« Un endroit que je ne reconnais pas » : les Palestiniens commémorent 70 ans d’injustice israélienne
TZIPORI, Israël – La communauté agricole israélienne de Tzipori est jonchée d’indices d’un mode de vie disparu il y a sept décennies – du moins pour ceux qui sont préparés à les voir.
À proximité de bergeries et derrière un amas de figuiers de Barbarie se trouvent des tombeaux en ruines et des pierres délimitant des tombes. De l’autre côté de la vallée, le sol d’une forêt de pins est jonché de décombres, derniers vestiges à ce jour des centaines de maisons qui ont été rasées.
Et à l’entrée de Tzipori, un vieux mur de pierre entoure une petite source, où l’eau jaillit en abondance après les pluies hivernales.
La Nakba de 1948
Un million de Palestiniens chassés de chez eux
500 villages détruits ou dépeuplés
5,9 millions de réfugiés palestiniens en 2017
150 000 Palestiniens restés après 1948
Ce sont les vestiges de Saffuriya, un village palestinien qui existait depuis des centaines d’années près de la ville de Nazareth, en Basse Galilée – jusqu’à sa destruction en 1948.
Saffuriya est l’un des plus de 500 villages palestiniens rasés par l’armée israélienne lors d’événements connus en arabe sous le nom de « Nakba » (« catastrophe »). Quelque 750 000 Palestiniens ont été contraints à l’exil et dépossédés de leur patrie, alors qu’un État juif autoproclamé était construit sur les ruines.
Alors que le 18 avril dernier, conformément au calendrier hébreu, Israël célébrait officiellement le 70e anniversaire de la fondation de l’État – près d’un mois avant la commémoration de la Nakba par les Palestiniens, ce mardi 15 mai –, une partie importante de la population du pays ne se reconnaissait pas dans ces célébrations festives : les citoyens palestiniens d’Israël. Constituant un cinquième de la population, ils sont les descendants de ceux qui ont réussi à éviter l’expulsion du nouvel État d’Israël en 1948, lequel a été établi sur 78 % de la Palestine historique.
Aujourd’hui, ils sont environ 1,7 million.
Les opérations d’expulsion
La plupart des discussions sur les réfugiés palestiniens se concentrent sur les millions de personnes vivant dans des camps à travers le Moyen-Orient – au Liban, en Syrie, en Jordanie et dans les territoires occupés par Israël en Cisjordanie et à Gaza. On oublie généralement les centaines de milliers de Palestiniens qui vivent encore en Israël et qui sont devenus des déplacés internes suite à la Nakba.
De nombreux habitants de Saffuriya ont échappé aux soldats israéliens en 1948 et se sont cachés à Nazareth et ailleurs, dans des lieux épargnés par les opérations d’expulsion, a noté Ilan Pappé, historien israélien et auteur de l’ouvrage Le Nettoyage ethnique de la Palestine, qui étudie la Nakba.
« Ils ont été contraints de subir une seconde indignité en regardant leur cher village disparaître pour être réinventé sous la forme d’un moshav juif »
– Ilan Pappé, historien
Lorsqu’il était devenu évident qu’ils ne seraient pas autorisés à rentrer chez eux, les réfugiés de Saffuriya se sont lentement réinstallés à la périphérie de Nazareth, dans un nouveau quartier qu’ils ont appelé Safafra en hommage à leur ancien village, sur une colline qui le surplombe.
« Ils ont été contraints de subir une seconde indignité en regardant leur cher village disparaître pour être réinventé sous la forme d’un moshav juif [la communauté agricole de Tzipori] », a indiqué Pappé à Middle East Eye.
Presque du jour au lendemain, l’afflux de réfugiés de Saffuriya et d’autres villages détruits a doublé la population de Nazareth.
Les réfugiés se sont vu épargner une nouvelle expulsion seulement parce que le commandant israélien qui a attaqué Nazareth n’a pas réussi à en chasser les habitants.
« Présents et absents »
Israël ne tient aucun registre public, mais il est largement admis que près d’un quart de la minorité palestinienne d’Israël est constitué de réfugiés internes ou de leurs descendants.
La loi israélienne leur réserve même une appellation spéciale avec le titre orwellien de « présents absents » – présents en Israël mais absents de leurs villages.
