« Une ville fantôme » : à Bethléem, les festivités de Pâques compromises par le coronavirus
Vendredi matin, Bethléem ressemblait au décor d’un film apocalyptique hollywoodien. Les rues étaient désertes et les commerces fermés. La police portait des masques et de gros nuages noirs menaçaient.
Cela faisait moins de 24 heures que l’Autorité palestinienne (AP) avait déclaré l’état d’urgence en Cisjordanie occupée et isolé Bethléem après la confirmation de sept cas de coronavirus (COVID-19) dans la ville – des ressortissants palestiniens qui travaillent à l’hôtel Angel de Beit Jala, la ville-jumelle de Bethléem, et qui sont actuellement en quarantaine.
Ils auraient contracté le virus auprès d’un groupe de touristes grecs testés positifs après leur retour en Grèce.
Une hystérie collective s’est abattue sur la ville jeudi, les habitants se ruant dans les supermarchés et les pharmacies pour faire des stocks de nourriture, de masques et de produits d’hygiène et d’entretien.
Le ministère palestinien du Tourisme a interdit l’arrivée de touristes pendant deux semaines et les hôtels ont été contraints d’annuler leurs réservations.
Pour la première fois depuis la seconde Intifada, les autorités ont dû fermer la basilique de la Nativité, qui selon la tradition chrétienne est le berceau de Jésus-Christ et attire des visiteurs du monde entier.
Le Premier ministre palestinien Mohammed Shtayyeh a annoncé jeudi soir à la télévision que Bethléem serait confinée pendant un mois – ce qui signifie qu’il n’y aura pas d’école, d’université, de réunions, de manifestations, de grands rassemblements ou de célébrations.
Israël a fermé les check-points autour de Bethléem et interdit les entrées et sorties de la ville.
Tragédie de Pâques
En mars habituellement, des milliers de touristes s’activent chaque jour place de la Mangeoire et dans l’église de la Nativité, tandis que des centaines de Palestiniens travaillent dans la vieille ville environnante, beaucoup dans des entreprises liées aux lieux saints.
Mais ces jours-ci, la place généralement bondée est pratiquement déserte.
« La période de mars et avril est censée être la haute saison du tourisme à Bethléem », déclare à MEE Nabil Giacaman, propriétaire d’une boutique de souvenirs à l’angle ouest de la place de la Mangeoire. « Mais aujourd’hui, c’est une ville fantôme. »
Comme beaucoup d’autres, l’homme de 34 ans compte sur le tourisme pour subvenir aux besoins de sa famille, en particulier dans ce qui devrait maintenant être le « rush de Pâques ».
« C’est une catastrophe économique », déplore-t-il, notant qu’il y avait déjà eu une forte baisse du tourisme en raison des craintes de coronavirus. « Maintenant, Bethléem est en état de siège et nous ne serons pas en mesure de vendre quoi que ce soit pour les deux prochaines semaines, peut-être plus. »
Giacaman redoute que même dans le meilleur des cas, si le virus est rapidement jugulé et éradiqué en Palestine, il faudra encore des mois pour se remettre des pertes actuelles.
De l’autre côté de la place, Hussein Kurdi, 51 ans, se tient devant les portes fermées de la basilique de la Nativité, faisant signe à ses collègues et aux visages familiers qui passent.
« Que pouvons-nous faire ? », interroge cet employé d’une boutique de souvenirs, en riant et levant les mains au ciel.
« Personne ne sait vraiment comment va évoluer la situation », poursuit-il, ajoutant qu’il vient passer le temps du côté de l’église, ne sachant pas vraiment quoi faire d’autre.
Malgré les difficultés économiques, lui et d’autres sont d’accord avec les mesures prises par le gouvernement palestinien pour contrôler l’épidémie.
« Peu importe ce que je pense des affaires, la santé des gens est plus importante », déclare-t-il à MEE.
La population s’inquiète toutefois de la capacité de l’AP à contenir une épidémie grave.
Dans le camp de réfugiés d’Aïda, à proximité, Ghada al-Azzeh, directrice du centre pour les femmes du camp, affirme que l’Autorité palestinienne aurait dû agir plus tôt après avoir vu des cas en Israël.
« Ils ont laissé les touristes entrer et sortir de Bethléem depuis des semaines sans aucune précaution, et c’est pour ça que nous nous sommes retrouvés dans cette situation », accuse la femme de 44 ans.
« Il est assez clair que tout cela se fait au dernier moment », ajoute-t-elle. « Par exemple, on ne sait pas clairement quels numéros appeler si nous tombons malades, où aller, comment nous faire dépister. »
« Ils n’arrivent même pas décider où mettre les gens en quarantaine », insiste-t-elle, en référence aux manifestations qui ont eu lieu à Jéricho jeudi après que l’AP a tenté de mettre en place une quarantaine spéciale dans la ville pour faire face aux cas de coronavirus.
Des informations et récits contradictoires continuaient d’affluer en cette fin de semaine, semant la confusion parmi les habitants concernant les restrictions qui leur étaient imposées ou non.
Le flou régnait également quant à savoir si l’interdiction du ministre israélien de la Défense Naftali Bennett d’entrer à Bethléem s’appliquait aux soldats et aux colons israéliens, bien que des médias israéliens aient indiqué qu’elle ne s’appliquait qu’aux citoyens palestiniens d’Israël qui fréquentent les magasins et cafés de Bethléem.
Après l’annonce de Bennett, les internautes sur les réseaux sociaux ont ironisé sur le fait qu’ils n’avaient enfin plus à s’inquiéter des raids israéliens ou de la présence de soldats israéliens dans la ville.
« C’est un peu drôle ce que les gens disaient », commente Ghada al-Azzeh.
« Nous n’avons plus rien à craindre de la part des Israéliens et nous pouvons dormir en paix sans nous soucier d’eux », déclare-t-elle. « Mais en même temps, nous allons perdre le sommeil à cause du coronavirus. »
Davantage de confusion entourait l’ampleur de la fermeture de la ville. Alors que les check-points israéliens étaient fermés, certains habitants ont indiqué être encore en mesure de se déplacer entre Bethléem et les villages palestiniens environnants.
À l’extérieur du tristement célèbre « Checkpoint 300 », qui sépare Bethléem et Jérusalem, un groupe de touristes bloqués discutent justement avec des Palestiniens de la façon dont ils pourraient sortir de la ville.
« Nous sommes venus ce matin de Jérusalem en passant par le Checkpoint 300 afin de visiter Bethléem et les Israéliens nous ont laissé passer sans même poser de questions », déclare à MEE Laurette Wierre, une touriste française de 28 ans.
« Lorsque nous sommes sortis du poste de contrôle et que nous avons commencé à nous diriger vers la ville, nous avons été arrêtés par la police palestinienne, qui nous a ramenés au check-point et nous a demandé de repartir. »
Lorsque le groupe – qui est arrivé la semaine précédente, avant qu’Israël ne commence à mettre en quarantaine les touristes de France et d’ailleurs – est retourné du côté israélien, on leur a dit qu’ils ne pouvaient pas revenir à Jérusalem.
« Personne ne peut nous aider ou nous dire ce que nous devrions faire », déplore la jeune femme, ajoutant que son groupe n’était pas au courant des récents développements à Bethléem et de l’interdiction des touristes.
« Nous sommes choqués, pourquoi nous ont-ils laissés pénétrer dans Bethléem s’ils savaient que nous ne pourrions pas en ressortir ? »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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