Liban : naissance, au forceps, du gouvernement de la dernière chance
Le nouveau gouvernement libanais, annoncé mardi 21 janvier au soir, sort des sentiers battus à plus d’un égard. Le profil de Hassan Diab en est l’indice le plus manifeste. Le Premier ministre, nommé le 19 décembre, ne fait pas partie de la classe politique traditionnelle, contrairement à tous ceux qui l’ont précédé à ce poste depuis la fin de la guerre civile, en 1990.
Certes, c’est un sunnite, comme l’exige le système confessionnel libanais, qui attribue cette charge à un membre de cette communauté, alors que la présidence de la République revient à un chrétien maronite et la présidence du Parlement échoie à un chiite. Hassan Diad, qui vient du monde académique (il est vice-président de l’Université américaine de Beyrouth), se qualifie lui-même d’indépendant.
La composition du Conseil des ministres constitue également un autre indice de taille. C’est un gouvernement restreint de vingt membres, alors que le Cabinet précédent comptait trente ministres, comme c’était souvent le cas au Liban, pour répondre à l’impératif de répartition des charges ministérielles entre les principaux partis politiques – le « partage du gâteau entre les gens du pouvoir », comme le reproche le mouvement de contestation qui secoue le Liban depuis le 17 octobre.
Six femmes au gouvernement, une première
C’est aussi le gouvernement qui compte le plus grand nombre de femmes (six) dans un système politique très masculin et patriarcal. C’est d’ailleurs la première fois qu’une femme (Zeina Akar Adra) est nommée au poste de vice-présidente du Conseil des ministres et ministre de la Défense.
Autre nouveauté, le gouvernement ne compte aucun député et aucun membre encarté dans l’un des partis politiques traditionnels. Il s’agit de « technocrates », comme se qualifie lui-même Hassan Diab. Académiciens, économistes, médecins, spécialistes dans leurs domaines respectifs, triés sur le volet.
Si [le gouvernement] est soutenu par des partis qui viennent d’horizons politiques et communautaires différents, ceux-ci ont en commun leurs options régionales : partisans de bonnes relations avec l’Iran et la Syrie, méfiants ou carrément hostiles aux projets américains et saoudiens dans la région
Cela n’en fait pas pour autant un gouvernement d’indépendants. Hassan Diab a formé son gouvernement en étroite collaboration avec les forces politiques qui l’ont nommé à son poste, c’est-à-dire le Courant patriotique libre (le plus grand parti chrétien fondé par le président Michel Aoun et dirigé par son gendre, le ministre des Affaires étrangères sortant Gebran Bassil) et la coalition du 8-Mars, conduite par le Hezbollah.
Il s’agit donc d’un gouvernement monochrome : s’il est soutenu par des partis qui viennent d’horizons politiques et communautaires différents, ceux-ci ont en commun leurs options régionales : partisans de bonnes relations avec l’Iran et la Syrie, méfiants ou carrément hostiles aux projets américains et saoudiens dans la région.
Le Hezbollah fait pression sur ses alliés
Malgré cela, les querelles entre alliés ont fait avorter la formation maintes fois annoncée du gouvernement. Il a fallu que le Hezbollah tape du poing sur la table et déploie de gros efforts pour aplanir les obstacles et arrondir les angles afin de satisfaire les appétits des uns et des autres pour permettre la naissance du Cabinet.
Le retard pris dans ce processus a provoqué la colère des Libanais, déjà soumis à de fortes pressions économiques, financières et sociales. Cette exaspération s’est traduite par de violents affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre, qui ont fait plus de 520 blessés la semaine dernière.
Hassan Diab se sent certes redevable à ceux qui l’ont nommé, mais il a quand même établi des critères pour la formation de son gouvernement. Il le souhaitait restreint, ce qu’il a obtenu ; sans aucune figure ayant participé au Cabinet précédent, honni par la contestation ; composé de ministres non partisans, des technocrates et des spécialistes.
Il a aussi gagné son pari de former son gouvernement dans un délai n’excédant pas six semaines, alors qu’il avait fallu dix mois à Saad Hariri pour annoncer le sien.
Hassan Diab aurait souhaité élargir ses concertations à toutes les forces politiques, y compris celles qui ne l’ont pas nommé, comme le Courant du futur de Saad Hariri, les Forces libanaises (chrétiennes) de Samir Geagea et le Parti socialiste progressiste du leader druze Walid Joumblatt, des partis hostiles à Damas et Téhéran et proches des options régionales américano-saoudiennes. Mais ils ont refusé d’être associés au gouvernement.
Hariri veut priver Diab de toute légitimité sunnite
Saad Hariri est le plus virulent. Sa stratégie consiste à priver Hassan Diab de toute légitimité sunnite et ses partisans sont descendus massivement dans la rue dans de nombreuses régions du pays, mardi soir, pour exprimer bruyamment leur opposition au nouveau gouvernement.
« Je ne pense pas que l’opposition au gouvernement soit l’exclusivité des sunnites, elle s’étend aussi aux autres communautés »
- Mohammad Nokkari, ancien secrétaire général de Dar el-Fatwa
Tous ne sont toutefois pas de cet avis. « Il faut donner une chance à M. Diab et son gouvernement, bien que les circonstances qui ont entouré sa désignation et la formation de son équipe ne sont pas idéales », déclare à Middle East Eye cheikh Mohammad Nokkari, juge dans les tribunaux religieux sunnites et ancien secrétaire général de Dar el-Fatwa, la plus haute instance spirituelle de cette communauté.
« Je ne pense pas que l’opposition au gouvernement soit l’exclusivité des sunnites, elle s’étend aussi aux autres communautés. De toute façon, attendons de voir les résultats de sa visite et de ses entretiens avec le mufti [la plus haute autorité religieuse sunnite] », ajoute-t-il.
Malgré les pressions politiques et populaires, Hassan Diab semble déterminé à aller de l’avant. Il a fixé les grandes lignes de son action gouvernementale, dont le but est selon lui de satisfaire les revendications du mouvement de contestation populaire, qu’il a appelé la « révolution » : l’indépendance de la justice, la lutte contre la corruption et le chômage, la récupération des fonds publics pillés, la préparation d’une loi électorale.
Un vaste et ambitieux programme qu’il se promet de réaliser en terrain miné, dans un pays confronté à une crise multidimensionnelle.
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