Aller au contenu principal

Les tribunaux internationaux ne mettront pas fin à l’occupation israélienne, mais peuvent faire évoluer les discours

L’ONU a adopté une résolution invitant la Cour internationale de justice à se prononcer sur l’occupation israélienne. Quelles seraient les conséquences de son avis ?
Un garde-frontière israélien est posté près de la barrière de séparation controversée d’Israël, le 26 avril 2017 à Bethléem, en Cisjordanie occupée (AFP)
Un garde-frontière israélien est posté près de la barrière de séparation controversée d’Israël, le 26 avril 2017 à Bethléem, en Cisjordanie occupée (AFP)

L’adoption d’une résolution de l’ONU demandant à la Cour internationale de justice (CIJ) de se prononcer sur l’occupation israélienne représente une victoire diplomatique majeure pour les Palestiniens.

Cependant, la CIJ, qui règle les différends entre pays, n’a pas le pouvoir de faire appliquer ses avis, bien qu’ils soient juridiquement contraignants. Quelles seraient donc les conséquences d’un avis consultatif de ce tribunal international pour Israël et les territoires palestiniens ?

Cette résolution, adoptée fin décembre par l’Assemblée générale des Nations unies, invite la CIJ à se prononcer « de toute urgence » sur « [l’]occupation, [la] colonisation et [l’]annexion prolongées du territoire palestinien » par Israël, décrites comme une violation du droit des Palestiniens à l’autodétermination.

« Un jugement contre Israël contribuerait sans aucun doute à faire évoluer le discours »

– Tariq Kenney-Shawa, chercheur pour Al-Shabaka

Elle fait référence aux terres palestiniennes occupées par Israël depuis la guerre des Six Jours en 1967 – la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est – et aux politiques visant à « modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem ».

La résolution de l’ONU demande à l’institution de rendre un avis sur la manière dont ces politiques et pratiques israéliennes affectent « le statut juridique de l’occupation » et sur « les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations unies ».

Selon des experts en politique palestinienne et des universitaires, toute décision de la CIJ critiquant Israël aiderait les Palestiniens au niveau de la sensibilisation mais ne contribuerait guère à obliger Israël à rendre des comptes et à mettre fin à ses politiques visant les Palestiniens, que plusieurs groupes de défense des droits de l’homme identifient comme des mesures d’apartheid.

« Une décision de la CIJ représenterait une victoire symbolique pour les Palestiniens sur la scène internationale, mais il est peu probable qu’elle change grand-chose pour les Palestiniens qui vivent sous l’occupation et l’apartheid israéliens », indique à Middle East Eye Tariq Kenney-Shawa, chercheur en politique américaine pour Al-Shabaka, The Palestinian Policy Network.

Que peut faire la CIJ ?

La CIJ, composée de quinze juges, est le principal organe judiciaire de l’ONU et siège à La Haye (Pays-Bas), où elle statue sur les différends entre États.

Elle diffère de la Cour pénale internationale (CPI), qui juge des individus pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La CPI mène également une enquête sur d’éventuels crimes de guerre commis dans les territoires palestiniens et en Israël.

Le greffier de la CIJ, le Belge Philippe Gautier, publiera bientôt le calendrier de l’institution pour les mois à venir. Les États membres de l’ONU et des ONG seront invités à présenter au tribunal des mémoires d’amicus curiae dans le cadre d’une mission d’enquête plus large.

La procédure risque d’être lente, puisque la CIJ ne devrait pas rendre son avis avant au moins un an.

Rania Muhareb : « La décision de la CPI est essentielle pour mettre fin à l’impunité institutionnalisée d’Israël »
Lire

Il pourrait être déterminé que le contrôle exercé par Israël sur les territoires palestiniens occupés n’est ni temporaire ni justifié par une nécessité militaire, et qu’il est donc illégal. La décision demanderait alors à Israël de mettre fin à son occupation.

La CIJ pourrait également aller plus loin et rejoindre l’opinion de plus en plus répandue parmi les organisations israéliennes et internationales de défense des droits de l’homme qui affirment qu’Israël pratique une forme d’apartheid à l’encontre des Palestiniens.

