Rompre la coordination entre Israël et l’Autorité palestinienne : l’atout dont Mahmoud Abbas ne peut se servir
Samedi, la déclaration du président Mahmoud Abbas n’aurait pu être plus claire : face à l’imminente annexion israélienne et l’humiliant « accord du siècle » américain, l’Autorité palestinienne (AP) allait rompre ses relations en matière de sécurité avec les deux pays.
Pourtant, le lendemain, l’étroite coopération en matière de sécurité suivait son cours, les bureaux de liaison opérant comme si rien ne s’était passé.
Les dirigeants palestiniens ont été consternés par le plan de Donald Trump censés régler le conflit israélo-palestinien, un document de 180 pages qui soutient essentiellement les revendications israéliennes concernant de vastes régions de la Cisjordanie occupée et sape tout État palestinien.
Alors qu’il ouvre la voie à l’annexion formelle par Israël de la vallée du Jourdain et des colonies israéliennes illégales, soit plus d’un tiers de la Cisjordanie, l’AP se presse de faire face à cette menace.
Cependant, malgré le discours résolu d’Abbas au sommet de la Ligue arabe au Caire il y a deux jours, la rupture immédiate des liens n’a jamais traversé l’esprit du président de l’AP, selon un haut responsable du gouvernement palestinien.
Cette annonce, selon cette source, était plutôt « un indice » laissant entendre qu’il pourrait jouer un « atout » pour faire pression sur les États-Unis et Israël.
« Abbas joue toutes ses cartes pour s’opposer au projet israélo-américain et ses implications, en particulier celle de la coopération dans le domaine de la sécurité », a-t-il affirmé.
Pour Israël, l’externalisation d’une grande partie de la collecte des renseignements et de la mise en œuvre des mesures de sécurité en Cisjordanie à l’AP est d’une grande utilité et contribue à réduire les attaques contre ses forces et ses citoyens.
L’AP dominée par le Fatah utilise, quant à elle, les informations que lui remet Israël pour maintenir sa domination et saper son rival, le Hamas.
Washington bénéficie lui aussi de cet arrangement, a poursuivi le haut responsable du gouvernement.
« L’AP participe à la guerre de l’Occident contre le terrorisme et le président Abbas a voulu rappeler aux Américains et aux Israéliens que ce rôle a un prix politique, et que sans cela, elle ne peut se poursuivre », a-t-il déclaré.
Changer la donne
Juste après la révélation du plan de Trump en début de semaine dernière, le ministre des Affaires civiles de l’AP, Hussein Sheikh, a organisé une réunion avec le ministre israélien des Finances Moshe Kahlon et l’a informé de la décision de cesser la coordination en matière de sécurité avec Israël en cas d’annexion de régions de Cisjordanie.
On ne sait pas si Israël prend ces menaces au sérieux.
Par deux fois récemment, en 2015 et 2017, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), composante clé de l’AP, a annoncé qu’elle rompait ses liens avec Israël. Cependant, ces décisions n’ont jamais été mises à exécution par l’Autorité palestinienne.
Mettre une telle menace à exécution changerait assurément la donne.
Cependant, une telle mesure stratégique ne pourrait être mise en œuvre que si les règles régissant la relation entre l’AP et Israël étaient totalement réécrites, a expliqué à MEE un haut responsable du Fatah.
« Mettre fin à la coordination en matière de sécurité pourrait entraîner un conflit armé, et cela pourrait conduire à l’effondrement de l’AP », a-t-il affirmé sous couvert d’anonymat.
« Mettre fin à la coordination en matière de sécurité pourrait entraîner un conflit armé, et cela pourrait conduire à l’effondrement de l’AP »
- Un responsable du Fatah
Au niveau le plus élémentaire, la coordination en matière de sécurité entre Israël et l’AP affecte la stabilité et la gestion des zones cisjordaniennes dirigées par l’AP au quotidien.
« Comment fonctionne la coordination en matière de sécurité ? Lorsque les forces israéliennes pénètrent dans l’une de nos zones – chose qui se produit quasiment toutes les nuits –, les Israéliens nous informent de l’heure à laquelle ils y entrent de sorte que nous puissions retirer tous nos policiers des rues », a poursuivi le responsable du Fatah.
« Et si ce canal cessait, les policiers armés pourraient affronter les soldats israéliens armés sur n’importe quelle place, dans n’importe quelle rue, dans n’importe quelle ville et cela pourrait conduire à une rupture du système de sécurité. »
Même les mouvements d’Abbas sont dictés par la coordination en matière de sécurité.