Ces Palestiniens se trouvent dans une position similaire à celle des réfugiés en dehors d’Israël. Ils ont été privés de tout droit de récupérer leurs propriétés ou de retourner sur leurs terres – même en tant que citoyens israéliens.
« Je peux voir Saffuriya de chez moi à Nazareth, et il n’y a pas un jour où je ne pense à ce village et à ce qu’il signifiait pour nous »
– Abu Arab, réfugié originaire de Saffuriya
Ameen Muhammad Ali avait 13 ans en juillet 1948, lorsque les forces israéliennes ont attaqué Saffuriya et ont expulsé ses plus de 5 000 habitants.
« Tout ce que nous n’avions pas pu emporter avec nous a été saisi par Israël, a-t-il raconté à MEE. Nous avons dû recommencer nos vies à zéro. »
Aujourd’hui, l’homme âgé de 83 ans, mieux connu sous le nom d’Abu Arab, possède une petite boutique dans le marché de la vieille ville de Nazareth, mais considère toujours Saffuriya comme son véritable foyer.
« Je peux voir Saffuriya de chez moi à Nazareth, et il n’y a pas un jour où je ne pense à ce village et à ce qu’il signifiait pour nous. Je l’ai regardé se transformer en un endroit que je ne reconnais pas. »
La Marche du retour
Comme ils le font à l’occasion de chaque fête de l’indépendance d’Israël depuis trois décennies, les réfugiés internes palestiniens commémoreront leur Nakba avec une Marche du retour vers l’un des villages détruits.
Ainsi, le mois dernier, des dizaines de milliers de personnes ont organisé une procession vers un site situé sur la côte méditerranéenne, au sud de Haïfa, où une série de villages palestiniens ont été rasés par l’armée israélienne en 1948 dans le cadre d’opérations visant à empêcher le retour des réfugiés. Les participants se sont rassemblés près d’Atlit, qui est aujourd’hui une petite ville juive.
Abu Arab, l’un des fondateurs de l’Association pour la défense des droits des déplacés internes (ADRID), l’organe de représentation principal des réfugiés internes, a déclaré que la Marche du retour avait joué un rôle essentiel dans la sensibilisation des jeunes générations à ce qui s’était produit au cours de la Nakba.
Ziad Awaisi, un physiothérapeute de 43 ans dont les grands-parents ont été expulsés de Saffuriya et qui a grandi à Nazareth, est l’un des organisateurs.
« Aujourd’hui, la marche annuelle est de loin le plus grand événement du calendrier des Palestiniens en Israël », a-t-il déclaré à MEE.
« Nous marchons au nom de tous les réfugiés, pour les représenter parce qu’on leur refuse le droit de participer »
– Ziad Awaisi, descendant d’une famille de Saffuriya
Au fil des ans, celle-ci a acquis un symbolisme énorme pour les Palestiniens à travers le Moyen-Orient, dont la plupart sont interdits d’entrée en Israël.
Les Palestiniens de Gaza ont notamment adopté le même nom – la Marche du retour – pour les protestations qu’ils mènent à la barrière frontalière avec Israël depuis plusieurs semaines. L’armée israélienne a riposté avec des tirs de snipers qui ont tué des dizaines de manifestants et fait plusieurs centaines de blessés jusqu’à présent.
« Notre marche vers les villages détruits est suivie de près par tous les Palestiniens, mais surtout par les réfugiés dans les camps, a indiqué Awaisi. Elle leur montre qu’on ne les oublie pas et que nous sommes toujours à leurs côtés. »
Chaque fois, les organisateurs recherchent des réfugiés originaires du village détruit mis à l’honneur par la marche – lesquels se trouvent souvent dans les camps de la région – pour qu’ils transmettent un message vidéo aux participants.
« C’est une lourde responsabilité pour ceux d’entre nous qui sont à l’intérieur de “48” », a ajouté Awaisi, en référence aux parties de la Palestine historique qui sont devenues Israël en 1948.
« Nous marchons au nom de tous les réfugiés, pour les représenter parce qu’on leur refuse le droit de participer. »
Violences policières
Il y a dix ans, lors de la 60e fête de l’indépendance d’Israël, la marche de la Nakba s’est déroulée près de Saffuriya. Ce lieu avait été choisi en partie parce que les habitants de Saffuriya forment l’une des plus importantes populations de réfugiés en Israël.
