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Bibi is watching you : Israël déploie ses espions pour s’attaquer aux coronavirus

Les mesures de surveillance proposées par Benyamin Netanyahou sous le couvert de la pandémie menacent un système de gouvernance démocratique déjà malmené
Des passants portant des masques de protection et des gants entrent dans l’hôpital universitaire Samson Assuta Ashdod, dans le sud d’Israël, en début de semaine (AFP)
Par Yossi Melman à TEL AVIV, Israël

Sous le couvert de la pandémie de coronavirus et de la détérioration de la stabilité politique qui s’ensuit dans le pays, le gouvernement israélien dirigé par Benyamin Netanyahou fait pression en faveur de mesures extrêmes appelées à compromettre encore plus des droits démocratiques et des libertés civiles déjà fragiles.

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Tard ce lundi, Netanyahou, qui dirige désormais un gouvernement de transition après trois élections ayant débouché sur une impasse en l’espace de quinze mois, a autorisé la police et le Shin Bet, le service de sécurité intérieure, à surveiller les individus soupçonnés d’avoir contracté le virus.

Le plan du Premier ministre consiste à transformer en armes contre la pandémie les mêmes technologies que celles qu’utilisent aujourd’hui l’agence de sécurité et, dans une moindre mesure, la police pour lutter contre les militants armés et les criminels. 

Big Brother

Pendant une quinzaine d’années, les services de renseignement israéliens ont développé l’un des outils de surveillance les plus avancés au monde pour surveiller et espionner les militants palestiniens et les individus considérés comme des ennemis de l’État. Cette technologie permet notamment de localiser des ordinateurs et de fouiller des téléphones en recoupant la position des antennes et les signaux transmis.

Combinée aux caméras installées aux coins des rues des « villes sûres » (c’est-à-dire hautement surveillées) et à la surveillance des activités en ligne, notamment sur Google, Twitter, Facebook et YouTube, elle rend les gens « visibles » et les « met à nu ».

En utilisant les données accumulées, cette technologie peut suivre et enregistrer les déplacements et la localisation des individus, non seulement en ligne mais aussi dans la vie réelle, et peut également récupérer ces mêmes données à leur sujet sur les deux ou trois dernières semaines.

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Cette technologie, qu’Israël utilise depuis des années dans les guerres et pour traquer les criminels, n’est pas propre à ce pays. De la Chine aux États-Unis, de l’Iran à l’Italie, du Qatar à la Russie en passant par l’Arabie saoudite, elle est présente et largement utilisée, incarnant parfaitement la notion de Big Brother.

Toutefois, Israël est le premier pays à reconnaître publiquement son intention d’employer cette technologie pour tenter d’endiguer la propagation du coronavirus.

Sauter la queue

Personne ne peut contester l’importance du fait de contenir et de stopper le virus pour « aplatir la courbe », ce qui est encore plus essentiel aujourd’hui pour des nations comme Israël et l’Italie, dont les citoyens se sont constitué – à juste titre – une réputation de nations au comportement chaotique et peu enclines à suivre les instructions.

Y a-t-il quelque chose de plus israélien que de sauter la queue ? 

Ainsi, à une époque où l’on nous demande de garder nos distances sociales, de nous rassembler seulement en petits groupes, d’éviter les poignées de main et de veiller à notre hygiène personnelle, il est en réalité difficile pour les autorités israéliennes d’imposer ces réglementations.

Face à ces difficultés et à l’inquiétude croissante des responsables locaux des services de santé, qui craignent qu’Israël, avec « seulement » 304 cas de coronavirus (en date du 17 mars) heureusement non mortels à ce jour, ne soit bientôt confronté à une explosion exponentielle qui toucherait des dizaines de milliers de personnes, le gouvernement a introduit le système d’espionnage dans le domaine civil en le présentant comme quelque chose d’absolument nécessaire. 

Une invasion de la vie privée

Le gouvernement de Netanyahou a formulé des garanties quant au fait que la technologie sera utilisée uniquement dans le but de localiser et d’identifier les individus qui ont été en contact sans le savoir avec un individu testé positif au coronavirus. 

[...] ces nouvelles mesures constitueraient une violation manifeste des droits de l’homme qui ouvrirait la voie à une invasion de leur vie privée (ce que les Palestiniens vivant sous occupation israélienne connaissent bien)

La décision a en outre été approuvée par le procureur général avec la promesse que les informations recueillies seraient détruites au bout de 30 jours.

