Algérie : l’impossible élection du 4 juillet
L’idée était belle. Une véritable opération de com. Organiser une élection présidentielle le 4 juillet en Algérie, en annoncer les résultats le lendemain et présenter cela comme un cadeau que le pays s’offrirait à lui-même pour l’anniversaire de son indépendance.
Ce serait un coup superbe, comme en rêvent beaucoup de gouvernants en difficulté, en vue de boucler la période de contestation entamée le 22 février et qui a déjà emporté le président Abdelaziz Bouteflika, son premier ministre Ahmed Ouyahia et une bonne partie de la classe politique.
Hélas pour le général Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée et nouvel homme fort du pays, le coup a foiré dès le premier vendredi qui a suivi la désignation de M. Abdelkader Bensalah pour assurer l’intérim de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, contraint à la démission.
Le général Gaïd Salah avait privilégié la voie constitutionnelle, en poussant M. Bouteflika vers la sortie pour le remplacer par le président du Sénat, conformément à l’article 102 de la Constitution.
Ce légalisme affiché était supposé permettre au pouvoir, représenté par les fameux 3 B (le président Bensalah, le Premier ministre Noureddine Bedoui et le président du Conseil constitutionnel Tayeb Belaïz), de rester à la baguette pour organiser tranquillement, et selon leurs conditions, une élection présidentielle fixée pour le 4 juillet.
La contestation remporte des victoires en série
La réponse de la rue a été sans appel. Il est hors de question d’aller à une présidentielle avec les hommes, les institutions et les mécanismes de l’ère Bouteflika, a déclaré Mustapha Bouchachi, une des figures de la contestation.
Il suffit à la contestation de tenir une semaine et de conclure par un nouveau vendredi de manifestations d’envergure le 19 avril pour espérer faire capoter la présidentielle du 4 juillet
La participation massive aux manifestations du vendredi 12 avril, malgré le durcissement de la répression et les restrictions aux déplacements autour d’Alger, a sérieusement remis en cause ce scénario élaboré par l’armée, qui s’est de nouveau installée au cœur du pouvoir.
Malgré la fermeté des autorités, qui tranche avec l’atmosphère relativement détendue qui dominait les marches jusque-là, l’ampleur des manifestations n’a pas baissé.
Galvanisée par ses victoires successives – départ du président Bouteflika et du gouvernement, annulation de la prolongation de son quatrième mandat et annulation de la présidentielle du 18 avril, organisation et pacifisme –, la rue a redécouvert sa puissance et a commencé à rêver. Elle croit désormais à ce qui apparaissait naguère comme impossible.
Aujourd’hui, il suffit à la contestation de tenir une semaine et de conclure par un nouveau vendredi de manifestations d’envergure le 19 avril pour espérer faire capoter la présidentielle du 4 juillet. L’objectif paraît largement à la portée des contestataires au vu de la dynamique qui s’est mise en place, laquelle leur est nettement favorable.
Aucune marge pour le gouvernement
À l’inverse, le gouvernement, qui n’a plus de marge de manœuvre, a déjà perdu la bataille. Les ministres sont condamnés à rester calfeutrés dans leurs bureaux.
Trois d’entre eux, en déplacement cette semaine à Béchar, dans le sud-ouest du pays, n’ont pu mener à terme leur programme, la population locale ayant bloqué les routes pour les empêcher de se déplacer.
Le ministre de l’Énergie s’est retrouvé de son côté dans l’incapacité de boucler un modeste programme à Tébessa, dans l’est. Pourtant, dans les deux cas, les membres du gouvernement avaient choisi de se rendre dans des régions supposées faciles.
De leur côté, les juges ont annoncé qu’ils refuseraient d’encadrer la présidentielle annoncée par Abdelkader Bensalah.
Des maires de plusieurs wilayas, quant à eux, ont affiché leur refus de procéder aux mesures réglementaires pré-électorales, comme les fameuses révisions des listes électorales. Cet engrenage n’est pas près de s’arrêter. Avec de nouvelles initiatives de même nature attendues dans la semaine, la prochaine présidentielle apparaît déjà totalement ingérable.
