Algérie : le chef de l’armée maintient le cap du « 4 juillet »
Alors qu’opposition et manifestants rejettent l’application de la feuille de route des autorités de gestion de l’après-Bouteflika débouchant sur l’organisation d’une présidentielle le 4 juillet, le chef de l’armée vient de trancher en faveur du respect des délais constitutionnels.
S’exprimant à partir de Ouargla, dans le sud algérien, où il poursuit ses tournées d’inspection, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah a déclaré lundi 20 mai : « La tenue des élections présidentielles mettra un terme » aux desseins « de tous ceux qui tentent de faire perdurer cette crise ».
« Il est certain que l’étape principale [consisterait à] accélérer la création et l’installation de l’instance indépendante pour l’organisation et la supervision des élections », a-t-il poursuivi, rejoignant la proposition du chef de l’État par intérim Abdelkader Bensalah.
« Impossible d’organiser des présidentielles »
Cette déclaration très attendue en Algérie intervient au lendemain de la clôture des dépôts de candidature pour la présidentielle du 4 juillet.
Sur les 74 dossiers déposés, l’identité de trois prétendants au poste suprême seulement est connue : Ali Ghediri, ex-général-major ; Abdelaziz Belaïd, président du parti Djabhat el Moustaqbal (Front du futur), un ex-dirigeant d’organisation satellite du FLN ; et enfin Belkacem Sahli, président de l’Alliance nationale républicaine, un parti pro-pouvoir ayant soutenu l’ex-président déchu Abdelaziz Bouteflika.
« Il est quasiment impossible d’organiser des présidentielles dans les délais fixés », insistait encore le 8 mai le sociologue engagé Nacer Djabi, sur les ondes de la radio publique, alors que des maires et des magistrats refusent publiquement d’encadrer les préparatifs et l’opération de vote.
Les manifestants refusent que les résidus du système Bouteflika soient les organisateurs de ce scrutin
Ces derniers vendredis, les dizaines de milliers de manifestants à travers le pays ont scandé des slogans contre l’organisation de cette présidentielle. Avec une partie de l’opposition, ils refusent que les résidus du système Bouteflika soient les organisateurs de ce scrutin.
Le message du chef d’état-major exprime aussi une fin de non-recevoir à la récente proposition des trois personnalités nationales. Dimanche dernier, l’ancien ministre des ex-présidents Houari Boumédiène et de Chadli Bendjedid, Ahmed Taleb Ibrahimi, l’ex-général et opposant Rachid Benyelles et l’avocat défenseur des droits de l’homme Ali Yahia Abdenour, publiaient un appel au report de la présidentielle et au dialogue entre l’armée et « des figures représentatives du mouvement citoyen, des partis et des forces politiques et sociales qui le soutiennent ».
« Le maintien de la date du 4 juillet ne pourra que retarder l’avènement inéluctable d’une nouvelle République », écrivent les trois personnalités respectées par une bonne partie de l’opinion. « Car comment peut-on imaginer des élections libres et honnêtes alors qu’elles sont d’ores et déjà rejetées par l’immense majorité de la population parce qu’organisées par des institutions encore aux mains de forces disqualifiées, opposées à tout changement salutaire ? ».
L’initiative a été saluée par une majorité de la classe politique et qualifiée de « voie la plus sûre et la moins coûteuse pour notre pays » selon l’opposant et ex-chef de gouvernement Ali Benflis. Le commandement de l’armée ne semble avoir entendu qu’une partie de l’appel, celui concernant l’ouverture d’un dialogue. Mais en posant ses propres conditions.
Le patron de l’armée, qui garde aussi le portefeuille de vice-ministre de la Défense, exige d’abord que soit « [revue] la manière d’organiser les manifestations et la nécessité de les encadrer par des personnes ayant un esprit nationaliste responsable ».
Jusqu’à présent, les manifestations massives se sont caractérisées depuis le 22 février, date du déclenchement du mouvement populaire, par un pacifisme qui force le respect de l’opinion mondiale. Mais ce qui gêne le plus le patron de l’armée, c’est autre chose : il souhaite que le niveau des exigences des Algériens soit revu à la baisse.
