« Armageddon » : quand le coronavirus a frappé un hôpital de Téhéran
On aurait dit une scène « tout droit sortie d’Armageddon », raconte Hesam Khezri, médecin adjoint au service de chirurgie de l’hôpital Masih Daneshvari de Téhéran, en évoquant les premiers jours de l’épidémie de coronavirus en Iran.
« Depuis le toit de l’hôpital, on pouvait voir des dizaines d’ambulances se précipiter dans tous les sens, leurs sirènes retentissant nuit et jour. Des personnes en tenue de protection se ruaient d’un côté à l’autre pour transférer les patients sur des civières », poursuit-il.
À mesure qu’augmentait la demande en personnel pour faire face à la crise, Hesam Khezri a été transféré à l’unité de soins intensifs. On lui a diagnostiqué le COVID-19 le 1er avril.
« Tout à coup, nous étions en première ligne dans la lutte contre le corona », déclare-t-il à Middle East Eye.
« En 24 heures, entre 650 et 700 personnes ont été transportées dans notre hôpital, une tendance qui a pris de l’ampleur au cours des jours suivants »
- Hesam Khezri, médecin adjoint
« Nous avons tous été pris de court. En aucun cas, le personnel de l’hôpital n’aurait pu prédire que dans les 48 heures, plus de 20 services différents, dont 3 pour les urgences, seraient remplis de patients suspectés d’avoir le coronavirus », ajoute-il.
Le ministère iranien de la Santé a annoncé officiellement les deux premiers cas de COVID-19 dans le pays le 19 février.
Quelques jours plus tard, l’Iran est devenu l’un des épicentres mondiaux du virus. Actuellement, le pays compte plus de 91 000 cas confirmés et 5 800 décès.
Depuis le début de l’épidémie, Masih Daneshvari, un établissement spécialisé dans les maladies pulmonaires situé dans une zone montagneuse au nord de la capitale, est rapidement devenu la principale destination des patients infectés, les autorités sanitaires iraniennes y envoyant également des cas suspects.
Hesam Khezri explique que la situation a été compliquée par la panique ressentie par le personnel hospitalier, peu expérimenté face à un nouveau virus qui n’a toujours pas trouvé de traitement.
« En 24 heures, entre 650 et 700 personnes ont été transportées dans notre hôpital, une tendance qui a pris de l’ampleur au cours des jours suivants », détaille-t-il.
Alors que le nombre de cas et de décès augmentaient rapidement, d’autres hôpitaux et centres médicaux de Téhéran se sont joints aux efforts pour contenir la propagation du virus.
Le ministre iranien de la Santé, Saeed Nemaki, a récemment reconnu que la situation avait été difficile au début, mais a affirmé que le personnel médical iranien était désormais beaucoup plus expérimenté qu’il ne l’était au départ.
La première vague d’infections a effrayé la population, poussant de nombreux Iraniens, souffrant des symptômes du COVID-19 ou souhaitant seulement être testés, à se précipiter à l’hôpital.
« Beaucoup de monde aurait pu contracter le virus à l’hôpital au cours des premiers jours », remarque me Dr Khezri.
Heureusement, ajoute-t-il, la situation à Masihi Daneshvari a fini par s’améliorer, alors qu’un moins grand nombre de personnes cherchaient un traitement hospitalier et que le personnel médical acquérait une certaine expérience dans la gestion de l’afflux de patients.
Aujourd’hui, les personnes présentant des difficultés respiratoires aiguës et une toux sèche sont envoyées aux services compétents pour des tests sanguins et des scanners des poumons.
En parallèle, les malades sans problème pulmonaire sont placés en quarantaine chez eux ou dans un service isolé de l’hôpital.
« Un terrible choc »
« Je n’oublierai jamais ces jours que je traverse. [Nous voyons] des patients en bon état le matin, mais qui présentent ensuite la nuit des symptômes graves et qui meurent avant le lendemain matin », témoigne Fatemeh, une infirmière de Masih Daneshvari.
« Je n’oublierai jamais ces jours que je traverse. [Nous voyons] des patients en bon état le matin, mais qui présentent ensuite la nuit des symptômes graves et qui meurent avant le lendemain matin »
- Fatemeh, infirmière
Elle rapporte que la peur prévalait au début de la crise, en particulier lorsque certains membres du personnel ont contracté le virus.
« Mais maintenant, avec l’augmentation des cas, ce qui compte le plus pour nous, c’est de sauver des vies. »
Comme de nombreux pays, l’Iran a connu une pénurie de personnel médical en première ligne face à l’épidémie. Les infirmières et médecins ont dû passer de nombreuses et longues journées et nuits à l’hôpital.
Étant les plus exposés au risque de contagion, les professionnels de santé sont applaudis dans le monde entier pour leurs efforts et leur dévouement dans la lutte contre le virus.
Selon le ministère iranien de la Santé, 100 membres du personnel médical, notamment des médecins, sont morts jusqu’à présent après avoir contracté la maladie.
Selon Fatemeh, au début de l’épidémie, l’hôpital Masih Daneshvari souffrait d’une grave pénurie d’équipements de protection individuelle – tels que des masques, des gants et des surblouses. Le problème a été progressivement résolu, mais les dégâts étaient faits, selon elle.
« Nous avons reçu un terrible choc au début », confie-t-elle.
« Le grand nombre de cas et notre manque d’expérience dans la lutte contre la maladie ont fait que certains de nos collègues ont été infectés, ce qui a accru notre anxiété face aux patients atteints de coronavirus. »
Le personnel médical effectue des shifts de 19 heures suivis d’un repos de 48 heures ou bien travaille de 7 h à 14 h tous les jours.
