Réfugiés : l’« accord du siècle » de Trump est voué à l’échec
Dans un conflit centré sur les relations entre la terre et les peuples, la question des réfugiés palestiniens constitue un point d’achoppement dans les efforts diplomatiques depuis la création de l’État d’Israël – et il semble que le soi-disant « accord du siècle » du président américain Donald Trump n’échappe pas à cette règle.
Israéliens et Palestiniens sont à couteaux tirés quant au fait de savoir qui est réfugié, quels sont les droits auxquels ils peuvent prétendre et quel devrait être leur sort à long terme. Les innombrables tentatives de la communauté internationale pour parvenir à un consensus sur la question ont échoué.
Affaire conclue : comment la Palestine a été liquidée par le processus de paix
+ Show - HideCet article fait partie d’une série intitulée « Affaire conclue » publiée par Middle East Eye qui examine combien des éléments attendus dans le soi-disant « accord du siècle » du président américain Donald Trump reflètent une réalité déjà ancrée concrètement sur le terrain. Une réalité dans laquelle le territoire palestinien est déjà annexé dans les faits, dans laquelle les réfugiés n’ont aucune chance de retourner un jour dans leur patrie, dans laquelle la vieille ville de Jérusalem est sous contrôle israélien, dans laquelle les menaces et incitations financières servent à saper l’opposition palestinienne au statu quo et dans laquelle la bande de Gaza est maintenue en état de siège permanent.
La dernière proposition, du gouvernement Trump cette fois, semble non seulement vouée à l’échec à l’instar des précédentes, mais semble aussi reposer sur une tentative visant à se débarrasser totalement du problème même des réfugiés.
Des millions de personnes dispersées dans la région
Environ 750 000 Palestiniens ont fui ou ont été forcés de quitter leur domicile par des groupes paramilitaires juifs lors de la création de l’État israélien en 1948.
Selon les données de l’ONU, ce chiffre représentait plus de la moitié de la population palestinienne à l’époque. Sept décennies après cet exode contemporain, près de 5,5 millions de ces Palestiniens et leurs descendants sont enregistrés en tant que réfugiés auprès des Nations unies.
Environ 2,2 millions de réfugiés vivent dans des dizaines de camps de réfugiés en Cisjordanie occupée et à Gaza, les autres vivant en majorité dans les pays voisins, à savoir la Jordanie, le Liban et la Syrie.
Le « droit au retour » des Palestiniens déplacés par le conflit a été établi dans la résolution 194 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1949 et confirmé par cette même instance dans une autre résolution en 1974, qui qualifiait sa mise en œuvre d’« indispensable pour résoudre la question de la Palestine ».
Il est étayé par d’autres résolutions et conventions internationales affirmant plus généralement le droit des personnes de retourner dans leur pays d’origine.
La lutte pour le droit au retour
Cependant, le droit au retour a longtemps été considéré par Israël comme une menace démographique pour son auto-identification en tant qu’État juif. En 2017, la population d’Israël s’élevait à 8,7 millions de personnes, dont environ 20 % de citoyens palestiniens d’Israël, selon les données de la Banque mondiale.
En conséquence, la position d’Israël dans les négociations a été façonnée par son manque d’empressement à envisager la possibilité que des millions de Palestiniens rentrent chez eux.
Les accords d’Oslo de 1993 ont établi l’Autorité palestinienne (AP) en tant qu’instance dirigeante intérimaire avec pour objectif déclaré la création d’un État palestinien indépendant d’ici la fin du siècle dernier.
L’accord prévoyait la mise en place d’une solution définitive au conflit dans les cinq ans, date à laquelle un accord sur les questions de « statut final » – telles que les colonies israéliennes, le sort de Jérusalem et les réfugiés – serait vraisemblablement atteint au cours d’une deuxième phase de négociations.
Mais quand le délai de cinq ans est arrivé à échéance en 1999, toutes les tentatives pour parvenir à une solution définitive avaient échoué.
Entre 2000 et 2001, lorsque le président des États-Unis Bill Clinton a tenté de conclure un nouvel accord au cours des sommets de Camp David et de Taba, la position israélienne a fluctué.
Le chef d’État-major israélien à l’époque, Gilead Sher, a écrit qu’à Camp David, la célèbre retraite présidentielle située dans le Maryland, les négociateurs israéliens ont cru comprendre que tout accord permettant le retour des réfugiés impliquerait pas moins de 100 000 personnes.
La création d’un fonds international d’une valeur de 10 à 20 milliards de dollars pour aider à réinstaller définitivement les réfugiés restants dans leur pays d’accueil a également été évoquée – un scénario privilégié par Israël.
Mais au moment où les parties se sont réunies dans la station balnéaire égyptienne de Taba, six mois plus tard, les Israéliens avaient bien l’intention de l’abandonner complètement.
Lors d’une réunion du cabinet avant le sommet de Taba, le gouvernement israélien a déclaré que l’une de ses positions les plus fondamentales lors de ces négociations était qu’« Israël n’accordera[it] jamais aux réfugiés palestiniens le droit de retourner dans l’État d’Israël ».
Les négociateurs ont discuté de l’indemnisation des réfugiés palestiniens, mais n’ont encore une fois pas su parvenir à un accord. Les négociateurs palestiniens abordaient la restitution et l’indemnisation des réfugiés sur la base d’évaluations de leurs propriétés, tandis que les Israéliens abordaient l’indemnisation en termes de montant fixe uniquement.
Le calendrier des sommets de Camp David et de Taba, si proches des élections américaines et israéliennes, vouait les négociations à l’échec.