Ahmed Gaïd Salah qualifie de « revendications irrationnelles » les demandes de départ des responsables de l’ère Bouteflika : le Premier ministre Noureddine Bedoui, le chef de l’État Bensalah… et Gaïd Salah lui-même, ciblé dernièrement comme symbole de l’ancien régime.
« L’exigence du départ collectif de tous les cadres de l’État, sous prétexte qu’ils représentent les symboles du système est une revendication non objective et irraisonnable, voire dangereuse et malveillante, qui vise à déposséder les institutions de l’État de ses cadres et les dénigrer », a dénoncé Ahmed Gaïd Salah.
Menaces contre les « comploteurs »
Dans le même mouvement, il appelle à l’émergence de « vrais représentants » qui se distinguent « par leur sincérité et leur intégrité pour transmettre les revendications légitimes de ces marches », pour un dialogue avec les « institutions de l’État ». La question de trouver des représentants qui ne reflètent pas le « dégagisme » de la majorité des manifestants risque d’être problématique. À moins qu’ils ne soient… « désignés ».
Le chef de l’armée appelle à l’émergence de « vrais représentants » du mouvement populaire
Le chef d’état-major poursuit en menaçant encore une fois les « individus ayant des plans suspects » et ceux qui « s’évertuent à mettre les avantages de leurs fonctions essentiellement au service de leurs intérêts personnels, croyant à tort que continuer, voire insister, à manigancer des complots et des conspirations », les accusant de vouloir « affaiblir l’armée », avertissant « ceux impliqués dans le complot contre l’Armée nationale populaire et l’Algérie, en commettant des actes criminels ».
« Ceux-là même qui ont démontré par ces positions qu’ils sont les ennemis de toute démarche salutaire, même si elle est en faveur du pays, car leur parcours professionnel témoigne qu’ils n’ont rien donné à cette armée, pour la simple raison qu’ils se sont affairés à réaliser leurs intérêts personnels étroits », précise Ahmed Gaïd Salah, faisaient référence aux ex-hauts gradés des services du renseignement, Mohamed « Toufik » Mediène et Athmane « Bachir » Tartag, incarcérés depuis début mai pour « complot ».
L’allusion est faite aussi au général à la retraite Hocine Benhadid, arrêté la semaine dernière pour avoir interpellé dans une lettre publiée par la presse le patron de l’armée.
La secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune, figure de la politique algérienne depuis la fin des années 1980 a été, elle aussi, emprisonnée sur ordre du procureur militaire le 9 mai.
Accusée d’avoir participé à une machination avec Saïd Bouteflika, le frère du président déchu et les ex-généraux Mediène et Tartag, sa demande de liberté provisoire a été rejetée ce lundi 20 mai.
Quand la solution devient un problème
Le chef du groupe parlementaire du PT a affirmé que « se réunir avec Saïd Bouteflika et le général Toufik n’est pas suspect pour la cheffe d’un parti politique à qui on a demandé son avis sur une situation donnée concernant l’Algérie ». Hanoune a déclaré aux magistrats militaires, selon son avocat, qu’elle a rencontré Mediène et le frère de l’ex-président en croyant que la rencontre était à l’initiative de ce dernier.
Mediène, Tartag et Saïd Bouteflika sont accusés par Gaïd Salah d’avoir voulu imposer une transition extra-constitutionnelle pour gérer l’après-Bouteflika… en sacrifiant le patron de l’armée, éternel rival de Mohamed Mediène.
« Un énième coup de force électoral »
- Le Front des forces socialistes
Dans le paradigme qui sous-tend les sorties du chef de l’armée et de certains médias officiels ou proches du régime, toute proposition pour une transition autre que celle imposée par les autorités serait un « complot ». D’où les craintes en Algérie d’un durcissement autoritaire.
« Personne n’a entravé ‘’la solution constitutionnelle’’, elle n’est tout simplement pas une solution mais un problème », a réagi Mohcine Belabbas, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). Pour le Front des forces socialistes (FFS), « les initiateurs de cet agenda politique s'apprêtent à opérer un énième coup de force électoral », alors que la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) exprime son inquiétude : « Le maintien de cette élection est un risque pour la cohésion et la stabilité nationale ».
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].