Mais l’événement s’est terminé dans la violence lorsque la police anti-émeute israélienne a affronté les participants à la marche alors qu’ils sortaient d’une clairière, où ils avaient écouté des discours de dirigeants communautaires.
La police a lancé des grenades lacrymogènes et assourdissantes sur une foule dans laquelle se trouvaient des familles. Brandissant des matraques, des policiers à cheval ont chargé les manifestants, faisant plusieurs dizaines de blessés, dont deux députés palestiniens au Parlement israélien, la Knesset.
Ces événements ont marqué un changement radical dans l’attitude d’Israël envers les marches de la Nakba.
Selon Awaisi, qui faisait partie des victimes de l’attaque de la police, les autorités israéliennes avaient été surprises par la forte participation cette année-là et espéraient qu’une réponse violente aurait dissuadé les manifestants d’organiser d’autres marches.
« Ils comprennent que la marche est un événement national qui nous unit en tant que communauté pour revendiquer nos droits. Cela les effraie et c’est la raison pour laquelle ils ont accru chaque année les restrictions liées à la marche. »
Selon Ilan Pappé, qui enseigne aujourd’hui à l’Université d’Exeter, en Angleterre, la plupart des Israéliens considèrent la marche non pas comme une protestation visant à défendre les droits des réfugiés, mais comme la preuve, selon eux, de l’extrémisme grandissant des Palestiniens.
« La marche gêne les Israéliens parce qu’elle leur rappelle que les revendications de la minorité palestinienne sont liées à ce qui s’est passé en 1948 », a-t-il déclaré à MEE.
« L’événement est perçu comme provocateur et subversif. En fait, depuis 2000 et le déclenchement de la seconde Intifada, les gouvernements israéliens considèrent toute affirmation du nationalisme palestinien comme un acte de terrorisme contre l’État. »
La loi Nakba
Illustrant un climat d’intolérance grandissant, le gouvernement de Benyamin Netanyahou a adopté en 2011 la loi Nakba, qui prive les institutions publiques israéliennes, y compris les écoles, les universités et les bibliothèques, de financements si elles commémorent la Nakba.
Mais en pratique, la loi a eu un effet contre-productif, puisque la Nakba s’est retrouvée plus que jamais au centre de l’attention. Les manifestations récentes font partie des plus importantes de l’histoire de l’événement et attirent de plus en plus la jeune génération de citoyens palestiniens d’Israël.
« Les jeunes forment désormais l’épine dorsale de la marche. L’événement diffuse un sentiment d’unité qui fait défaut dans d’autres domaines de la vie des Palestiniens »
– Ilan Pappé, historien
D’après Awaisi, divers facteurs permettent d’expliquer la popularité croissante de la marche : réaction contre la loi Nakba, réseaux sociaux qui facilitent la sensibilisation à l’événement, et une nouvelle génération de Palestiniens – moins traumatisée par la Nakba et davantage disposée à affronter les autorités.
En outre, a-t-il ajouté, les jeunes ont vu la commémoration de la Nakba comme un moyen de nuire aux politiques israéliennes visant à diviser pour mieux régner en fragmentant les Palestiniens au sein de différentes enclaves territoriales.
La Nakba, a-t-il expliqué, est un traumatisme unificateur qui a reconnecté les Palestiniens d’Israël à ceux du reste de la Palestine historique et aux réfugiés vivant en exil.
Ilan Pappé partage cet avis. « Les jeunes forment désormais l’épine dorsale de la marche. C’est une protestation de masse contre la catastrophe à laquelle les Palestiniens sont toujours confrontés. L’événement diffuse un sentiment d’unité qui fait défaut dans d’autres domaines de la vie des Palestiniens. »
Privés de retour dans leurs villages
Malgré leur citoyenneté israélienne, les réfugiés internes sont bloqués par une série de mesures légales et administratives qui les empêchent d’accéder à leurs anciennes terres.
