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Les mythes bibliques utilisés pour justifier la conquête de la Palestine appartiennent aux poubelles de l’histoire

Bien qu’elles aient été complètement démystifiées, les allégations sionistes concernant la colonisation de la Palestine sont toujours invoquées pour la justifier
Une femme tient une banderole où est écrit « Non à l’occupation » lors d’un rassemblement organisé par des militants étrangers, palestiniens et israéliens dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est occupée, le 14 octobre 2022 (AFP)
Une femme tient une banderole où est écrit « Non à l’occupation » lors d’un rassemblement organisé par des militants étrangers, palestiniens et israéliens dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est occupée, le 14 octobre 2022 (AFP)

Le récent vote de l’Assemblée générale des Nations unies visant à simplement « demander » à la Cour internationale de justice un « avis » sur les conséquences juridiques de l’occupation israélienne des territoires palestiniens ne change rien à la colonisation sioniste en cours en Palestine.

Cela ne change rien non plus à l’engagement de l’Organisation sioniste mondiale en faveur de la suprématie juive, qu’elle a légué au régime israélien après la conquête par les sionistes de la majeure partie de la Palestine et la proclamation de leur colonie de peuplement en tant qu’« État juif » en 1948.

Cela n’aura également aucun impact sur la série de lois suprémacistes juives qu’Israël a promulguées depuis sa création et qui continuent d’opprimer les Palestiniens à l’intérieur comme à l’extérieur du contrôle militaire israélien.

Ces prétendus « liens historiques et bibliques avec la terre » sont au cœur de la prétention sioniste à la patrie des Palestiniens

Les pays qui ont voté contre la résolution onusienne ou se sont abstenus sont en grande partie d’anciens ou d’actuels pays colonisateurs européens, y compris des colonies de peuplement dans les Amériques et une poignée de régimes clients occidentaux.

Il est significatif que le Royaume-Uni, qui a parrainé et facilité la colonisation sioniste de la Palestine et est tenu pour responsable par la plupart des Palestiniens de leur Nakba passée et actuelle, a eu la témérité de voter contre la résolution.

Il en a été de même pour l’Allemagne, dont l’expression de repentance post-nazie pour ses crimes génocidaires à l’encontre des juifs se manifeste dans son soutien à la colonisation sioniste et à l’oppression des Palestiniens.

Il va également sans dire que la colonie de peuplement la plus puissante au monde, les États-Unis, qui ont toujours été le principal sponsor impérial d’Israël, s’est également opposée à la résolution.

Confondre judaïsme et sionisme

Le roi d’Israël nouvellement intronisé, Benjamin Netanyahou, a répondu promptement au vote de l’ONU : « Le peuple juif n’occupe pas sa propre terre ni n’occupe notre capitale éternelle Jérusalem, et aucune résolution de l’ONU ne peut déformer cette vérité historique. »

Netanyahou a tout à fait raison de dire que « le peuple juif n’occupe pas » la terre des Palestiniens.

Les occupants sont le mouvement sioniste, le gouvernement israélien et les colons israéliens, pas le peuple juif avec lequel Netanyahou souhaite les confondre dans un manœuvre antisémite courante qui rejette sur le peuple juif la responsabilité des crimes sionistes.

Dans une déclaration anticipant le vote de l’ONU, l’ambassadeur d’Israël aux Nations unis, Guilad Erdan, a affirmé : « Aucun organe international ne peut décider que le peuple juif est ‘’l’occupant’’ de sa propre patrie.

« Toute décision d’un organe judiciaire qui reçoit son mandat de cette ONU en faillite morale et politisée est totalement illégitime », a-t-il ajouté.

Une « grande fiction »

En couvrant le vote de l’ONU, Reuters a noté : « Avec Gaza et Jérusalem-Est, les Palestiniens souhaitent la Cisjordanie occupée comme État. La plupart des pays considèrent que les colonies d’Israël y sont illégales, un point de vue qu’Israël conteste en invoquant des liens historiques et bibliques avec la terre. »

Ces prétendus « liens historiques et bibliques avec la terre » sont en effet au cœur de la prétention sioniste à la patrie des Palestiniens et incluent l’affirmation principale selon laquelle « le peuple juif » vivait en Palestine il y a deux millénaires et en était le seul occupant.

Or ceux qui vivaient en Palestine il y a deux millénaires étaient les Hébreux et non « le peuple juif » (un concept créé beaucoup plus tardivement), et les Hébreux n’y ont jamais vécu seuls.

En effet, selon le récit biblique juif tel que décrit dans le Livre de Josué, les Hébreux n’étaient pas originaires de Palestine mais avaient en fait conquis le pays de Canaan en vainquant les Cananéens et l’avaient occupé, clamant que leur Dieu le leur avait « promis ».

