Algérie : un député controversé prend la tête du FLN
Mohamed Djemaï, 48 ans, homme d’affaires à la réputation sulfureuse, a été « élu » secrétaire général du parti du Front de libération nationale (FLN) mardi dernier, à Alger, lors d’une réunion à huis-clos.
Député depuis dix-sept ans, vice-président de la chambre basse du Parlement durant neuf ans, Mohamed Djemaï a été l’un des plus enthousiastes soutiens du quatrième et du cinquième mandat du président déchu Abdelaziz Bouteflika.
Il remplace Moad Bouchareb, un autre jeune loup du vieux parti, qui est également président du Parlement : ce dernier avait été parachuté à ces deux postes par le cercle présidentiel.
Décalage avec le mouvement populaire de contestation
Bouchareb, inconnu jusque-là de l’opinion publique, avait remplacé à la tête du parti présidentiel l’ex-ministre Djamel Ould Abbes, « démissionné » de force par le cercle des Bouteflika en novembre 2018. Ce dernier se réclame toujours patron du FLN. Il est la cible, comme sénateur, d’une procédure de levée de son immunité parlementaire pour des affaires de corruption.
Djamel Ould Abbes, Moad Bouchareb et Mohamed Djemaï ont un point en commun radicalement opposé au mouvement populaire qui secoue l’Algérie depuis le 22 février : ils ont milité énergiquement pour un cinquième mandat de l’ex-chef de l’État Abdelaziz Bouteflika.
En février 2019, Moad Bouchareb a même déclaré lors d’un meeting du FLN à Oran (ouest) : « Dieu envoie dans chaque contrée des réformateurs […] En 1999, Allah a envoyé le président Abdelaziz Bouteflika pour réformer la nation algérienne ».
Début février, à quelques jours des grandes manifestations contre le cinquième mandat de Bouteflika, sur France 24, Mohamed Djemaï « était allé jusqu’à considérer qu’il n’y avait pas encore en Algérie une personne capable de concurrencer Abdelaziz Bouteflika pour le poste de président de la République », comme le rappelle le quotidien privé El Watan.
Pour se défendre, le désormais patron du FLN avance que « le parti a été ravi à ses militants à cause d’une gestion par téléphone du FLN par des forces non constitutionnelles ».
« Nous demandons pardon au peuple algérien »
- Mohamed Djemaï, nouveau patron du FLN
Lors d’une conférence de presse tenue le lendemain de son élection à la tête du FLN, Djemaï déclara : « Nous demandons pardon au peuple algérien et on fera un nouveau départ en tirant les leçons de nos erreurs ».
Le FLN honni par les Algériens
Les centaines de milliers de manifestants répètent depuis des semaines les mêmes slogans contre le parti FLN, devenu aux yeux d’une majorité d’Algériens un appareil du pouvoir et un repère de la corruption politique.
Djemaï s’était distingué au Parlement, en 2015, en s’opposant fermement à la décision du gouvernement de rendre obligatoire le paiement par chèque de toutes les transactions supérieures à un million de dinars (environs 7 500 euros).
Cette mesure avait pour but de limiter les échanges d’argent dans le marché informel, un véritable fléau économique en Algérie.
À l’époque, le président de la commission parlementaire des finances et du budget, Zebbar Berrabah (FLN) avait dénoncé cette attitude, qualifiant Djemaï de « député qui a réussi à entrer au Parlement grâce au pouvoir de l’argent ».
Ces évolutions interviennent dans un contexte tendu. Les manifestations pour un changement radical du système politique ne faiblissent pas alors que les autorités, à leur tête l’armée, maintiennent la feuille de route d’une présidentielle le 4 juillet prochain.
Et c’est dans ce contexte aussi que l’opération « mains propres » lancée ces dernières semaines par la justice, à la demande du chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, contredit la nomination d’un patron du FLN soupçonné de fait de corruption par les propres cadres du parti.
Pour un observateur algérois, « cette désignation renseigne sur l’état de délabrement du FLN et sur la puissance des forces de l’argent ».
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