D’après Suhad Bishara, avocate au sein d’Adalah, un centre juridique qui s’adresse aux Palestiniens d’Israël, Saffuriya et d’autres villages détruits ont été transformés dans les faits en zones interdites aux citoyens palestiniens par deux lois : la loi de 1950 sur la propriété des absents et la loi de 1953 sur l’acquisition de terres.
Le premier texte de loi a privé de leurs droits sur leur maison et propriété les Palestiniens qui ont été absents de leur village pendant une seule nuit au cours des nombreux mois de combats survenus en 1948. La seconde loi a autorisé une saisie massive de terres – environ 120 000 hectares – aux citoyens palestiniens, en majorité des réfugiés internes.
« En vertu de la loi sur la propriété des absents, les réfugiés n’ont pas été autorisés à rentrer chez eux ou à prétendre à une indemnisation, même s’ils étaient des citoyens [israéliens] », a-t-elle expliqué à MEE.
À LIRE : Si cela arrivait chez nous, cela ferait scandale. En Israël, c’est la norme
La position de l’État a été confirmée par les tribunaux israéliens dans des affaires qui ont fait jurisprudence concernant les villages de Biram et d’Ikrit.
Ces deux communautés palestiniennes de Haute Galilée ont été rasées après que l’armée israélienne a évacué leurs habitants en 1948, alors même qu’ils s’étaient vu adresser des promesses écrites quant à leur retour.
Les recours juridiques ont pris fin en 2003 lorsque la Cour suprême israélienne a soutenu les arguments du gouvernement rejetant les droits des villageois.
Ilan Pappé a expliqué que la cour était extrêmement inquiète à l’idée d’offrir un soutien juridique aux réfugiés internes. « Elle craint d’ouvrir une boîte de Pandore et que d’autres villages ne puissent se servir d’une telle décision comme d’un précédent en matière de droit au retour. »
« La cour a décidé que c’était la nationalité [palestinienne] des réfugiés qui déterminait leur statut, et non leur citoyenneté israélienne. Le tribunal a donc accepté de suspendre les droits constitutionnels des réfugiés en tant que citoyens. »
« Mémoricide »
À la place, les terres et propriétés des villages comme Saffuriya ont été transférées sous la tutelle temporaire d’un responsable israélien connu sous le nom de « gardien des propriétés des absents ».
La responsabilité du gardien, a déclaré Bishara, « est de protéger les propriétés jusqu’à ce que la situation des réfugiés soit résolue conformément au droit international ».
Mais dans leur correspondance avec Adalah, les responsables israéliens ont affirmé que les réfugiés avaient définitivement perdu tout droit sur leurs propriétés, a noté Bishara. La plupart de leurs terres ont été vendues à une autorité de développement dans les années 1950.
« À notre avis, même lorsque les propriétés étaient vendues, les revenus tirés des ventes continuaient d’incomber aux absents et non à Israël », a indiqué Bishara.
Sur les terres d’un grand nombre des villages détruits, de nouvelles communautés juives ont été établies pour empêcher tout retour des réfugiés.
Les vastes terres de Saffuriya, par exemple, ont été colonisées à partir de 1949 par des juifs d’Europe de l’Est et le site a été rebaptisé Tzipori. Aujourd’hui, environ 300 familles juives y vivent.
Selon les analystes, après la Nakba, Israël a entamé la mise en œuvre d’un processus en deux étapes visant, d’une part, à dissimuler les preuves d’une présence palestinienne historique pour légitimer le vol de terres et, de l’autre, à imposer un système strict de ségrégation résidentielle en Israël afin s’assurer qu’aucun citoyen palestinien ne puisse remettre le pied sur ses anciennes terres.
Pappé a décrit la première étape comme un « mémoricide ».
Une organisation sioniste internationale, le Fonds national juif, a été chargée de planter des forêts de pins de style européen sur les ruines des villages palestiniens tels que Saffuriya afin de masquer les traces des villages palestiniens d’origine et créer un obstacle physique immédiat pour empêcher les réfugiés de reconstruire leurs villages.
Ilan Pappé a évoqué un célèbre adage habituellement attribué au père fondateur d’Israël, David Ben Gourion, au sujet des réfugiés palestiniens : « Les anciens mourront et les jeunes oublieront ».
« Israël a cherché activement à créer cet oubli et les forêts de pins avaient pour but de contribuer à effacer ces souvenirs », a-t-il expliqué.