Le dernier jugement en date de la CIJ sur la question de l’occupation israélienne remonte à 2004, lorsqu’elle a jugé illégal le mur construit par Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Israël a rejeté cette décision, accusant l’institution d’entretenir des motivations politiques. Cette décision a été reprise dans de nombreux rapports consacrés à l’occupation israélienne. Cela n’a pourtant eu aucun effet sur le mur.

« Un jugement contre Israël contribuerait sans aucun doute à faire évoluer le discours en mettant en lumière l’illégalité du système d’oppression israélien, ce qui est important compte tenu de la dépendance d’Israël à l’égard de la communauté internationale, qui lui permet d’éviter de rendre des comptes », souligne Tariq Kenney-Shawa.

« Toutefois, elle sera également un tout nouvel exemple des limites inhérentes au système juridique international, qui ne repose que sur l’application des mesures par une poignée d’États puissants, à savoir les États-Unis et l’Occident, les plus fervents défenseurs d’Israël. »

Les États-Unis, proche allié d’Israël, ont protégé ce dernier à de nombreuses reprises des critiques de l’ONU en utilisant leur droit de veto au Conseil de sécurité pour bloquer plus d’une cinquantaine de résolutions critiquant Israël.

« Une partie réfractaire »

Israël s’est déjà insurgé contre la résolution, déclarant en amont du vote que l’ONU était désespérément partiale et que cette initiative compromettait les perspectives de paix.

Il est également peu probable qu’Israël participe à l’enquête de la CIJ, selon des responsables du ministère des Affaires étrangères interrogés par le Times of Israel. Le pays a également refusé de participer à une enquête de la CPI sur les possibles crimes de guerre commis en Israël et dans les territoires palestiniens.

Quelle que soit l’issue de la procédure du tribunal international, le gouvernement israélien rejettera probablement toute critique à l’égard d’Israël. Par ailleurs, les responsables israéliens ont déclaré que toute issue négative de la CIJ pourrait nuire aux négociations de paix.

« Les Palestiniens veulent remplacer les négociations par des mesures unilatérales », a prévenu Yaïr Lapid, alors Premier ministre, après un vote préliminaire sur la résolution en novembre. « Ils utilisent encore une fois l’ONU pour attaquer Israël. »

« Aucun [rapport de l’ONU] n’a semblé freiner le rouleau compresseur colonial d’Israël [… en raison du] cocon d’impunité que les États-Unis et l’Europe de l’Ouest ont contribué à construire autour de ce pays en déjouant toutes les tentatives faites à ce jour pour l’appeler à rendre compte de ses infractions »

- George Bisharat, professeur à l’université de Californie

Interrogé par Middle East Eye, George Bisharat, professeur à la faculté de droit de l’université de Californie, souligne que l’ONU a constaté qu’Israël « enfreint régulièrement et manifestement le droit international » dans une multitude de rapports et d’avis.

« Pourtant, aucun d’entre eux n’a semblé freiner le rouleau compresseur colonial d’Israël, qui continue d’établir son contrôle sur les terres palestiniennes, tant en Israël qu’en Cisjordanie. Ceci, bien sûr, est principalement dû au cocon d’impunité que les États-Unis et l’Europe de l’Ouest ont contribué à construire autour de ce pays en déjouant toutes les tentatives faites à ce jour pour l’appeler à rendre compte de ses infractions », soutient George Bisharat.

Selon le professeur, un nouvel avis consultatif n’apportera probablement que peu de changements, étant donné que celui-ci est « inapplicable contre [la] partie réfractaire » que constitue Israël.

George Bisharat ajoute que si la CIJ finit effectivement par apparenter la politique israélienne à un apartheid, « cela pourrait avoir un impact à long terme profond sur le discours relatif aux droits des Palestiniens, mais aussi contribuer à réorienter les efforts en abandonnant le mirage d’une solution à deux États pour privilégier l’égalité des droits entre le fleuve [Jourdain] et la mer [Méditerranée] ».

Le nouveau gouvernement d’extrême droite israélien suscite de vives inquiétudes, notamment parce qu’il pourrait nuire à la réputation internationale d’Israël.

Fin décembre, plus d’une centaine d’anciens diplomates israéliens ont fait part de leur « profonde inquiétude face aux graves dommages pour les relations étrangères d’Israël, sa réputation internationale et ses intérêts fondamentaux à l’étranger que pourrait causer ce qui sera apparemment la politique du nouveau gouvernement ».

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].