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Algérie : pourquoi ni Bouteflika ni le régime ne peuvent réformer le système 

Un ADN répressif, la corruption qui gangrène le système et la personnalisation du pouvoir contredisent toutes les annonces de « réformes » prônées par des décideurs aux abois  
Mardi 19 mars, des milliers de médecins et d’universitaires ont manifesté dans tout le pays (AFP)

Au-delà de son incapacité physique, Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, ne pourra absolument pas réformer le système ou ouvrir la voie à ce qu’il qualifie de « nouvelle république ».

Pourquoi se permettre d’être aussi catégorique ? Tout simplement parce que ce qui n’a pas été fait en vingt ans ne peut être accompli en moins de deux ans – si on calcule, à peu près, le temps de la fameuse transition promise par le chef de l’État dans les différentes lettres qu’on lui attribue. 

Depuis son arrivée au pouvoir en 1999, le mot « réforme » est devenu un des leitmotivs du discours officiel. Trois grandes commissions de réforme ont été créées lors du premier mandat (1999-2004) : celle pour la réforme des structures de l’État, celle pour la réforme de la justice et enfin celle pour la réforme de l’éducation. Une véritable éruption de « réformes ». 

Aveuglement répressif

Ces commissions ont produit de lourds rapports. Elles ont été souvent dirigées par des équipes sincères et compétentes, au point que certains acteurs de la société civile ont commencé à nourrir des espoirs quant à une véritable refonte du système par ces trois importants piliers. 

Mais le résultat est tout autre. Même si quelques avancées ont été enregistrées, l’appareil de l’État, les pesanteurs idéologiques, la paranoïa des structures sécuritaires et le manque d’ambition des dirigeants ont fortement hypothéqué toute réforme réelle.

« Où sont les résultats de cette commission [de réforme des structures de l’État] ? Le président Bouteflika n’a pas informé les Algériens sur les difficultés qu’il a rencontrées pour organiser l’État. Les gouvernements successifs reproduisent les mêmes faiblesses, les mêmes pannes et les mêmes échecs », notait récemment l’ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche dans une interview accordée au quotidien arabophone El Khabar.

En parallèle, le système révéla ce qu’il y avait de pire en lui : non seulement son « irréformabilité », mais aussi sa tendance à l’aveuglement répressif. Plus de 130 jeunes ont été abattus par les forces de l’ordre entre 2001 et 2002 lors des manifestations en Kabylie qui se sont déclenchés d’abord en réaction à une bavure dont a été victime le 18 avril 2001 le lycéen Massinissa Guermah, 18 ans. 

La contestation a pris ensuite une ampleur exceptionnelle exigeant justice, reconnaissance identitaire et réelles réformes politiques. La réaction du pouvoir ? Des tirs ciblés de kalachnikovs et une minutieuse politique rusée de noyautage et de division des structures qui portaient cette révolte. 

Plus de 130 jeunes ont été abattus par les forces de l’ordre entre 2001 et 2002 lors des manifestations en Kabylie

On pourrait aussi rappeler l’épisode de 2011 et d’autres « réformes » proposées par le régime Bouteflika. Face aux vagues du Printemps arabe, le système aura deux réflexes : faire taire les dissensions entre la présidence et la police politique du DRS (ex-services secrets « officiellement » dissous en 2016) pour préserver l’outil répressif, et faire semblant de pousser vers des réformes institutionnelles. 

À l’époque, un haut cadre de l’État confiait à Middle East Eye : « La seule raison pour laquelle Abdelaziz Bouteflika compte réviser la Constitution, c’est parce que les Américains et les Français, depuis les révoltes arabes, le lui ont demandé afin de donner des garanties d’ouverture du régime. Mais dans le fond, la Constitution n’est pour lui qu’un texte de loi comme un autre, que l’on bricole au profit d’intérêts personnels. » 

Toujours en 2011, et commentant la « réforme » annoncée, Hichem, militant de la Coordination nationale pour la transition et les libertés démocratiques (CNTLD), un collectif de partis et de figures de l’opposition, déclarait à MEE : « Une Constitution peut parfois porter l’esprit d’une époque, un moment de la nation. Comme celle de 1996. Mais quel esprit portera celle-là dans un État où le réflexe autoritaire est encore un réflexe de survie ? Où les mécanismes démocratiques ne sont pas encore matures ? On va avoir une nouvelle Constitution, et après ? Tout le monde sait que ce n’est pas Bouteflika qui va instaurer un État de droit. »

Aujourd’hui, donc, la « réforme constitutionnelle » proposée encore une fois dans le plan de transition annoncé par Bouteflika le 11 mars n’est qu’une illusion, un contre-feu face à la colère populaire qui ne peut plus faire confiance à un régime qui a foulé au pied le texte fondamental à maintes reprises

Abdelaziz Bouteflika, avril 2014 (AFP)

Rappelons que Bouteflika et ses alliés dans le pouvoir ont commis un véritable hold-up constitutionnel, en 2008, en amendant à pas forcés la Constitution pour s’offrir un troisième mandat et se permettre de s’éterniser au pouvoir. 

« La Constitution n’est pas un cahier de brouillon », pouvait-on lire sur une pancarte lors de l’imposante manifestation à Alger vendredi 15 mars. En Algérie, opposition et société civile ne réclament pas plus que d’appliquer la loi au lieu d’en inventer de nouvelles. 

Abdelaziz Bouteflika, père de la paix et de l’impunité
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Alors que ce même système parle de réforme et de « nouvelle république », un juge, président de la cour pénale d’Alger, a été suspendu cette semaine pour avoir refusé les injonctions de sa chancellerie quant aux condamnations de jeunes manifestants. La police politique continue en toute impunité ses activités clandestines, opérant écoutes illégales et contrôles des télécommunications.

Des médias indépendants subissent pressions et chantage alors que des associations sont toujours sous le joug d’une réglementation arbitraire et liberticide. Des travailleurs du secteur public sont menacés par leur patron s’ils continuent les sit-in contre le pouvoir. Des oligarques poursuivent le pillage des ressources nationales, à coup de contrats publics faramineux, avec la complicité d’un appareil d’État gangréné par la corruption… Est-ce cela, les prémisses de la « nouvelle république » de Bouteflika ?!   

Aujourd’hui, plus que jamais, tous les effets de manche du système Bouteflika, en pleine déliquescence, ne dupent personne. Il s’agit uniquement de gagner du temps pour le triple objectif que s’est fixé ce qui reste du régime Bouteflika : essouffler la révolte, protéger les oligarques et organiser des funérailles nationales pour le chef de l’État. Pas plus. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye. 

Adlène Meddi est un journaliste et écrivain algérien. Ex-rédacteur en chef d’El Watan Week-end à Alger, la version hebdomadaire du quotidien francophone algérien le plus influent, collaborateur pour le magazine français Le Point, il a co-écrit Jours Tranquilles à Alger (Riveneuve, 2016) avec Mélanie Matarese et signé trois thrillers politiques sur l’Algérie, dont le dernier, 1994 (Rivages, sortie le 5 septembre). Il est également spécialiste des questions de politique interne et des services secrets algériens.
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