Le convoi du président se déplace entre son bureau de Ramallah et sa résidence environ quatre fois par jour. Une dizaine de véhicules de sécurité et des dizaines d’hommes armés sont déployés pour accompagner le convoi et avant même qu’il se mette en route, Israël est tenu au courant, afin d’éviter l’embarras d’être stoppé par des patrouilles militaires israéliennes.
S’il y a des opérations israéliennes en cours, Abbas retarde son départ afin de ne pas être pris au milieu.
Exigence populaire
Se dépêtrer de la coordination civile est également hautement problématique pour l’AP.
Les deux parties échangent les certificats de naissance et de décès et coopèrent pour la délivrance des cartes d’identité et des passeports, des documents vitaux pour circuler en Cisjordanie, en Israël et à l’étranger.
Actuellement, l’AP a besoin de l’autorisation israélienne pour exercer la plupart de ses pouvoirs les plus élémentaires.
Il y a plusieurs années, l’AP a tenté d’étiqueter ses passeports comme étant délivrés par l’« État de Palestine », plutôt que l’« Autorité palestinienne », mais Israël a menacé de refuser tout document comportant cette modification. L’AP n’a pas tardé à faire marche arrière, par crainte que ses détenteurs de passeports se voient refuser le passage aux frontières.
Lorsque l’OLP avait précédemment tenté de mettre fin à un accord économique entre Israël et l’Autorité palestinienne, lequel place les territoires palestiniens dans une union douanière avec Israël, l’AP a été incapable de le concrétiser à cause du contrôle total exercé par les autorités israéliennes sur la circulation des biens et des individus aux postes-frontières.
Israël collecte également les taxes sur les biens importés dans les territoires palestiniens et les transfère à l’AP à la fin de chaque mois. La menace de ne pas recevoir ces fonds vitaux contraint l’AP à obtempérer.
La population palestinienne souhaite résolument que l’OLP revienne sur sa reconnaissance d’Israël et cesse la coordination en matière de sécurité. Cependant, les responsables proches d’Abbas disent qu’aucune action ne sera entreprise à moins qu’elle ne soit absolument nécessaire, car cela pourrait marquer la fin de l’AP.
« Si Israël annexe la vallée du Jourdain et ses colonies, nous ne pourrons continuer à travailler selon les termes des accords sécuritaires, civils et économiques conclus avec Israël », a déclaré le responsable du gouvernement.
« Même si nous voulions poursuivre la coordination, notre peuple ne l’accepterait pas. Nous entrons dans une nouvelle ère, différente, et personne ne peut prédire ce à quoi elle ressemblera. »
Les conditions n’ont jamais été aussi favorables pour qu’Israël annexe de larges pans de la Cisjordanie. L’administration Trump penche fortement en faveur du droit israélien et du mouvement des colons, les Européens sont divisés et indifférents, et de nombreux États arabes courtisent Israël ou sont en pleine agitation.
« Même si nous voulions poursuivre la coordination, notre peuple ne l’accepterait pas. Nous entrons dans une nouvelle ère, différente, et personne ne peut prédire ce à quoi elle ressemblera »
- Un responsable du gouvernement de l’AP
Se préparant à ce qui semble être l’annexion inévitable de la vallée du Jourdain et des colonies illégales, l’AP prépare plusieurs initiatives, y compris un rapprochement avec le Hamas, qui dirige la bande de Gaza.
Cependant, les observateurs ne sont pas persuadés que ces initiatives auront un quelconque impact et sont sceptiques quant à toute percée dans les relations entre le Fatah et le Hamas, malgré les appels entre Abbas et le chef du Hamas Ismaël Haniyeh et la promesse que le président le verra à Gaza.
Les tentatives déployées pour attirer un soutien à l’étranger tomberont aussi probablement à plat.
Abandonnée sur le plan international, divisée sur le plan national, et alors qu’Israël détient les clés pour circuler dans le territoire, rompre la coordination pourrait s’avérer impossible pour l’AP.
Lundi, Abbas a répété sa menace, même si cette fois, il l’a conditionnée à la possibilité qu’Israël annexe les territoires palestiniens.
« Nous tiendrons nos positions jusqu’à ce que les Américains et les Israéliens reviennent sur leur projet », a-t-il déclaré.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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