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La Mémoire créative de la révolution syrienne, un répertoire de l’incroyable richesse artistique née du soulèvement

La révolte populaire initiée en Syrie il y a huit ans a généré une extraordinaire créativité. Rencontre avec la graphiste syrienne Sana Yazigi, qui a ressemblé dans un site internet plus de 28 000 œuvres « pour ne pas oublier »
« Hope », graffiti dans la ville de Daraya, 2014, issu de l'ouvrage Chroniques de la révolte syrienne, des lieux et des hommes, 2011-2015 (avec l’aimable autorisation de Sana Yazigi)

En 2013, deux ans après le début du soulèvement populaire en Syrie, Sana Yazigi, graphiste syrienne originaire de Damas, lance le site internet La Mémoire créative de la révolution syrienne, qui recense et répertorie les œuvres des artistes syriens créées pendant la révolution.

La fièvre de collecter

« Dès les premiers mois du soulèvement, j’ai observé et été stupéfaite par la profusion d’œuvres artistiques. Je ne voulais pas que tout cela soit oublié ou effacé, je voulais garder une trace. Il y avait une fièvre de documenter ce qui était en train de se passer », déclare-t-elle à MEE.

Mohamad Omran, « De al-Bayda à Ras al-Nabeh », 2013, dessin. Le 11 avril 2011, les membres de la Sûreté syrienne et des chabiha pro-régime envahissent Bayda, arrêtent tous les hommes et les humilient
Mohamad Omran, « De al-Bayda à Ras al-Nabeh », 2013, dessin. Le 11 avril 2011, les membres de la Sûreté syrienne et des chabiha pro-régime envahissent Bayda, arrêtent tous les hommes et les humilient

« En arrivant à Beyrouth en 2012, j’ai commencé à collecter, rédiger, archiver. Je me suis rendu compte de la quantité d’œuvres créées, je me suis entourée d’une équipe pour tout rassembler. »

Youssef Abdelke, « Une martyre de Dara », 2012, dessin. Le 25 février 2011, lorsqu’un groupe d’enfants trace des slogans anti-Assad sur le mur d’une école, 21 d'entre eux sont arrêtés
Youssef Abdelke, « Une martyre de Dara », 2012, dessin. Le 25 février 2011, lorsqu’un groupe d’enfants trace des slogans anti-Assad sur le mur d’une école, 21 d'entre eux sont arrêtés

Le site rassemble aujourd’hui des centaines d’artistes et plus de 28 000 œuvres. Peinture, musique, graffiti, vidéo, caricature... toutes les formes d’expression artistique et populaire produites pendant la révolution y sont répertoriées. Un travail d’archives exceptionnel dans un contexte de crise.

Activistes du quartier de Jobar à Damas, « 3 Years », 2016, peinture murale. Selon un rapport de Human Rights Watch, le quartier est la cible de deux attaques chimiques en 2013. À l’aube, alors que la plupart des habitants sont encore endormis, le régime envoie des missiles chimiques sur la zone, faisant des centaines de morts parmi les civils
Activistes du quartier de Jobar à Damas, « 3 Years », 2016, peinture murale. Selon Human Rights Watch, le quartier est la cible de deux attaques chimiques en 2013, faisant des centaines de morts

« Les listes ont été établies petit à petit. On était tous en train de fuir le régime. Il y avait une atmosphère de méfiance et de peur. On travaillait anonymement. Beaucoup d’artistes étaient anonymes aussi. On retrouvait leurs œuvres sur des blogs ou des pages Facebook. On a enregistré des copies de tout ce qu’on a trouvé pour les archives », explique Sana Yazigi.

Imran Faour, « Al-Maadamiya, affamé à mort », 2013, design. En mars 2013, le gouvernement impose un siège total à la ville. En plus de lui avoir coupé l’accès aux denrées alimentaires et aux médicaments, il interdit désormais toute entrée ou sortie. Mouadamiya prend le surnom de « ville des affamés »
Imran Faour, « Al-Maadamiya, affamé à mort », 2013, design. En mars 2013, le gouvernement impose un siège total à la ville, ses habitants meurent de faim

« Petit à petit, quand je suis sortie de l’anonymat, j’ai pris contact avec les artistes. La plupart sont très heureux que le projet existe. Aujourd’hui encore, on découvre de nouvelles pièces qui n’avaient pas été rendues publiques par peur. »

Mémoire vivante

En plus du site internet, un livre a été publié et une exposition mobile a été mise en place. L’ouvrage Chroniques de la révolte syrienne, des lieux et des hommes, 2011-2015 se présente sous forme de répertoire alphabétique retraçant des faits propres à cinquante villes, villages et quartiers qui ont marqué l’histoire de la révolution syrienne depuis 2011.

