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Élection en Égypte : un nouveau fait accompli pour Sissi ?

Fort d’un appareil répressif d’État redoutable, Abdel Fattah al-Sissi est quasiment certain d’être réélu le 12 décembre. Mais la période de campagne pourrait renforcer l’activisme de l’opposition
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi assiste à la cinquième réunion semestrielle de coordination de l’Union africaine, le 16 juillet 2023 (AFP)
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi assiste à la cinquième réunion semestrielle de coordination de l’Union africaine, le 16 juillet 2023 (AFP)

L’Égypte s’apprête à organiser une élection présidentielle les 10-12 décembre, dont les résultats devraient être connus à la mi-décembre, ou en janvier en cas de second tour.

Il n’y a guère de suspense quant à l’issue du scrutin : le président Abdel Fattah al-Sissi sera le vainqueur. 

Alors ministre de la Défense, Sissi a mené un coup d’État militaire à l’été 2013 contre le premier président démocratiquement élu du pays, Mohamed Morsi. Surfant sur la vague de peur collective et jouant sur l’aspiration de la classe moyenne à la stabilité après la révolution de 2011, Sissi a déclenché un bain de sang pour soumettre le pays.

Bien que le drapeau et le chauvinisme soient au cœur du discours public de Sissi, l’Égypte a perdu une grande partie de son influence régionale ces dernières années

En parallèle, il a promis aux Égyptiens la prospérité économique et un avenir radieux. Le pays s’est laissé emporter par la « Sissi-mania », si bien qu’il y a lieu de penser qu’il a véritablement remporté la première élection présidentielle post-coup d’État en 2014, qu’elle ait été truquée ou non. 

Dès lors, la popularité de Sissi s’est effondrée à mesure qu’il dilapidait des milliards dans des projets chimériques, réprimait la dissidence sous toutes ses formes, détruisait les organisations de la société civile, militarisait les organes de l’État et appauvrissait les Égyptiens par des dévaluations monétaires successives, associées à des politiques néolibérales austères qui ont laissé l’économie en lambeaux, sous le contrôle des généraux de l’armée.

Bien que le drapeau et le chauvinisme soient au cœur du discours public de Sissi, l’Égypte a perdu une grande partie de son influence régionale ces dernières années. Le régime dépend du soutien continu de despotes arabes du Golfe, à savoir l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et, dernièrement, le Qatar.

Nombreux sont ceux qui ont éprouvé un sentiment d’humiliation nationale lorsque le régime a cédé deux îles stratégiques de la mer Rouge à l’Arabie saoudite en échange d’un soutien financier. 

L’Égypte a également vu son importance chuter dans ses sphères d’influence historiques, telles que la Palestine et le Soudan, sans parler des autres États du bassin du Nil, où l’Éthiopie menace les ressources en eau de l’Égypte avec un barrage construit en dépit de l’opposition véhémente du Caire à ce projet. 

Une chaîne de commandement parallèle

Sissi a bafoué l’État de droit en mettant la main sur le pouvoir judiciaire, en garantissant l’impunité pour les meurtres commis par la police et l’armée et en modifiant la Constitution afin de prolonger son règne. Des méga-complexes pénitentiaires sortent de terre pour accueillir un nombre croissant de détenus. 

Les ministres et les cadres du gouvernement ne sont pas des décideurs politiques et ne sont pas habilités à prendre des initiatives. Le pays est microgéré par Sissi, ses fils et le major-général Abbas Kamel, directeur du Service des renseignements généraux (SRG), ainsi que par une cabale d’officiers. Une chaîne de commandement parallèle est centrée sur des officiers de l’armée en activité et à la retraite affectés à tous les ministères. 

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Lors des deux élections précédentes, en 2014 et 2018, Sissi a été déclaré vainqueur avec environ 97 % des voix à chaque fois.

Et comme prévu, les médias égyptiens – qui sont pour la plupart sous le contrôle du SRG – ont publié des déclarations de soutien à Sissi venant d’hommes d’affaires, de syndicats professionnels et ouvriers dominés par l’État, de stars de cinéma et de chanteurs. 

Parallèlement, la police distribue aux pauvres des villes de tout le pays des produits de consommation de base, avec le visage souriant de Sissi imprimé sur chaque carton, servant ainsi d’outil de propagande électorale.   