Quelques jours après l’épidémie, certains médecins et infirmières à la retraite se sont joints volontairement au personnel, réduisant ainsi la pression initiale.
Faire face à la peine
Le personnel hospitalier doit parfois porter des équipements de protection pendant dix-neuf heures d’affilée, ce qui, selon Fatemeh, peut être vécu comme un cauchemar. Mais ce n’est pas le seul problème.
« Nous travaillons de nombreuses heures, plusieurs jours d’affilée et, en plus, nous devons nous isoler en raison de notre exposition au virus. Beaucoup d’entre nous n’ont pas vu nos familles depuis longtemps de peur de leur transmettre le virus », explique-t-elle.
Beaucoup parmi le personnel soignant n’ont, par exemple, pas pu passer la veille du Nouvel An iranien, Norouz, avec leur familles à cause de la nécessité de rester sur place à l’hôpital.
« Voir des patients mourir nous a aussi énormément attristés. Parfois, nous ressentons le besoin de chanter ensemble et de jouer de la musique pour surmonter notre tristesse », poursuit Fatemeh, qui prie pour que la crise se termine bientôt.
Outre le personnel médical, de nombreux autres travailleurs hospitaliers vivent cette tragédie, y compris le personnel chargé de transporter les cadavres à la morgue, ceux chargés de l’entretien des zones en quarantaine ou encore le personnel de restauration, qui s’occupe des repas des patients.
Eux aussi sont exposés au virus et doivent donc porter un équipement de protection, tout en réalisant des tâches physiquement exigeantes.
Dans l’unité des patients atteints du coronavirus de Masih Daneshvari, un membre de l’équipe de nettoyage a pris l’initiative, en plus de ses tâches quotidiennes, de parler aux patients, de les écouter et de les divertir, mais aussi d’améliorer le moral de ses collègues.
Sanctions américaines
La crise du coronavirus en Iran a été aggravée par les sanctions sévères imposées par les États-Unis, qui ont essentiellement coupé l’Iran du système bancaire international.
Alors que Washington a maintes fois répété que les médicaments et les produits humanitaires étaient exclus des sanctions, les restrictions au commerce ont, de fait, rendu de nombreuses banques et entreprises internationales réticentes à l’idée de faire des affaires avec l’Iran.
Les responsables iraniens ont rejeté les récentes allégations américaines selon lesquelles Téhéran pouvait toujours importer des médicaments et de la nourriture, affirmant qu’aucune entreprise n’était disposée à vendre des médicaments à l’Iran par crainte des mesures punitives de Washington.
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a ainsi mis en garde contre une catastrophe humanitaire si les sanctions contre l’Iran restaient en place.
De nombreux groupes de la société civile et ONG humanitaires à travers le monde, ainsi que des responsables politiques et même certains membres du Congrès américain, ont également appelé à la levée temporaire des sanctions contre l’Iran pendant sa lutte contre le coronavirus.
« Un paquet de Tamiflu est vendu à plus de 100 dollars sur le marché noir en Iran. Sans les sanctions, ce médicament coûterait moins de 5 dollars »
- Un médecin
Selon un médecin de Masih Daneshvari, toutefois, l’hôpital ne subit pas de pénurie de matériel médical, disposant d’un nombre suffisant de respirateurs et de lits en soins intensifs.
Mais le problème, relève-t-il, est la pénurie de médicaments générée par les sanctions.
« Un paquet de Tamiflu [un médicament antiviral] est vendu à plus de 100 dollars sur le marché noir en Iran. Sans les sanctions, ce médicament coûterait moins de 5 dollars », déclare-t-il à Middle East Eye sous couvert d’anonymat.
« Un autre médicament anti-coronavirus, l’Actemra [tocilizumab], est désormais commercialisé à 3 000 dollars sur le marché non officiel iranien, alors que le même médicament ne vaudrait pas plus de 100 dollars en temps normal. C’est le cas d’autres médicaments importés. »
L’hôpital Masih Daneshvari compte parmi les meilleurs établissements de santé du Moyen-Orient. Il est présidé par l’homme politique iranien de premier plan Ali Akbar Velayati.
Le risque d’une deuxième vague
La situation est différente dans d’autres hôpitaux iraniens. Selon divers rapports, de nombreux centres hospitaliers du pays manquent en effet d’équipements médicaux appropriés.
D’autres rapports indiquent que le personnel médical de nombreux hôpitaux, en particulier dans les petites villes, est confronté à une pénurie de produits de première nécessité tels que les masques, les surblouses et les lunettes de protection.
Alors que le bilan quotidien de cas signalés dans le pays a baissé au cours du mois d’avril, le nombre de personnes admises à Masih Daneshvari a considérablement diminué par rapport aux premiers jours de l’épidémie, passant, selon notre source anonyme, d’environ 650 à 150 par jour.
Mais tandis que le médecin pense que l’Iran a déjà atteint le pic de la maladie et que la tendance est à la baisse, il avertit toutefois que si les mesures de distanciation sociale et de restriction de l’activité humaine sont annulées trop tôt, l’Iran pourrait subir une nouvelle vague plus grave encore et un deuxième pic.
Des responsables ont également tiré la sonnette d’alarme, à l’instar d’Alireza Zali, chargé de la coordination de la réponse au coronavirus à Téhéran, qui a déclaré à l’agence de presse IRNA samedi que l’assouplissement « précipité » des restrictions pourrait « créer de nouvelles vagues de la maladie à Téhéran et compliquer les efforts déployés pour maîtriser l’épidémie ».
Traduit de l’anglais (original).
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