En Palestine, même se rendre sur la tombe de son père peut être une bataille de plusieurs décennies
Cette année, la Cour suprême israélienne entendra une requête déposée au nom d’une citoyenne palestinienne âgée de 70 ans qui ne demande qu’une chose : se rendre sur la tombe de son père.
L’histoire de Salwa Salem Copty, du village de sa famille et sa quête pour se rendre sur la tombe de son père ne vont malheureusement pas susciter l’attention qu’elles méritent auprès des journalistes et des diplomates.
Cependant, outre l’aspect humain, c’est un exemple individuel de la discrimination institutionnalisée d’Israël à l’encontre des Palestiniens qui ont la citoyenneté israélienne – et un aperçu du cœur du prétendu « conflit ».
Délais interminables
Salwa Salem Copty, née en juillet 1948, n’a jamais connu son père, tué quelques mois auparavant. Sa famille vivait dans le village de Ma’alul, à la périphérie de Nazareth, mais a été déplacée lorsque le village a été occupé et détruit par les forces israéliennes. Le cimetière où repose son père se trouve désormais dans l’enceinte d’une base militaire.
Depuis 2000, Salwa Salem Copty demande régulièrement aux autorités israéliennes de pouvoir aller au cimetière. Bien qu’aucun des organismes concernés n’ait explicitement rejeté ses demandes, ils n’ont pas non plus donné de raison justifiant ces délais interminables.
La santé de Salwa Salem Copty se détériorant, la requête déposée par le centre d’aide juridique Adalah auprès de la Cour suprême pourrait être sa dernière chance
En 2015, Salwa Salem Copty a été autorisée à pénétrer brièvement dans la base militaire, mais n’a pas été autorisée à accéder au cimetière. De manière troublante, Copty a constaté au cours de la visite « des fouilles sur un côté du cimetière et celles-ci avaient apparemment profané certaines tombes », exposant des squelettes.
La santé de Salwa Salem Copty se détériorant, la requête déposée par le centre d’aide juridique Adalah auprès de la Cour suprême pourrait être sa dernière chance. Selon Adalah, « c’est la première fois qu’une affaire relative à l’accès à un cimetière situé au sein d’une base militaire est portée devant les tribunaux ».
« Je veux que le monde sache »
Copty m’a confié ne pas savoir si elle devait avoir de l’espoir ou non. « Israël ne s’est jamais montré bon avec nous, avec tous les réfugiés. Je veux que le monde sache ce qu’ils font – cela fait 70 ans que j’attends. »
La destruction de Ma’alul pendant la Nakba, le nettoyage ethnique de la Palestine par les milices sionistes et les forces armées israéliennes pré-étatiques, fut le sort réservé à des centaines de villages palestiniens.
Après l’expulsion de ses habitants, le village a été démoli, à l’exception de deux églises et d’une mosquée. Comme le décrit l’ONG israélienne Zochrot, « le village est aujourd’hui recouvert d’une pinède plantée par le Fonds national juif », en plus de la base militaire.
Ma’alul a longtemps été une « zone militaire fermée ». Paradoxalement, le seul moment où les gens ont pu s’y rendre, c’était le « Jour de l’Indépendance » d’Israël. C’est seulement au cours des dix dernières années que les églises ont été restaurées ; auparavant, elles servaient d’abri pour les animaux.
Selon la législation israélienne visant à confisquer les terres des réfugiés palestiniens – la loi sur la propriété des absents –, même les Palestiniens expulsés de chez eux qui sont parvenus à rester à l’intérieur des lignes d’armistice, devenant de fait des déplacés internes, ont également perdu leurs propriétés. Bien qu’ils aient obtenu la citoyenneté israélienne, ils ont été classés comme « absents présents ».
Absents présents
Comme l’a formulé Hillel Cohen, un intellectuel israélien : « La politique d’Israël consistait à rompre tous les liens juridiques entre ces réfugiés et leurs villages et leurs terres. »
Les estimations du nombre d’« absents présents » varient, allant d’au moins 15 % des citoyens palestiniens d’Israël jusqu’à 25 %. Quoi qu’il en soit, il existe des dizaines de villages dont les habitants et les propriétaires légitimes n’habitent pas loin, mais sont empêchés de revenir.
L’ampleur des confiscations de terres qui ont eu lieu, lesquelles perdurent à ce jour en raison d’une législation discriminatoire, explique pourquoi les autorités israéliennes – soutenues par le pouvoir judiciaire – ont rejeté les efforts des citoyens palestiniens souhaitant retourner dans leurs communautés d’origine.
En 2003, la Cour suprême a rejeté une demande formulée par d’anciens habitants d’Iqrit souhaitant retourner chez eux. Au cours de l’affaire, l’État a affirmé qu’« accéder à cette demande aurait des implications stratégiques et considérables qui nuiraient aux intérêts vitaux d’Israël, car 200 000 autres citoyens déplacés ont également demandé à être autorisés à retourner dans leurs anciens villages ».
Dans un article publié en 2008 sur l’affaire Copty dans Haaretz, il a été rapporté que des responsables du ministère de la Défense avaient « déclaré que la demande [de se rendre sur la tombe de son père] n’avait pas encore été approuvée, de peur de créer un précédent ».
Expulsion et discrimination
L’histoire de Salwa Salem Copty est un exemple à l’échelle individuelle de l’expérience palestinienne d’expulsion et de discrimination – une histoire d’autant plus accablante que cette dame est citoyenne israélienne.
« Israël nous qualifie d’“absents présents” », m’a dit Copty, « et nous n’avons pas le droit de rentrer chez nous ni de jouir de nos propriétés. »
« Israël prétend être une démocratie face au monde, mais c’est un énorme mensonge »
- Salwa Salem Copty
« Israël prétend être une démocratie face au monde, mais c’est un énorme mensonge », a-t-elle ajouté. « Il est peut-être démocratique pour les juifs. Mais nous habitons à proximité de nos villages et nous ne sommes pas autorisés à nous y rendre ou à y retourner. »
La lutte de Copty pour se rendre sur la tombe de son père fait partie de ce qu’elle appelle, comme beaucoup de Palestiniens, « la Nakba en cours », une catastrophe de déplacement et de dépossession dont les Palestiniens continuent de souffrir et à laquelle ils résistent encore.
- Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy. Ses articles ont été publiés par divers médias, dont Middle East Monitor, Al Jazeera, al-Araby, Huffington Post, The Electronic Intifada, The Guardian et d’autres encore.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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