Ahmad al-Khalil, sans titre, 2013, photographie. Malgré toutes les tentatives du gouvernement pour les faire plier, les habitants de Manbij continuent à manifester toute l’année 2013
Ahmad al-Khalil, sans titre, 2013, photographie. Malgré toutes les tentatives du gouvernement pour les faire plier, les habitants de Manbij continuent à manifester toute l’année 2013

Chaque texte est accompagné d’œuvres réalisées par des artistes provenant des lieux en question. Les chroniques reviennent sur le début du mouvement de révolte, ses vecteurs de mobilisation et ses dynamiques internes.

Activistes d’al-Malihah, « Il n’y a pas de révolutionnaire voleur… Il y a un voleur qui est devenu un révolutionnaire », 2013, graffiti. Durant l’année 2013, les habitants d’al-Malihah vivent une terrible situation humanitaire. Ils manquent de tout et surtout de pain, car les fours ne sont plus alimentés en farine
Activistes d’al-Malihah, « Il n’y a pas de révolutionnaire voleur… Il y a un voleur qui est devenu un révolutionnaire », 2013, graffiti. En 2013, al-Malihah connaît une terrible situation humanitaire

D’autres projets autour du site continuent de voir le jour, la plateforme ne cesse d’évoluer. Comme à travers la « Carte », qui relie les archives à leurs emplacements géographiques dans toute la Syrie, mais aussi aux dates, catégories, mots-clés ou auteurs.

Ammar al-Beik, « Timbre de la révolution syrienne », 2012, timbre. En décembre 2012, l’Armée syrienne libre prend le contrôle d’al-Muhasan. La ville est ensuite capturée par l’EI et subit les frappes aériennes du gouvernement
Ammar al-Beik, « Timbre de la révolution syrienne », 2012, timbre. En décembre 2012, l’ASL prend le contrôle d’al-Muhasan. La ville est ensuite capturée par l’EI et cible de frappes aériennes

L’expérience 2.0 offre un véritable voyage au cours duquel les lecteurs peuvent facilement découvrir les Syriens, leurs paroles, leurs rêves et leurs espoirs, mais aussi leurs souffrances et leurs tragédies.  

Mwafaq Katt, « Palmyre », 2015, caricature. En avril 2011, aux funérailles du conscrit Mohammed Awad al-Qanbar, les habitants de Palmyre manifestent pour la première fois. Le jeune homme a refusé d’ouvrir le feu sur les protestataires à Deraa, ce qui conduira à son exécution
Mwafaq Katt, « Palmyre », 2015, caricature. En avril 2011, aux funérailles d’un conscrit exécuté pour avoir refusé d’ouvrir le feu sur les protestataires, les Palmyrois manifestent pour la 1e fois

Il en est ainsi du projet « Les murs d’Idleb », où tous les graffitis de la ville de Saraqeb ont été archivés. Plus de 360 œuvres seront présentées dans une chronologie qui sera mise à jour régulièrement.

Rami Abbas, « Sans merci », 2014, dessin. Le 13 juillet 2012, au moment du massacre de Treymsseh, des dizaines de milliers de personnes défilent dans les rues du camp de Yarmouk pour exiger la levée du siège de Tadamon, quartier voisin de la capitale. La Sûreté tire à balles réelles, tuant des dizaines de personnes. Le lendemain, les funérailles des martyrs sont l’occasion de la plus grande manifestation qu’ait jamais vécue Damas
Rami Abbas, « Sans merci », 2014, essin. Le 14 juillet 2012, les funérailles des manifestants tués dans le camp de Yarmouk sont l’occasion de la plus grande manifestation qu’ait jamais connue Damas

Collecter les œuvres sous toutes leurs formes, telle est la mission de Sana Yazigi. « À terme, on aimerait intégrer les archives nationales car, après la guerre, la révolution doit faire partie de l’histoire de la Syrie, ces archives appartiennent à la mémoire collective. » 

« La révolution a fait naître un changement social et historique clair. »

Illustrations issues de La Mémoire créative de la révolution syrienne, reproduites avec l’aimable autorisation de Sana Yazigi.

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