« Nous n’avions plus rien à manger » : des Libanais démunis attendent d’être rapatriés dans leur pays
Quand Rana Aaraj réalise que l’aéroport de Beyrouth va être rapidement fermé, elle décide d’avancer son vol depuis Amman de trois jours. Mais une tempête de sable cloue tous les avions au sol dans la capitale jordanienne le jour où elle doit embarquer.
Il ne reste ensuite qu’une option : un retour à 1 500 dollars avec une escale à Istanbul, et l’éventualité de rester coincée en Turquie. Trop cher, trop risqué.
« Je suis ici depuis un mois et n’ai aucune idée de quand je pourrai repartir. L’ambassade nous écrit tous les jours, mais aucun vol n’est encore prévu », raconte à Middle East Eye la consultante dans le secteur du genre, qui profitait de quelques jours de vacances dans le royaume hachémite.
Longtemps hésitant à l’idée de rapatrier ses ressortissants de peur d’aggraver l’épidémie de COVID-19 au Liban, le fragile gouvernement, formé en pleine contestation populaire, s’est donné jusqu’à la fin du mois d’avril pour rapatrier environ 20 000 Libanais à l’étranger.
Les 800 premiers rapatriés ont atterri ces derniers jours en provenance du Golfe, d’Afrique et d’Europe sur le tarmac de Beyrouth, trois semaines après la fermeture de l’aéroport, le 15 mars.
Situation sécuritaire préoccupante, tarifs exorbitants
Dans certains pays, le quotidien est devenu intenable. Abir*, partie avec quelques amis pour un road-trip dans le sud de l’Inde, se retrouve coincée dans l’État de Goa, où son voyage s’est transformé en cauchemar.
« Des personnes nous traitaient de corona et hurlaient pour que le propriétaire de l’hôtel nous mette dehors »
- Abir, Libanaise bloquée en Inde
Le 24 mars, le Premier ministre Narendra Modi a donné quatre heures aux Indiens pour s’organiser, avant de décréter un confinement général.
L’État de Goa est allé encore plus loin : il a fermé ses frontières, mais également tous les commerces, y compris ceux de première nécessité, pendant une semaine. Les forces paramilitaires ont même été mobilisées.
« Rapidement, nous n’avions plus rien à manger », explique à MEE la Libanaise de 28 ans. Après plusieurs jours, un intermédiaire de l’ambassade du Liban les met en contact avec un ressortissant indien qui les escorte dans un petit hôtel. Au bas de l’établissement, une émeute se déclenche.
« Des personnes nous traitaient de corona et hurlaient pour que le propriétaire de l’hôtel nous mette dehors », rapporte Abir. Sur les plages de rêve du minuscule État, les touristes sont accusés d’avoir importé le virus.
« Depuis, il est très difficile de sortir. L’ambassade nous donne peu d’informations », se désespère la jeune femme.
Les vols de rapatriement, organisés par la compagnie aérienne libanaise Middle East Airlines (MEA), possédée à 99 % par la Banque centrale libanaise, seront entièrement aux frais des Libanais. La compagnie a cependant annoncé que les prix seraient réduits de 50 % pour « les étudiants qui ne peuvent pas payer le plein tarif ».
En classe économique, les billets varient de 650 dollars depuis Riyad à 1 800 dollars depuis Abidjan – soit trois à quatre fois les tarifs habituels.
Des étudiants précarisés
Le retour de certains Libanais se fait d’autant plus urgent que les restrictions bancaires se sont durcies de jour en jour dans le pays – plongeant des centaines d’étudiants à l’étranger, désormais à court de liquidités en dollars, dans de grandes difficultés. En six mois, l’économie libanaise, déjà en mauvais état, s’est totalement effondrée.
« […] j’ai fini par appeler l’ambassade car je n’avais plus assez d’argent pour manger »
- Hashem, étudiant libanais en Angleterre
« Mes parents ne peuvent plus effectuer de transferts bancaires depuis le Liban. J’ai dû quitter mon appartement, je ne peux plus payer mon dernier trimestre à l’université, j’ai fini par appeler l’ambassade car je n’avais plus assez d’argent pour manger », raconte Hashem*, un étudiant en génie civil dans la banlieue de Londres.
Le 30 mars, l’ambassade libanaise au Royaume-Uni a lancé l’initiative « Let’s Stand Together » pour venir à l’aide des étudiants démunis, en association avec la British Lebanese association (LBA) et LIFE (Lebanese International Finance Executives), une plateforme d’entraide entre financiers libanais.
D’autres capitales ont pris par la suite des initiatives identiques, comme à Paris, où l’ambassade du Liban a lancé une plateforme financière pour les étudiants en situation de précarité, en partenariat avec la Chambre de commerce franco-libanaise.
« Certains étudiants comptaient sur les vacances de Pâques au Liban pour ramener du cash avec eux. Beaucoup arrivaient encore à survivre grâce à des petits boulots en dehors de l’université, mais tout s’est brusquement arrêté avec le COVID-19 », affirme Nader Noueiri, représentant de LIFE au sein de l’initiative tripartite.
Environ 80 étudiants ont déjà reçu en moyenne 300 livres sterling (370 dollars) – davantage pour certains étudiants – afin de payer frais de scolarité, logement ou nourriture. De quoi attendre leur retour indéterminé au Liban.
* Les personnes interrogées n’ont pas souhaité communiquer leur nom de famille.
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