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou (centre) arrive pour la réunion hebdomadaire du gouvernement à Jérusalem le 3 janvier 2023 (AFP)
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou (centre) arrive pour la réunion hebdomadaire du gouvernement à Jérusalem le 3 janvier 2023 (AFP)

La fiction la plus significative – et l’une des plus extraordinaires – qui persiste aujourd’hui consiste à dire que les juifs modernes seraient les descendants directs et uniques des anciens Hébreux.

Cette affirmation a pour fondement l’inimitié historique de l’Église catholique envers les juifs européens, qu’elle associait aux anciens Hébreux en tant qu’« assassins du Christ », mais plus catégoriquement les ambitions millénaristes de la Réforme protestante d’expulser les juifs d’Europe vers la Palestine, ce qui selon les Protestants accélérerait la seconde venue de Jésus-Christ.

Que de nombreux juifs religieux aient cru dans le passé qu’ils venaient de Palestine équivaut à ce que des musulmans indiens, chinois, indonésiens, nigérians ou malaisiens affirment qu’ils sont originaires de la péninsule Arabique simplement parce qu’il s’agit là du berceau de leur foi.

Les sionistes rejettent de telles analogies, insistant sur une autre affirmation fictive, selon laquelle alors que l’islam et le christianisme étaient des religions missionnaires, le judaïsme ne l’aurait pas été.

Cette fausse affirmation a été discréditée par des spécialistes qui, à l’aide de preuves historiques claires, ont montré de manière irréfutable que le judaïsme avait en fait été une religion missionnaire, et que des conversions massives s’étaient poursuivies jusqu’au IXe siècle au moins.

Allégations sionistes

Une autre affirmation sioniste consiste à dire que les Arabes palestiniens sont les descendants des conquérants musulmans arabes du VIIe siècle. Mais cela aussi est faux ; la conquête arabe n’était pas une conquête coloniale, mais une conquête missionnaire et d’expansion territoriale.

La plupart des peuples autochtones du territoire syrien gouverné par les Byzantins, y compris les Ghassanides chrétiens syro-arabes, sont restés majoritaires après la conquête arabo-musulmane.

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Il aura fallu pas moins de cinq siècles, que ce soit en Palestine, en Grande Syrie ou en Égypte (où cela prendra encore plus de temps), pour que la majorité des chrétiens se convertissent à l’islam – même s’ils avaient adopté la langue et la culture arabes beaucoup plus tôt –, y compris la plupart des Églises chrétiennes indigènes dans les régions conquises.

En effet, très peu de personnes originaires de la péninsule Arabique se sont installées dans les territoires conquis en Syrie et les rares qui l’ont fait ont habité les villes.

Lorsque les croisés ont conquis la Palestine au XIe siècle, la majeure partie de la population palestinienne victime de leurs massacres et pillages était composée de chrétiens arabophones (ainsi qu’une minorité de musulmans arabophones).

C’est ce qui a conduit les pères fondateurs de la colonie juive, David Ben Gourion et Yitzhak Ben-Zvi, peut-être dans un moment de rare lucidité, à affirmer dans un livre en 1919 que la majorité des Palestiniens indigènes étaient en fait des descendants des anciens Hébreux qui s’étaient convertis au christianisme puis à l’islam – une affirmation qu’aujourd’hui les sionistes souhaitent complètement enterrer.

Confondant l’arabité avec une catégorie raciale plutôt qu’une identité linguistique et culturelle, les puissances coloniales européennes racialisées ont cherché à diviser les Arabes, affirmant que les Égyptiens, les Irakiens, les Nord-Africains, les Maronites, etc. n’étaient pas réellement des Arabes mais des peuples conquis par les Arabes, autrement dit, qu’ils avaient été arabisés.

Cette affirmation n’est pas contestée par le nationalisme arabe, qui insiste cependant sur le fait que les Arabes sont en fait ceux dont la langue maternelle est l’arabe.

Revendications autochtones

Une autre allégation coloniale sioniste apparue à la fin du XIXe siècle, selon laquelle les juifs européens avaient le « droit » de « retourner » dans leur prétendue ancienne patrie, n’était guère une innovation.

Elle avait déjà été avancée par les Français lorsqu’ils ont colonisé l’Algérie, et les Italiens lorsqu’ils ont colonisé la Libye – à savoir qu’ils « retournaient » sur les terres de l’ancien Empire romain et qu’ils n’étaient donc pas des colonisateurs étrangers.

Par contre, même lorsque les Britanniques ont colonisé l’Inde, ils n’ont jamais prétendu qu’ils y « revenaient ». Les Européens « aryens » qui disent descendre de tribus indo-européennes originaires du nord de l’Inde n’ont toujours pas revendiqué le « retour » dans leur ancienne patrie et la colonisation du sous-continent indien sur cette base.

