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Guerre Israël-Palestine : comment se réapproprier le slogan « Du fleuve à la mer »

Les Palestiniens sont injustement calomniés lorsqu’ils scandent ces mots, alors même que les sionistes poursuivent leur quête illégale d’expansion territoriale
Des manifestants à Berlin expriment leur soutien aux Palestiniens, le 4 novembre 2023 (AFP)
Des manifestants à Berlin expriment leur soutien aux Palestiniens, le 4 novembre 2023 (AFP)

Depuis le début de la nouvelle vague du génocide progressif initié par Israël contre le peuple palestinien avec le soutien de l’Occident, les Américains non avertis ont appris une nouvelle expression : « Du fleuve à la mer ».

Compte tenu de leur maîtrise légendaire de la géographie mondiale, on peut leur pardonner de ne pas savoir de quel fleuve (le Jourdain) ou de quelle mer (la Méditerranée) il est question, et de quoi tout cela retourne.  

Les adeptes les plus zélés de la formule « Du fleuve à la mer » sont les Israéliens, et non les Palestiniens et leurs soutiens mondiaux

Nous devrions tous être reconnaissants, pour ainsi dire, envers les principaux organes de propagande sioniste dans la sphère médiatique occidentale, pour avoir porté ces termes à l’attention de leur public.

Tout ce qu’il nous reste à faire, c’est de rectifier leur déformation des faits en question.  

Trois significations radicalement différentes se disputent la vedette dans cette courte formule. Tout d’abord, le fait que la colonie euro-américaine d’Israël pratique déjà sa version de l’expression « Du fleuve à la mer » en Palestine. 

La deuxième signification renvoie au slogan revendicatif des Palestiniens contre le vol en bloc de leur patrie, la troisième à l’interprétation visionnaire et généreuse que des intellectuels palestiniens tels qu’Edward Saïd ont faite de cette expression. 

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Examinons de plus près ces trois significations divergentes. 

Alors que le bilan humain de la guerre à Gaza du côté palestinien poursuit son ascension vertigineuse et dépasse désormais les 16 000 morts, Bret Stephens, chroniqueur au New York Times, a jugé le moment opportun pour écrire ces lignes : « L’antisémitisme est une haine qui ne connaît pas son propre nom, c’est-à-dire que nombre de ceux qui se disent antisionistes ou qui scandent “Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre” nieraient avec véhémence qu’ils se livrent à un comportement antisémite. »  

Ce que Bret Stephens, le journal qui l’emploie et l’ensemble de la machine de propagande sioniste omettent de mentionner, c’est que les adeptes les plus zélés de la formule « Du fleuve à la mer » sont les Israéliens, et non les Palestiniens et leurs soutiens mondiaux.  

Une domination régionale

Le hold-up planifié et pratiqué que l’on appelle « Grand Israël », nom donné à l’ambition de Tel Aviv de voler davantage de terres aux Palestiniens et à d’autres pays de la région, est englobé dans le slogan « Du fleuve à la mer ».

Si les juifs du monde entier peuvent comprendre cette expression comme une référence à leur « patrie historique », il s’avère que dans le prolongement de la logique du colonialisme britannique qui a créé cette calamité et de l’impérialisme américain qui la soutient aujourd’hui, Israël est devenu une base militaire de la domination régionale de l’Occident.

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Les Palestiniens emploient pour leur part la formule « Du fleuve à la mer » dans un sens opposé, comme un appel à revendiquer la patrie qui leur a été volée. Ils ont transformé le vol à main armée de leur patrie en slogan de leur mouvement de libération nationale et de leur lutte anticoloniale.

Une troisième interprétation de la formule, aujourd’hui presque impossible à imaginer, est ancrée dans l’idée d’une solution à un seul État, telle que défendue par feu Edward Saïd, qui était la conscience morale même de la libération palestinienne. 

Dans un essai datant de 1999, il a présenté cette idée de manière simple et élégante : « Il s’agit d’abord de développer quelque chose qui manque totalement aux réalités israélienne et palestinienne d’aujourd’hui : l’idée et la pratique de la citoyenneté, et non de la communauté ethnique ou raciale, en tant que principal vecteur de coexistence. Dans un État moderne, tous ses membres sont des citoyens en vertu de leur présence et du fait qu’ils partagent des droits et des responsabilités. La citoyenneté, par conséquent, confère à un juif israélien et à un Arabe palestinien les mêmes privilèges et les mêmes ressources. »  

De Tel Aviv à New York, les sionistes n’ont même pas l’ombre d’un argument raisonnable pour justifier la poursuite du massacre des Palestiniens

Cette solution bienveillante, généreuse, clémente et tout à fait pragmatique, qui échappe complètement aux sionistes, transforme la notion « Du fleuve à la mer » en une patrie pour les juifs et les Palestiniens, ce qui est très éloigné de l’accaparement avide de terres auquel se livrent les Israéliens. 

À l’heure où j’écris ces lignes, les Israéliens poursuivent leur quête systématique d’éradication des Palestiniens de leur patrie, tandis que les propagandistes occidentaux continuent de blâmer, de calomnier et d’offenser des Palestiniens qui tentent simplement de se réapproprier un slogan.

De Tel Aviv à New York, les sionistes n’ont même pas l’ombre d’un argument raisonnable pour justifier la poursuite du massacre des Palestiniens. Ce n’est pas un hasard si les forces israéliennes ciblent les enfants en particulier, leur but étant de tuer l’avenir de la Palestine.  

Mais pour chaque enfant palestinien tué, d’autres surgiront pour revendiquer leur patrie, du fleuve à la mer – une patrie où un jour, juifs, chrétiens, musulmans et autres pourront vivre en paix, avec le cauchemar du sionisme derrière eux.  

Hamid Dabashi est professeur d’études iraniennes et de littérature comparée, récipendiaire de la chaire Hagop Kevorkian, à l’université de Columbia à New York, où il enseigne la littérature comparée, le cinéma mondial et la théorie postcoloniale. Parmi ses derniers ouvrages figurent The Future of Two Illusions: Islam after the West (2022), The Last Muslim Intellectual: The Life and Legacy of Jalal Al-e Ahmad (2021), Reversing the Colonial Gaze: Persian Travelers Abroad (2020) ainsi que The Emperor is Naked: On the Inevitable Demise of the Nation-State (2020). Ses livres et articles ont été traduits dans de nombreuses langues.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Hamid Dabashi is Hagop Kevorkian Professor of Iranian Studies and Comparative Literature at Columbia University in the City of New York, where he teaches Comparative Literature, World Cinema, and Postcolonial Theory. His latest books include The Future of Two Illusions: Islam after the West (2022); The Last Muslim Intellectual: The Life and Legacy of Jalal Al-e Ahmad (2021); Reversing the Colonial Gaze: Persian Travelers Abroad (2020), and The Emperor is Naked: On the Inevitable Demise of the Nation-State (2020). His books and essays have been translated into many languages.
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