Pour la démocratie dans le monde arabe, l’Union européenne est un drôle de partenaire
L’Union européenne est souvent associée à la démocratie. Opposer les deux paraît, aux yeux de certains, presque contre-intuitif. Après tout, la démocratie fait partie des critères d’adhésion (critères de Copenhague) et des « valeurs » de l’UE, au même titre que la dignité humaine, les droits de l’homme et l’égalité.
Bref, l’UE a théoriquement tout pour intégrer le panier progressiste parfait : elle permet le dépassement d’une échelle nationale malmenée, ringardisée – même si la préférence européenne peut cacher le pire des identitarismes – et elle brandit une série de « valeurs » sympathiques.
Seulement, les critiques à l’encore de l’UE se multiplient à l’intérieur. Le fonctionnement des institutions européennes apparaît comme ostensiblement antidémocratique (des nominations opaques, des élections européennes contestables, un diktat budgétaire adressé à des gouvernements démocratiquement élus …), et cela commence aussi à se voir à l’extérieur, notamment dans le monde arabe.
Du soutien au Printemps arabe au parti pris contre-révolutionnaire
Avant les premiers soulèvements en Tunisie et en Égypte (fin 2010-début 2011), le moins que l’on puisse dire est que l’UE s’accommodait parfaitement des régimes autoritaires de Ben Ali et de Moubarak. Une telle pusillanimité ne pouvait être imputée à l’exécutif « européen » (la Commission européenne) car elle reflétait la position des États membres.
Au début de l’année 2011, les dirigeants européens affichaient donc une certaine prudence. C’est à la fin de l’année 2011 que l’UE a finalement opté, par la voix de la Commission, pour un soutien de façade aux processus de démocratisation.
Après la passivité initiale dans les dossiers tunisien et égyptien, les dirigeants européens ont opté pour le bellicisme et la rhétorique du changement de régime
Cela a-t-il aidé les populations concernées ? Non. Certes, une partie infime de ces populations (en Tunisie, par exemple) a profité de certaines subventions plus ou moins généreuses adressées à la sacro-sainte « société civile ».
Résultat désastreux
Mais le bilan est globalement négatif et il est davantage celui des États membres que celui de la Commission (dont les prérogatives en politique étrangère demeurent très limitées) : après la passivité initiale dans les dossiers tunisien et égyptien, les dirigeants européens ont opté pour le bellicisme et la rhétorique du changement de régime dans les dossiers libyen et syrien.
Le résultat est évidemment désastreux. La démocratie ne se construit jamais ainsi.
Face au chaos libyen, dans le cadre de la gestion des flux migratoires – révélant à la fois une absence de solidarité entre pays européens et avec les pays de la rive sud de la Méditerranée –, les Européens ont renoué avec leur vieille priorité : la sous-traitance à la Libye du contrôle de l’émigration (à l’œuvre sous Kadhafi).
À défaut d’encourager la démocratie, on a ainsi encouragé le retour de l’esclavage.
Aujourd’hui, l’Europe ne fait plus semblant de s’intéresser à la démocratie. Ou quand elle fait semblant de le faire, c’est le plus loin possible (au Venezuela plutôt qu’en Algérie) et, de préférence, en s’alignant sur Washington.
Encouragés par des partenaires comme les Émirats arabes unis, les Européens assument de plus en plus un parti pris contre-révolutionnaire au nom de la stabilité et de la sécurité. Tant pis si cela favorise le dialogue avec de bonnes vieilles dictatures militaires.
La religion du libre-échange plutôt que la démocratie
Dans l’univers néolibéral, si la démocratie apparaît comme ringarde, le libre-échange ne passe jamais de mode. Au lendemain du Printemps arabe, l’UE a commencé à multiplier les discussions avec le Maroc, la Tunisie, l’Égypte et la Jordanie pour des accords de libre-échange complets et approfondis.
Il s’agit d’aller au-delà des simples accords commerciaux : encourager la réduction des droits de douanes et des barrières non tarifaires (pour les services, les biens industriels, les biens agricoles), mais aussi inciter à des réformes économiques dans les pays concernés.
La politique européenne de voisinage inclut théoriquement les questions relatives à la démocratie et aux droits de l’homme. Dans les faits, cela s’arrête à des gestes triviaux (de vagues « consultations »).
Dans le cas du Maroc, par exemple, l’UE ne s’est plus publiquement exprimée sur le sujet depuis les félicitations adressées à l’occasion du changement constitutionnel de 2011.
Une Constitution octroyée par le roi, comme la charte de Louis XVIII deux siècles auparavant.
Pour l’UE, la démocratie pas une priorité en Afrique du Nord
Mais l’UE ne se contente pas d’être silencieuse.
L’exemple algérien est là pour montrer qu’il n’est jamais prudent de compter sur la léthargie des peuples du sud de la Méditerranée
Elle sait aussi se montrer nocive, comme dans le cas tunisien. Pour faire pression sur Tunis concernant le projet de « plateformes régionales de débarquement » (afin d’externaliser les contrôles migratoires), l’UE est allée jusqu’à inscrire la Tunisie sur la liste noire des pays non coopératifs en matière d’échange d’informations fiscales et de taxation des multinationales et sur celle des pays exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme.
Ce que l’UE attend de ses voisins du sud est de plus en plus clair.
Elle n’entend ni favoriser la circulation des personnes (pas même les étudiants, découragés par la préférence européenne en termes de frais d’inscription), ni encourager les processus démocratiques.
Ses priorités sont ailleurs : sécuriser ses frontières en termes de migrations (externaliser les contrôles) et multiplier les accords qui menacent jusqu’à la santé des populations.
Les réflexes néocolonialistes menacent le bon voisinage et la sacro-sainte sécurité
Dans ces conditions, pour l’Union européenne, la démocratie n’est pas plus une priorité en Afrique du Nord qu’en Europe.
Elle s’accommode parfaitement des dictatures militaires (Égypte) et des gouvernements d’union nationale (Tunisie). Des systèmes démocratiques pousseraient irrémédiablement ces populations à exprimer leur mécontentement.
Si les plus cyniques veulent y voir une preuve de « réalisme » (à opposer à un angélisme prorévolutionnaire ou prodémocratique), il ne faudrait pas sous-estimer le caractère risqué de ces calculs : les vexations et les réflexes néocolonialistes menacent le bon voisinage et la sacro-sainte sécurité.
L’exemple algérien est là pour montrer qu’il n’est jamais prudent de compter sur la léthargie des peuples du sud de la Méditerranée.
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