« Paradoxalement, les forêts sont devenues les indicateurs les plus évidents pour aider les jeunes Palestiniens d’Israël à identifier les endroits où les villages ont été enfouis. »
À Tzipori, la forêt plantée au-dessus des maisons des réfugiés est baptisée en hommage à l’indépendance du Guatemala en 1821. Cela renvoie également aux relations historiques obscures entretenues par Israël avec les gouvernements militaires guatémaltèques.
Dans les alentours, d’autres forêts honorent Winston Churchill, Premier ministre britannique à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, Lord Balfour, l’auteur de la déclaration Balfour qui a promis aux sionistes une patrie en Palestine, ou encore Coretta Scott King, veuve de Martin Luther King, le chef du mouvement des droits civiques aux États-Unis.
D’autres ont encore été nommées en référence à des pays tels que l’Afrique du Sud et le Canada, dont la population a versé des fonds pour acheter des arbres.
« C’était un moyen pour Israël de relier les forêts à des États étrangers et de conférer une légitimité internationale à ces actes de nettoyage ethnique et de mémoricide », a observé Pappé.
Comités d’admission
Même après avoir détruit les villages et planté des forêts au-dessus de ce qu’il en restait, les responsables israéliens craignaient que les Palestiniens, en particulier les réfugiés internes, ne cherchent à accéder aux centaines de communautés juives rurales construites sur leurs anciennes terres.
Ils ont donc créé des comités d’admission pour contrôler les candidats souhaitant intégrer les communautés juives telles que les kibboutz et les moshav, qui occupaient la majeure partie du nouveau territoire israélien.
« Pour la première fois, il y aura une base juridique explicite pour justifier une discrimination raciste »
– Suhad Bishara, avocate au sein d’Adalah, au sujet de la loi fondamentale d’Israël
Depuis plusieurs décennies, ces comités veillent à ce que ces communautés restent exclusivement juives. Pendant la majorité de cette période, les citoyens palestiniens ont été tout simplement rejetés en raison de leur appartenance ethnique, a expliqué Bishara.
Confronté aux défis juridiques de cette politique à travers les années 2000, le gouvernement Netanyahou a adopté en 2011 la loi relative aux comités d’admission, qui autorise plus de 400 communautés rurales comme Tzipori à interdire les citoyens palestiniens au motif qu’ils seraient « socialement ou culturellement inadaptés ».
Un projet de nouvelle loi fondamentale initié par le gouvernement, actuellement présenté devant le Parlement et qui définit Israël comme l’État-nation du peuple juif, permettra expressément la ségrégation basée sur des critères nationaux ou religieux. Le journal libéral israélien Haaretz a récemment averti que cette mesure garantirait que les communautés rurales resteraient « vides d’Arabes ».
« Pour la première fois, il y aura une base juridique explicite pour justifier une discrimination raciste qui nie purement et simplement ne serait-ce que tout principe théorique d’égalité », a expliqué Bishara.
Des regrets, mais pas de culpabilité
Guy Kruger, un pacifiste israélien de 32 ans qui vit à Tzipori, a affirmé à MEE qu’il était « attristé de constater que la vie qu’il y avait auparavant a disparu. » Il a toutefois ajouté : « Bien que je regrette ce qui s’est passé [en 1948], il fallait le faire. C’était une nécessité pour le peuple juif. J’éprouve des regrets, mais pas de culpabilité. »
Selon Kruger, dont la famille est arrivée d’Afrique du Sud, les habitants juifs de Tzipori sont divisés quant au fait de nouer des contacts avec les réfugiés vivant à proximité, à Nazareth.
« Les voisins et les amis expriment souvent l’opinion que […] les Arabes […] se sont enfuis au lieu d’avoir été chassés »
– Guy Kruger, activiste pacifiste israélien
« Un petit nombre d’entre eux sont libéraux et ouverts à l’idée d’un dialogue. Mais la majorité d’entre eux sont indifférents et ne s’intéressent pas aux réfugiés », a-t-il expliqué.
La maison et les bergeries de la famille de Kruger se trouvent à quelques encablures des ruines du cimetière de Saffuriya. S’il se souvient du site qu’il a connu dans son enfance, il a confié qu’il n’avait jamais réfléchi à sa signification.