Pourtant, de nombreux Israéliens s’opposent à ces mesures pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ceux qui s’y opposent pointent du doigt Taïwan, où la surveillance numérique a été employée pour empêcher la propagation de l’épidémie, mais d’une manière légèrement différente. Le gouvernement taïwanais a distribué des téléphones spécialement adressés aux cas suspects afin d’éviter de surveiller les téléphones privés des citoyens.

De nombreux Israéliens rejettent cette décision purement par principe. Selon eux, les démocraties ne devraient pas espionner leurs citoyens et ces nouvelles mesures constitueraient une violation manifeste des droits de l’homme qui ouvrirait la voie à une invasion de leur vie privée (ce que les Palestiniens vivant sous occupation israélienne connaissent bien). 

Mais la préoccupation la plus grave vient de la manière dont la décision a été prise.

La Knesset ignorée

Pour formuler sa décision en tant que mesure légale, Netanyahou et son cabinet ont activé des lois d’urgence initialement adoptées par le gouvernement du mandat britannique qui a dirigé la Palestine de 1918 à 1948.

En 1939, avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, les autorités britanniques ont promulgué ces lois d’urgence pour combattre l’Allemagne nazie. Mais depuis l’indépendance d’Israël en 1948, elles ont été principalement utilisées contre les Palestiniens de Cisjordanie occupée et de Gaza, mais rarement contre les citoyens israéliens et certainement pas de façon massive, comme c’est le cas actuellement. 

Un employé des services sanitaires palestiniens pulvérise du désinfectant autour du camp de réfugiés d’Aïda, à Bethléem, devant la barrière de séparation israélienne (AFP)
Un employé des services sanitaires palestiniens pulvérise du désinfectant autour du camp de réfugiés d’Aïda, à Bethléem, devant la barrière de séparation israélienne (AFP)

Chose encore plus troublante, ces lois d’urgence visant à surveiller les citoyens ont été promulguées sans l’approbation ni la supervision de la Knesset, le Parlement israélien.

En effet, une sous-commission de la commission des affaires étrangères et de la sécurité, qui supervise la communauté du renseignement et qui est dirigée par l’ancien chef d’état-major de l’armée israélienne Gabi Ashkenazi, a refusé d’approuver le projet de loi sans délibération approfondie. Netanyahou a profité du chaos politique pour ignorer la Knesset et imposer les lois d’urgence.

Les lois d’urgence ne sont qu’une nouvelle pierre apportée à l’édifice d’agissements et de tendances qui menacent le système démocratique israélien

Le mois dernier, le parti Bleu Blanc dirigé par Benny Gantz, un autre ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, a comparé les agissements de Netanyahou à ceux du président turc Recep Tayyip Erdoğan.

À l’issue des dernières élections organisées il y a deux semaines en Israël, Gantz, avec le soutien des députés israélo-palestiniens de la Knesset, jouit d’une minuscule majorité (61-59) au Parlement. Néanmoins, en raison des luttes intestines au sein de son parti, il a du mal à former un gouvernement de coalition pour remplacer Netanyahou. 

Un pas de plus

En attendant, les lois d’urgence ne sont qu’une nouvelle pierre apportée à l’édifice d’agissements et de tendances qui menacent le système démocratique israélien.

Netanyahou et son fils Yaïr ne cessent de s’attaquer aux médias, qualifiant les journalistes de « gauchistes » dans l’espoir de faire fermer les journaux et les chaînes de télévision indépendants qui, en réalité, ne font que prendre la peine d’examiner leurs agissements.

Le duo père-fils, entouré de ministres béni-oui-oui, a également attaqué sans relâche le système judiciaire du pays.

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Invoquant le prétexte du coronavirus, le ministre de la Justice Amir Ohana, fidèle disciple de Netanyahou, a ordonné la fermeture des tribunaux depuis samedi dernier à minuit pour empêcher l’ouverture du procès pour corruption de Netanyahou, qui devait commencer ce mercredi.

Avec tant de mesures prises pour éroder la démocratie, les Israéliens craignent en effet que Netanyahou ne soit déjà en bonne voie pour diriger Israël de la même façon qu’un certain nombre d’hommes forts de droite, d’Erdoğan à Vladimir Poutine en passant par Jair Bolsonaro, dirigent leur nation respective. 

Dans l’ombre du coronavirus, la démocratie israélienne, déjà compromise, se bat pour sauver son âme et assurer sa survie.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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