L’UE accusée de « dissimuler » ses liens avec des groupes armés soudanais dans le cadre de sa politique migratoire
L’Union européenne (UE) est accusée de « dissimuler » l’impact de son financement au gouvernement soudanais et à ses forces paramilitaires dans le cadre d’un programme visant à enrayer le flux de migrants d’Afrique vers l’Europe.
Bien que l’UE prétende ne pas financer le gouvernement, des activistes et des chercheurs affirment le contraire, arguant que les initiatives de l’Union en matière de migration bénéficient également, au moins indirectement, au tristement célèbre groupe paramilitaire soudanais des Forces de soutien rapide (RSF).
Les RSF et leur chef Mohamed Hamdan Dagolo, plus connu sous le nom de Hemetti, se sont emparés des rênes du pouvoir à Khartoum dans un contexte de lutte pour l’avenir politique du pays et sont accusés de mener une répression brutale contre les manifestants, laquelle a fait au moins 128 morts ce mois-ci.
« L’UE a regardé ailleurs »
- Suliman Baldo, chercheur au Soudan
Une lettre de groupes de défense des droits soudanais et érythréens accuse le président du Conseil européen, Donald Tusk, d’avoir sous-traité sa politique d’immigration à des pays connus pour leurs abus systématiques, notamment le Soudan.
« Durant votre mandat de président du Conseil européen, l’Union européenne et ses États membres ont externalisé leur politique en matière de migration par le biais d’une coopération directe et indirecte avec des régimes et des milices qui n’ont absolument aucun compte à rendre », déplore un groupe constitué principalement de groupes de défense des droits soudanais et érythréens dans une lettre collective adressée la semaine dernière à Donlad Tusk.
« L’Union européenne s’est cachée derrière la mise en œuvre de tels programmes par des tiers. »
Le Soudan est considéré à la fois comme une source de migrants et de réfugiés et comme un pays de transit pour les personnes qui tentent de rejoindre l’Europe en traversant la mer Méditerranée. Il est au centre du processus de Khartoum qui a été mis en place en 2014 pour lutter contre le « traite des êtres humains et le trafic de migrants dans la Corne de l’Afrique ».
Des groupes de défense des droits de l’homme et des chercheurs ont déclaré que les RSF avaient été déployées par le gouvernement soudanais pour contrôler les frontières soudanaises et s’étaient fortement impliquées dans le processus, en dépit du fait qu’elles étaient accusées d’abus.
Composées d’anciennes milices janjawids accusées de crimes de guerre et de génocide dans la région soudanaise du Darfour, et déployées dans d’autres zones de conflit au Soudan depuis qu’elles ont été officialisées, les RSF sont également accusées de provoquer le départ de réfugiés fuyant le Soudan.
Fermer les yeux
Un rapport du think tank néerlandais Clingendael de septembre 2018 a révélé qu’au moins 160 millions d’euros ont été alloués au Soudan depuis 2016.
Citant des responsables de l’UE, le rapport indique que des milliers de migrants sont interceptés chaque année aux frontières du Soudan, principalement dans le cadre d’opérations confiées aux RSF.
Il cite également des migrants qui avaient rapporté avoir été torturés par des combattants des RSF après avoir été arrêtés ou obligés de verser des pots-de-vin, et que, à certaines occasions, c’étaient des combattants des RSF qui les faisaient passer clandestinement.
Le chercheur soudanais Suliman Baldo explique à Middle East Eye que l’UE, sans financer directement les RSF, a permis une situation dans laquelle le président déchu, Omar el-Béchir, était en mesure de « blanchir » la réputation des RSF en leur attribuant ces opérations.
« L’UE a regardé ailleurs, elle ne s’en est pas plainte », a déclaré Baldo, conseiller principal de l’ONG Enough Project, qui milite en faveur de solutions aux conflits majeurs en Afrique. « Elle ne s’est pas plainte du fait que les RSF étaient impliquées dans plusieurs incidents liés à la traite des êtres humains.
« C’est un problème majeur. L’UE doit sérieusement se soumettre à un examen approfondi des conséquences négatives qu’elle a engendrées, notamment en légitimant une milice meurtrière. »
Les RSF ont elles-mêmes prétendu avoir mené des opérations d’interception de migrants et Hemetti a également prononcé plusieurs discours demandant à l’UE de reconnaître ses efforts – le plus récent remonte à samedi dernier.