Une dynamique impossible à contenir
Cette évolution contrarie fortement les plans du gouvernement, qui tablait sur une dynamique inverse. Le pouvoir espérait entraîner rapidement le pays dans un engrenage électoral en annonçant la date de l’élection, mais ça n’a pas pris.
Seul l’ex-général Ali Ghediri, déjà candidat pour le 18 avril, a annoncé sa candidature pour le 4 juillet. Les autres candidats potentiels hésitent, dans une attitude qui tranche avec ce qui avait été observé au début de l’année lors de la convocation du corps électoral pour le scrutin du 18 avril. Une multitude de candidats s’étaient alors précipités pour déposer leurs dossiers, y compris des plus farfelus, alors que cette fois-ci, la tendance est plutôt au boycott.
M. Ali Benflis, un poids lourd déjà candidat en 2004 et 2014, a annoncé qu’il refusait de participer à la présidentielle dans les conditions actuelles.
Peu d’enthousiasme chez les partis également. Les formations traditionnelles, fortement ébranlées par la contestation, ont été obligées d’exprimer leur soutien aux contestataires pour espérer survivre. Elles n’osent pas s’engouffrer dans la logique électorale, de peur d’être définitivement discréditées.
Le soutien du RND, parti dont est issu Abdelkader Bensalah, à la tenue d’une présidentielle n’est évidemment pas significatif dans la mesure où il s’agit d’un parti du pouvoir.
Une élection ingérable
Tout ceci mène à une évidence, devenue inéluctable : l’élection présidentielle prévue pour le 4 juillet est ingérable. Aucun candidat ne pourra faire campagne dans des conditions normales. Les contestataires promettent de ne pas laisser faire.
Pour mener le processus à terme, le gouvernement devra durcir la répression, ce qui risque de le discréditer davantage et d’accélérer sa chute.
De plus, une élection présidentielle menée dans ce contexte, marqué par une forte instabilité ainsi que l’absence probable de nombreux candidats potentiels crédibles, ne sera pas légitime. Il sera impossible au président qui en sera issu de gérer le pays par la suite. À moins de s’installer dans une logique répressive à grande échelle, impossible à admettre pour l’armée qui a affiché son soutien aux contestataires.
Changer la donne politique
Ce constat va pousser l’armée à envisager un nouveau plan de bataille. Jusque-là, la démarche annoncée consistait à applique les articles 7 et 8 de la Constitution : le peuple est souverain, et il exerce cette souveraineté dans le cadre des institutions en place.
C’est l’ultime paradoxe de cette nouvelle Algérie qui émerge : elle découvre que pour aller en démocratie, il faut d’abord refuser d’aller à une élection non équitable
Cette logique menait directement à une élection présidentielle, ce que conteste la rue, qui voit dans ce scénario un simple processus destiné à permettre à l’armée de reprendre la main, car malgré l’ampleur de la contestation, la rue n’est pas encore suffisamment outillée, structurée et homogène pour imposer un candidat contre celui du pouvoir.
Les contestataires veulent une période de transition pour casser l’engrenage électoral traditionnel qui débouche inéluctablement sur une victoire du pouvoir et de ses clientèles. Ce qui explique ce paradoxe : alors que le vote est traditionnellement perçu comme l’aboutissement ultime de la vie démocratique, la rue refuse une présidentielle à terme car elle n’y est pas prête.
Elle veut d’abord changer la donne politique dans le pays, condition indispensable pour espérer aller à un scrutin dont le résultat sera différent de ce que le pays a connu depuis un quart de siècle. C’est l’ultime paradoxe de cette nouvelle Algérie qui émerge : elle découvre que pour aller en démocratie, il faut d’abord refuser d’aller à une élection non équitable.
- Abed Charef est un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l'hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef
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