyauté envers l’État, notamment en matière de sécurité et de défense.

MEE : Vous avez écrit en 1995 un livre intitulé Druze & Jews in Israel, a shared destiny ?. Le point d’interrogation montre-t-il que vous sentiez déjà à l’époque ce pays se « droitiser » ?

ZA : J’ai eu des doutes car l’extrême droite a commencé à se manifester dans les années 1990 et j’ai commencé à me poser des questions. J’ai donc écrit ce livre, qui est malheureusement devenu une réalité aujourd’hui. Le problème est que nous n’avons jamais été traités comme des personnes égales aux juifs. Pas dans le financement, ni dans les projets de construction, ni même dans le développement d’infrastructures pour les jeunes soldats druzes de l’armée.

Le problème est que nous n’avons jamais été traités comme des personnes égales aux juifs

Près de 60 % des nôtres qui ont construit leur maison sont aujourd’hui convoqués par la justice car ils n’avaient, soit disant, pas le droit de construire. Et maintenant, le gouvernement dit ne plus délivrer de permis, donc on ne peut pas construire.

Manifestation de citoyens palestiniens d’Israël contre la loi sur l’État-nation qui confère aux juifs jusqu’à 70 droits qui leur sont refusés (AFP)

Dans le même temps, si on regarde autour de nous, les juifs construisent tous les jours, partout, de nouvelles maisons. La ville d’à côté, Yoqnéam Illit, est devenue la plus prospère de la région. Et avec cette loi, cela va empirer ! Désormais, au tribunal, les juges vont se baser sur cette loi, donc nous allons tout perdre.

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Je ne suis pas en train de pleurnicher, je dis juste que cette politique est inacceptable ! Tout n’est pas uniquement pour le peuple juif et encore moins la terre. Les druzes sont et resteront une part indissociable de la terre d’Israël.

MME : Pensez-vous que ce gouvernement vive ces derniers mois ? 

ZA : Ce gouvernement n’a jamais été un gouvernement avec une réelle majorité, il a toujours été constitué d’une coalition et l’extrême droite est loin d’être la majorité. C’est seulement une dizaine de racistes qui mettent notre gouvernement à genoux. Benyamin Netanyahou veut juste rester au gouvernement, quel que soit le prix pour la communauté druze, pour la majorité des juifs, ou pour les Arabes israéliens, qui ont, eux aussi, été très fidèles envers l’État. Mais lui, la seule chose qui l’intéresse, c’est être Premier ministre !

Nous devons prier pour le changement de cette loi, pour qu’elle soit amendée ou annulée. Sinon, Israël deviendra un pays malade avec une société malade. Et comme tout le monde le sait, la maladie est une faiblesse dont personne n’a besoin

Monsieur Begin [ancien Premier ministre israélien] disait en son temps que tout gouvernement qui exerce son pouvoir de manière permanente ou du moins au-delà de deux mandats, c’est-à-dire huit ans, verra la minorité dominer la majorité. Et c’est ce qui se passe aujourd’hui. Nous devons prier pour le changement de cette loi, pour qu’elle soit amendée ou annulée. Sinon, Israël deviendra un pays malade avec une société malade. Et comme tout le monde le sait, la maladie est une faiblesse dont personne n’a besoin.

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