« Les [RSF] protègent les Européens de l’afflux de millions de migrants en situation irrégulière », a-t-il affirmé. « Nous travaillons pour le compte des Européens, nous protégeons leur sécurité nationale. »
L’Union européenne a indiqué à MEE qu’elle ne fournit aucun soutien financier au gouvernement ou à l’armée soudanaise, y compris aux RSF.
« Toutes les activités financées par l’UE au Soudan sont mises en œuvre par les agences de développement des États membres de l’UE, l’ONU, des organisations internationales et des ONG », a déclaré un porte-parole de l’UE, en insistant sur le fait que l’objectif des programmes financés par l’UE est de protéger les migrants et non de réduire le nombre de migrants en route vers l’Europe.
Il n’a pas répondu à la question de savoir si l’UE avait mis en place un processus de protection contre le transfert de fonds aux RSF.
Bien que l’UE affirme ne pas financer le gouvernement soudanais, un plan de 40 millions d’euros lancé dans le cadre du processus de Khartoum en 2016 indiquait que l’un de ses objectifs était de « renforcer la capacité » des agences impliquées dans la gestion des frontières.
Le même document évoquait dans les risques potentiels que la formation et l’équipement donnés aux autorités frontalières puissent être « détournés à des fins répressives ».
Selon une étude d’Oxfam, plus de la moitié des 400 millions de dollars alloués par l’UE à la « gestion de la migration » ont été dépensés pour restreindre la migration.
Appels pour que l’UE fasse pression
Bien qu’il soit officiellement le chef adjoint du Conseil militaire qui dirige le Soudan depuis le renversement de Béchir en avril, Hemetti est considéré par beaucoup comme le dirigeant de facto du pays, ses forces de soutien rapide étant largement déployées dans la capitale.
« Nous travaillons pour le compte des Européens, nous protégeons leur sécurité nationale »
- Mohamed Hamdan Dagolo, dirigeant des RSF
Les négociations avec les manifestants en vue de la passation du pouvoir aux civils ont à maintes reprises échoué et le Conseil militaire a rejeté les propositions de médiation éthiopienne cette semaine, alors qu’il se félicitait auparavant de ces efforts.
Après que des centaines de manifestants ont été tués, blessés ou agressés sexuellement lors de la répression exercée par l’armée à partir du 3 juin, principalement du fait des RSF, des appels se sont multipliés pour que l’Union européenne supprime tout programme dont les forces bénéficient et impose des sanctions au Conseil militaire.
La radio antigouvernementale soudanaise basée à Amsterdam, Radio Dabanga, a signalé que les Pays-Bas souhaitaient que l’Union européenne associe son soutien au Soudan à la revendication d’un transfert du pouvoir aux civils.
Au cours d’un débat au Parlement britannique jeudi dernier, la ministre britannique du Développement international, Harriett Baldwin, a déclaré que les travaux financés par l’UE sur les migrations régionales avaient été temporairement suspendus.
Selon Baldo, l’Europe devrait faire plus que publier des déclarations condamnant la violence, affirmant que les abus du Conseil militaire pourraient en fin de compte engendrer davantage de réfugiés fuyant le Soudan.
« L’UE doit vraiment prendre position contre les attaques contre la démocratie, contre les droits de l’homme, contre le meurtre de civils beaucoup plus fermement. »
Il existe également des appels plus larges pour que la communauté internationale dans son ensemble adopte une position plus ferme contre les RSF, notamment une pétition demandant que cette organisation soit reconnue en tant qu’organisation terroriste. La pétition a aujourd’hui obtenu suffisamment de signatures pour exiger une réponse de la Maison-Blanche.
« Reconnaître les Janjawids en tant qu’organisation terroriste est important car cela garantit qu’il n’y aura aucun soutien supplémentaire à la milice, en particulier celle de l’UE, et bien sûr des Saoudiens, des Émiratis, etc. », a déclaré à MEE un activiste soudanais des droits de l’homme, citant les bailleurs de fonds arabes du Conseil militaire.
« Il est regrettable que l’UE soutienne indirectement la milice qui a terrorisé le peuple du Darfour pendant des années. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].