En 2004, Tzipi Livni, ministre israélienne de l’Intégration à l’époque et politicienne centriste, aurait convaincu le président américain George W. Bush de faire sien le rejet total par Israël du droit au retour. Comme l’a écrit plus tard la secrétaire d’État américaine, cette position sans compromis avait frappé Condoleeza Rice comme « une dure défense de la pureté ethnique de l’État israélien ».
Israéliens et Palestiniens ont continué à diverger sur la question des réfugiés lors des négociations de paix majeures initiées par le secrétaire d’État américain John Kerry de 2013 à 2014.
Netanyahou a rejeté le droit au retour des Palestiniens et a fait de la reconnaissance d’Israël en tant qu’État juif un prérequis à la paix, mais le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a refusé, arguant que cela compromettrait les revendications des réfugiés palestiniens souhaitant retourner dans leurs foyers.
L’UNRWA dans la ligne de mire
Aujourd’hui, le prétendu « accord du siècle » du président américain Donald Trump, associé à sa décision de mettre fin au financement américain de l’UNRWA, l’agence d’aide humanitaire de l’ONU qui soutient des millions de réfugiés palestiniens, semble être une tentative de se débarrasser du problème une fois pour toutes.
Créée par l’ONU comme une organisation temporaire en décembre 1949, l’UNRWA fournit depuis lors des services d’éducation, de santé, d’infrastructure et d’aide humanitaire d’urgence aux Palestiniens déplacés, tout en employant des milliers de personnes dans les territoires occupés.
Présente en Jordanie, en Syrie, au Liban, en Cisjordanie et à Gaza, l’UNRWA continue de voir son mandat renouvelé tous les trois ans et est financée presque entièrement par des contributions volontaires d’États membres de l’ONU, parmi lesquels les États-Unis constituent le principal donateur depuis des décennies.
En août dernier, il avait été annoncé que Trump avait l’intention de changer la politique américaine à l’égard des réfugiés palestiniens afin que les descendants des personnes déplacées en 1948 et la guerre israélo-arabe de 1967 ne soient plus comptabilisés.
Cela réduirait leur nombre à environ 500 000, soit environ un dixième du nombre de réfugiés actuellement reconnu et pris en charge par l’UNRWA.
Cela a également permis à Washington de se mettre au diapason d’Israël, affirmant que le statut de réfugié transmis de la génération originelle de Palestiniens déplacés à leurs descendants est spécifique aux Palestiniens et que cela « perpétue [intrinsèquement] le conflit ».
Saluant la fin du financement de l’UNRWA par les États-Unis, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a déclaré que les États-Unis avaient « accompli quelque chose de très important en cessant de financer l’agence perpétuant les réfugiés connue sous le nom d’UNRWA ».
« On commence enfin à résoudre le problème. Les fonds doivent être pris et utilisés pour véritablement aider à la réhabilitation des réfugiés, dont le nombre réel est bien inférieur à celui indiqué par l’UNRWA », a-t-il déclaré. « Il s’agit d’un changement important et bienvenu et nous le soutenons. »
Netanyahou a également souligné les différences entre les définitions de « réfugié » utilisées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’UNRWA, et a appelé le HCR à assumer progressivement le mandat de l’UNRWA.
Contrairement à celle de l’UNRWA, la définition du HCR exclut tout descendant de la première génération de personnes déplacées ayant par la suite acquis la citoyenneté d’un autre pays.
L’UNRWA a maintes fois tordu le cou aux accusations de traitement spécial réservé aux réfugiés palestiniens et tient l’échec du processus de paix pour responsable de la persistance de la crise des réfugiés.
Pourquoi Trump s’en prend-il aux réfugiés ?
Pendant ce temps, l’arrêt du financement américain pour l’UNRWA a plongé l’avenir de millions de Palestiniens de la région dans l’incertitude et l’agitation.
Trump a fait valoir que les États-Unis avaient apporté d’importantes contributions financières aux Palestiniens sans obtenir suffisamment de « reconnaissance ou de respect » en retour – et implicitement, des réductions de l’aide étaient un moyen de faire pression sur les dirigeants palestiniens afin qu’ils s’engagent dans les négociations sur « l’accord du siècle ».
En dépit des résolutions et des conventions internationales traitant de la question des réfugiés, les négociations de paix antérieures n’ont pour la plupart pas permis d’aborder de manière concrète le sort des Palestiniens en exil.
Par conséquent, certains voient dans le démantèlement de l’UNRWA par Trump et dans ses efforts visant à rayer du registre des réfugiés la majorité des Palestiniens une stratégie visant à faire aboutir un accord dans lequel l’un des principaux points de discorde a tout simplement été supprimé de la discussion.
Cependant, certains observateurs ont souligné que l’aide financière américaine aux Palestiniens était en réalité une aubaine pour Israël.
La sous-traitance de l’aide humanitaire aux organisations internationales et aux pays tiers, soutiennent-ils, a permis à Israël de se dégager de la responsabilité qui est la sienne, en tant que puissance occupante, de subvenir aux besoins des populations civiles sous son contrôle, tel que défini par le droit international.
Certains responsables israéliens semblent partager cette idée et redouter les conséquences d’un affaiblissement de l’UNRWA. En septembre, des officiels de la sécurité auraient exhorté leur gouvernement à trouver une autre source d’aide pour Gaza, craignant que la fin du financement de l’agence onusienne ne conduise à une nouvelle détérioration de la situation humanitaire dans l’enclave et à une éventuelle guerre.
La forte baisse de l’aide pourrait donc se retourner contre eux car les réfugiés palestiniens, dont la majorité s’accrochent toujours fermement à l’espoir de retourner dans leur pays d’origine, risquent d’avoir encore moins à perdre.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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