Le 25 septembre, alors que l’Autorité nationale électorale annonçait le début officiel de la course à la présidence, les médias ont publié des photos d’Égyptiens se « ruant » vers les bureaux d’enregistrement locaux pour signer des engagements de soutien à Sissi. Selon mes sources syndicales, des travailleurs et des fonctionnaires ont été amenés en bus par la direction de leur entreprise pour participer à ces mascarades de soutien.

D’ici au 8 novembre, la loi stipule que tout candidat souhaitant se présenter aux élections doit recueillir soit 20 soutiens de députés (dans un Parlement dominé par le Parti du futur de la nation, qui soutient le régime), soit au moins 25 000 soutiens de citoyens dans 15 provinces, avec un minimum de 1 000 personnes dans chaque province. Cet algorithme fait qu’il est presque impossible pour tout prétendant sérieux de défier Sissi. 

Démoralisée et assiégée

La communauté militante démoralisée et assiégée et les citoyens en général ont des points de vue différents sur la marche à suivre.

Certains appellent au boycott, puisque le résultat final est déjà connu. Sur cette base, de nombreux candidats qui ont l’intention de se présenter contre Sissi sont vus d’un œil suspicieux, comme des collaborateurs qui ont dû conclure un accord avec les services de sécurité. Certaines figures politiques fermement favorables au régime ou qui ont collaboré par le passé avec l’État correspondent certainement à cette description.

En dehors de Sissi, il ne reste plus en lice que trois candidats sans grand soutien populaire : Farid Zahran, Abdel-Sanad Yamama et Hazem Omar

Un autre courant parmi les dissidents et la population en général avance l’idée de participer à l’élection, mais en déposant un vote de protestation pour la « véritable » opposition. C’est là que les choses se compliquent. 

Au moment où j’ai écrit ces lignes, trois personnalités issues de partis d’opposition avaient déclaré leur intention de se présenter à l’élection : Ahmed al-Tantaoui, ancien parlementaire du parti nassériste al-Karama, Gameela Ismail, cheffe du parti al-Dostour proche du courant libéral, et Farid Zahran, chef du Parti social-démocrate égyptien.

Le prétendant le plus sérieux dans ce trio était sans aucun doute Ahmed al-Tantaoui. Mais à la clôture des enregistrements de signatures de soutien, il n’en avait réuni que « 14 000 », sur les 25 000 nécessaires pour pouvoir se présenter. Ses partisans ont témoigné avoir été agressés par des hommes de main ou refoulés par des fonctionnaires selon eux aux ordres du pouvoir. Il s’était tourné vers la diaspora mais n’avait pu récolter qu’à peine une dizaine de milliers de signatures.

Gameela Ismail et Farid Zahran ont quant à eux été accusés en début d’année d’avoir rencontré le chef des services de renseignement égyptiens, qui les aurait encouragés à se présenter aux élections pour donner l’illusion d’un scrutin démocratique. Tous deux ont nié cette accusation. Les discussions visant à unifier les rangs de l’opposition pour se rallier à un seul candidat n’ont abouti à rien

Gameela Ismail a annoncé mercredi 11 octobre son retrait de la course sur la base de la décision de son parti.

En dehors de Sissi, il ne reste plus en lice que trois candidats sans grand soutien populaire : Farid Zahran, Abdel-Sanad Yamama et Hazem Omar.  Hisham Kassem, chef de file de l’opposition libérale, a lui été condamné en octobre à six mois de prison, l’empêchant de fait de participer à la campagne.

Sissi est presque certain de remporter cette course, non pas en raison de sa popularité, mais parce qu’il bénéficie des institutions de l’État et de son redoutable appareil répressif. Mais la logique qui incite les dissidents à participer à l’élection est simple : Sissi a tué la politique et supprimé toute marge de manœuvre pour s’organiser dans la rue ou dans le cyberespace.

Maintenant que le régime est plus faible et moins confiant qu’il y a dix ans, principalement en raison de ses maladresses économiques, l’élection offre une rare occasion de raviver – du moins à un niveau modeste – la capacité d’organisation. Les militants y voient une étape sur le long chemin de la reconquête des rues. 

Cet article a été écrit avant le 7 octobre, début de la nouvelle phase du conflit israélo-palestinien.

- Hossam el-Hamalawy est un journaliste et activiste-universitaire qui mène des recherches sur l’armée et les services de sécurité égyptiens.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation et actualisé.

Hossam el-Hamalawy is a journalist and scholar-activist who researches the Egyptian military and security services.
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