« Les voisins et les amis expriment souvent l’opinion que ce sont les Arabes qui ont attaqués en premier, qu’ils ont fui sur les ordres de leurs dirigeants ou qu’ils se sont enfuis au lieu d’avoir été chassés. »
Bien que des chercheurs tels qu’Ilan Pappé aient réfuté ces affirmations, elles perdurent dans l’esprit de la grande majorité des juifs israéliens.
Bombardés au crépuscule
Abu Arab se souvient des avions de guerre israéliens qui ont largué leurs bombes sur les maisons de Saffuriya en juillet 1948, juste au moment où les familles s’asseyaient pour rompre le jeûne du Ramadan. Le lendemain, à l’aube, des soldats israéliens sont arrivés pour procéder aux expulsions.
Comme d’autres familles, la famille d’Abu Arab a fui vers le nord, en direction du Liban. L’aîné de ses trois frères et sœurs, Taha Muhammad Ali, aujourd’hui décédé, est devenu plus tard un poète palestinien de renom qui a souvent écrit au sujet de la Nakba et de Saffuriya.
Peu de temps après l’arrivée de la famille au Liban, Abu Arab a perdu sa jeune sœur, probablement morte d’épuisement dû à la chaleur. « Ma mère avait le cœur brisé, a-t-il raconté. Elle s’asseyait tous les jours à sa tombe, rongée par le chagrin. »
Quelques mois plus tard, lorsqu’il était devenu clair qu’Israël n’avait aucune intention de laisser les réfugiés revenir, désignant ceux qui revenaient comme des « infiltrés » et autorisant les soldats à les abattre à vue, la famille a décidé de tenter le périlleux voyage vers Saffuriya.
Ils y ont découvert que le village avait disparu et que leurs anciennes maisons se trouvaient désormais dans une zone militaire fermée.
« Nous avions tout perdu. Notre maison, nos terres agricoles, nos biens, tout avait été pris par le gouvernement israélien », a-t-il raconté.
Ses frères et lui ont progressivement reconstruit leur vie à Nazareth, tout d’abord en vendant des gâteaux dans la rue, puis en économisant suffisamment pour permettre à chacun d’acheter un magasin. Abu Arab vend aujourd’hui des artefacts provenant du passé de la Palestine, comme des tapis en peau de mouton, des chaudrons en cuivre usés et des pièces de monnaie du mandat britannique.
Il a également créé un musée à Safafra pour aider la jeune génération à comprendre un mode de vie qui a pratiquement disparu depuis la destruction de villages tels que Saffuriya.
Une communauté partagée ?
Abu Arab pense que les réfugiés retourneront un jour dans leurs villages et qu’ils pourront vivre en paix aux côtés des juifs israéliens qui ont pris leurs terres. Guy Kruger est moins sûr, pour sa part, de la possibilité d’une telle intimité résidentielle dans le climat politique actuel.
« Je serais moi-même ravi de vivre dans une communauté partagée. Mais je fais partie d’une petite minorité », a-t-il expliqué.
« Le problème pour la plupart des habitants est qu’ils veulent se sentir chez eux à Tzipori et qu’ils pensent que les juifs et les Arabes sont trop différents. Ils ne veulent pas de gens étranges ou différents parmi eux. »
« Le sionisme est une idéologie dépassée qui empêchera toute paix significative tant qu’elle sera mise en œuvre »
– Abu Arab, réfugié originaire de Saffuriya
Il a souligné que des différends houleux opposaient déjà les familles juives vivant à Tzipori, en particulier les familles anciennes d’agriculteurs et les nouveaux venus qui travaillent principalement dans des bureaux des villes voisines et qui préfèrent un mode de vie banlieusard.
« Si l’on ajoute les Arabes à ce mélange, ce serait un cocktail explosif », a-t-il affirmé.
Selon Abu Arab, il est temps de mettre un terme au genre de mentalité qui a permis aux juifs israéliens de prétendre que les terres étaient en grande partie vides d’habitants avant que les juifs ne s’installent en Palestine.
« Le sionisme est une idéologie dépassée qui empêchera toute paix significative tant qu’elle sera mise en œuvre, a-t-il soutenu. Il est temps de penser autrement. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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