La fiction la plus significative – et l’une des plus extraordinaires – qui persiste aujourd’hui consiste à dire que les juifs modernes seraient les descendants directs et uniques des anciens Hébreux

Mais même si, contre tout argument raisonnable, nous accordons une validité en tant que faits historiques à toutes les fictions susmentionnées, cela ne nous mène pas à la conclusion selon laquelle les juifs modernes, en tant que descendants présumés et uniques des anciens Hébreux, ont le droit de conquérir leur prétendue ancienne patrie et d’en expulser les indigènes palestiniens, en arguant que les juifs colonisateurs sont les indigènes et les Palestiniens indigènes les colonisateurs.

Pourtant, les affirmations fictives des juifs modernes selon lesquelles ils seraient originaires de Palestine et représenteraient les seuls descendants des anciens Hébreux, jouissant d’un « droit » exclusif sur la Palestine, demeurent au cœur du discours sioniste sur les « liens historiques et bibliques ».

Le mouvement sioniste et le régime israélien comprennent que ce sont là les principaux arguments de persuasion justifiant la colonisation sioniste à l’égard de l’Europe chrétienne et des États-Unis très chrétiens ainsi que de la diaspora juive.

Ces fausses affirmations sont en effet tellement ancrées dans les traditions religieuses et laïques occidentales que certains partisans de la lutte anticoloniale palestinienne les acceptent comme des faits, tout en rejetant l’argument sioniste selon lequel elles justifient la conquête coloniale de la Palestine par les juifs sionistes modernes.

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David Ben Gourion avait bien compris que les prétentions religieuses sionistes ne pouvaient ni ne devaient persuader les Palestiniens. Après avoir mené la conquête de la Palestine, il semblait déconcerté par le fait que les colons juifs s’attendaient à ce que les Palestiniens fassent la paix avec leurs colonisateurs.

Ben Gourion a rétorqué :

« Pourquoi les Arabes devraient-ils faire la paix ? Si j’étais un dirigeant arabe, je ne ferais jamais de compromis avec Israël. C’est naturel : nous avons pris leur pays. Bien sûr, Dieu nous l’a promis, mais qu’est-ce que cela leur importe ? Notre Dieu n’est pas le leur. Nous venons d’Israël, c’est vrai, mais il y a deux mille ans, et qu’est-ce que cela leur fait ? Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce de leur faute ? Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus ici et avons volé leur pays. Pourquoi devraient-ils l’accepter ? »

Origines réelles et imaginaires

Quant à l’affirmation scandaleuse de certains généticiens occidentaux avançant l’existence d’un « gène juif » qui relierait certains juifs modernes aux anciens Hébreux, ce n’est rien de plus qu’un canulard antisémite – le dernier maillon en date de la chaîne de la science raciale américaine et européenne qui sévit depuis le XIXe siècle.

La plupart des Palestiniens, cependant, en ont assez de l’esprit de clocher des allégations laïques et religieuses chrétiennes et juives occidentales qui cherchent à imposer des mythes antisémites au peuple palestinien pour justifier la colonisation de leur patrie parce que leurs textes sacrés auraient doté leurs adeptes d’un tel droit.

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Nous devons nous rappeler que ces mêmes textes sacrés, et plus tard cette même science raciale, ont justifié non seulement la conquête des Amériques et le génocide commis contre les autochtones du continent, mais aussi l’asservissement et le meurtre de millions d’Africains, ainsi que la conquête de l’Afrique et d’autres parties du monde.

Les partisans de la lutte anticoloniale palestinienne ne devraient accorder aucune légitimité à ces fictions sionistes : elles restent la pierre angulaire des allégations coloniales israéliennes visant à convaincre les chrétiens et les juifs occidentaux, et les progressistes laïques plus généralement, que leur Dieu et leurs scientifiques raciaux sont ceux qui ont autorisé les sionistes à conquérir et à voler la patrie des Palestiniens.

Ces balivernes n’ont pas lieu d’être dans les rangs anticoloniaux, car leur juste place devrait être dans la poubelle de l’histoire coloniale.

Joseph Massad est professeur d’histoire politique et intellectuelle arabe moderne à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles, tant universitaires que journalistiques. Il a notamment écrit Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs et, publié en français, La Persistance de la question palestinienne (La Fabrique, 2009). Plus récemment, il a sorti Islam in Liberalism. Ses livres et articles ont été traduits dans une douzaine de langues.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Joseph Massad is professor of modern Arab politics and intellectual history at Columbia University, New York. He is the author of many books and academic and journalistic articles. His books include Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan; Desiring Arabs; The Persistence of the Palestinian Question: Essays on Zionism and the Palestinians, and most recently Islam in Liberalism. His books and articles have been translated into a dozen languages.
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