EN IMAGES : Et si la Palestine avait sa propre monnaie ?
Jehad Naji, un designer de 29 ans, photographié ici avec son épouse Haneen Abu Samhadana, a eu l’idée de concevoir une monnaie pour la Palestine après qu’un journaliste britannique lui a demandé quelle devise il fallait utiliser lors d’une visite à Gaza. Naji a dû lui expliquer qu’il n’y en avait pas et que les Palestiniens devaient utiliser le shekel israélien (Sanad Abu Latifa)
« Les personnes vivant hors de Palestine n’ont aucune idée du fait que l’occupation signifie que l’on ne décide même pas de sa propre monnaie », explique Naji. Son dessin pour le recto du billet de 5 livres représente la basilique de la Nativité à Bethléem (tous droits réservés/Jehad Naji).
Jehad Naji explique que le plus difficile a été de choisir les personnalités et les monuments à utiliser. Le nationaliste palestinien Abd al-Kader al-Husseini, commandant et fondateur de l’Armée de la guerre sainte (Jaych al-Jihad al-Mouqaddas) au cours de la guerre de 1947-1948, figure au verso du billet de 5 livres. « Au début, j’avais décidé de ne refléter dans la monnaie que la culture, [mais] je ne pouvais pas ignorer Abd al-Kader al-Husseini », affirme-t-il. « Personne ne peut nier le rôle de la tendance islamique en Palestine. »
Les Palestiniens ont utilisé la livre palestinienne pendant le mandat britannique sur la Palestine (1927-1948), après lequel aucun autre billet n’a été émis. À Gaza, la livre égyptienne a été utilisée à partir de 1951, tandis que le dinar jordanien a été utilisé en Cisjordanie à partir de 1952. Le shekel israélien est utilisé dans les deux territoires depuis l’occupation de 1967. Le recto du billet de 10 livres montre la mosquée al-Ibrahimi d’Hébron.
L’épouse de Jehad Naji, Haneen Abu Samhadana, l’a soutenu tout au long de son projet, qui a duré treize mois, en le conseillant et en l’aidant à choisir les couleurs. « Le plus grand choc est survenu après la publication des photos, lorsque nous avons découvert que les étrangers ne savaient même pas que nous utilisions des shekels israéliens et non notre propre monnaie », confie-t-elle. Le poète palestinien Mahmoud Darwich figure au verso du billet de 10 livres, à côté du site romain de Césarée, proche de Haïfa.
Le recto du billet de 20 livres dépeint une représentation de dabkeh, une danse folklorique palestinienne. « Mes choix [en général] étaient fondés sur ma conviction que ces figures symboliques contribuaient à la lutte pacifique palestinienne, même si Yasser Arafat et Abd al-Kader al-Husseini peuvent être des personnages controversés en matière de résistance pacifique », indique Naji.
Le designer raconte que lorsqu’il a fait les dessins, l’imprimeur de la papeterie était émerveillé. « Je lui ai demandé ce qu’il préférait entre les shekels israéliens ou ces livres palestiniennes. Il a choisi les livres palestiniennes, sans hésitation. Les gens ont encore de l’espoir, ils éprouvent de la fierté pour tout ce qui leur rappelle leur histoire. » Le verso du billet de 20 livres représente le caricaturiste Naji al-Ali à côté du lac de Tibériade.
Le recto du billet de 50 livres montre le célèbre cinéma al-Nasr de Gaza. Najib espère que son travail relancera le débat sur la monnaie palestinienne. « J’ai passé au moins huit mois à faire des recherches sur l’histoire des monnaies et celle de la Palestine […], pour comprendre pourquoi nous, les Palestiniens, n’avons pas notre propre monnaie et pourquoi nous ne pouvons pas réutiliser simplement la livre palestinienne. »
Le verso du billet de 50 livres montre la poétesse et activiste féministe palestinienne Fadwa Touqan, décédée en 2003. À sa gauche figure l’église du puits de Jacob à Naplouse.
Le recto du billet de 100 livres représente le large tronc d’un olivier romain qui trône à Ramallah depuis plus de 2 000 ans. On y voit également une citation en arabe de Yasser Arafat : « Ce n’est pas la dignité personnelle qui importe, mais la dignité de la patrie et de sa cause. »
Le verso du billet de 100 livres laisse apparaître Yasser Arafat. À côté de lui se trouve le dôme du Rocher dans la vieille ville de Jérusalem. Jehad Naji explique que le choix d’Arafat suscite des critiques, dans la mesure où le dirigeant de l’OLP a signé les accords d’Oslo et de Paris, suite auxquels il est devenu beaucoup plus difficile pour la Palestine d’avoir sa propre monnaie. « Mais je ne peux pas parler de la Palestine et ignorer l’histoire d’Arafat », concède Naji. « C’est impossible. »
Le dessin de Naji pour le recto du billet de 200 livres représente le palais d’Hisham à Jéricho. Nombreux sont ceux qui souhaitent que la Palestine ait sa propre monnaie, mais l’Autorité monétaire palestinienne (AMP) a déclaré à MEE que celle-ci devrait se conformer à des accords qui requièrent l’approbation d’Israël, de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international.
Saif al-Deen Oda, de l’AMP, a également indiqué à MEE que cela ne serait pas possible en raison de l’état de l’économie palestinienne. « Israël n’accepterait pas l’idée de laisser les Palestiniens imprimer leur propre monnaie », a-t-il affirmé. « Cela fait partie de l’occupation. » Ci-dessus, l’universitaire Edward Saïd apparaît sur le verso du billet de 200 livres, à côté de Khan al-Umdan dans la ville d’Akko (également connue sous le nom d’Acre).
Oda a également souligné que la dépendance vis-à-vis du shekel signifiait que toute l’aide internationale à la Palestine devait être convertie en devise israélienne, renforçant ainsi les réserves de change d’Israël. Ci-dessus, le recto du billet de 500 livres représente la mosquée al-Aqsa à Jérusalem.
Le verso du billet de 500 livres montre l’écrivain et activiste politique Ghassan Kanafani à côté du château de Barquq à Khan Younès, dans la bande de Gaza. Naji envisage désormais d’exposer ses dessins. « J’espère que mon projet remontera jusqu’aux responsables nationaux et internationaux car laisser les gens décider eux-mêmes ne doit pas être une chose limitée au passé. »
Jehad Naji n’est pas le seul fervent partisan d’une monnaie palestinienne. Lors d’une exposition organisée au centre culturel Rashad al-Shawwa à Gaza par la Ligue des collectionneurs de pièces de monnaie et de timbres, Ahmed Jarada (38 ans) a évoqué son amour pour les billets et les pièces de monnaie pré-Nakba. « C’est notre histoire et je ne regrette pas de dépenser de l’argent pour cela », dit-il. (Sanad Abu Latifa)
Abu Hani al-Khatib, un coiffeur né en 1936, se souvient d’avoir utilisé la vieille livre palestinienne pendant son enfance. « Voir des jeunes Palestiniens être toujours préoccupés par leur histoire au point de vouloir recréer la livre palestinienne est quelque chose de prometteur. Cela fait partie de la lutte palestinienne ; le débat sur la monnaie palestinienne doit toujours être vivant » (Sanad Abu Latifa)
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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