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« De nombreux cultivateurs n’ont plus la capacité de produire » : l’agriculture laissée en friche au Liban

Alors que beaucoup de Libanais ne peuvent plus se nourrir et bravent le confinement pour faire la « révolution de la faim », la situation des agriculteurs est critique. Ce secteur fragile de l’économie libanaise a le sentiment d’être abandonné par le gouvernement
Un Libanais est assis près d’un étal de fruits et légumes sur le marché du centre historique de la ville côtière de Saïda, le 6 avril 2020 (AFP)

Exposés sur les étals des épiceries libanaises, les fruits et légumes attendent un client qui se fait de plus en plus rare. Pour cause, leur prix n’a cessé d’augmenter, jusqu’à doubler, depuis octobre 2019.

Grande absente de la politique des gouvernements successifs, l’agriculture subit de plein fouet les répercussions de la crise économique.

Au Liban, les produits agricoles proviennent majoritairement des plaines fertiles du Akkar et de la Bekaa, régions parmi les plus pauvres du pays. Alors qu’ils sont environ 170 000 au Liban, le statut d’agriculteur n’existe pas.

Cela contribue à précariser le secteur, qui fait vivre environ 300 000 familles et dont une grande partie de la main-d’œuvre est constituée de travailleurs immigrés (majoritairement syriens). La plupart des agriculteurs doivent vivre à crédit, les investissements étant entièrement à leur charge.

Dans les champs libanais, la crise est profonde

« Les petits producteurs font face à de grandes difficultés parce que leur matériel est importé [comme les semences ou les pesticides]. Les prix ont augmenté jusqu’à 50 % », explique à Middle East Eye Maurice Saadé, représentant de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) au Liban.

« D’habitude, les agriculteurs achètent leur matériel à crédit aux fournisseurs, mais à cause du contrôle des capitaux [limite des retraits en dollars], ils doivent désormais payer directement en cash et en dollars. De nombreux agriculteurs n’ont plus la capacité de produire », résume-t-il.

Traduction : « Les pays doivent soutenir les petits agriculteurs et répondre aux besoins alimentaires essentiels de populations déjà vulnérables. »

Les banques libanaises rechignent à accorder des crédits agricoles, qui sont considérés risqués. Il était déjà difficile d’en obtenir avant, mais depuis la crise bancaire, il est presque impossible d’en contracter de nouveaux.

Maurice Saadé complète : « À cause du manque de crédits, les fournisseurs des agriculteurs n’ont pas les dollars nécessaires pour renouveler les stocks, ils écoulent ceux de l’année passée et n’ont pas pu importer depuis novembre. Cela pourrait être encore pire l’année prochaine. »

Face à cette situation critique, les programmes d’aide des organisations internationales se multiplient. La FAO développe actuellement, en lien avec le ministère de l’Agriculture, un programme pilote à destination de 800 agriculteurs libanais parmi les plus vulnérables pour les aider à se fournir en leur distribuant des bons d’achat qu’ils pourront dépenser auprès des fournisseurs.

L’agriculture, grande absente de la politique libanaise

L’agriculture a longtemps été la principale source de développement du pays, qui dispose de la plus importance surface de terres arables du Moyen-Orient. Elle fournissait jadis l’essentiel des denrées alimentaires consommées dans le pays. Pendant la guerre civile, les milices en ont toutefois pris le contrôle, achevant de fracturer le secteur.

« Nos indications prévoient un déclin d’environ 20 % des capacités de production agricole pour 2020 »

-  Maurice Saadé, représentant de la FAO

Depuis la fin de la guerre, l’État libanais n’a jamais mis en place de réforme structurelle. Il n’existe ainsi pas de politique de planification agricole.

Les agriculteurs libanais rencontrent aujourd’hui des difficultés à écouler leurs produits, pourtant majoritairement destinés au marché intérieur. Pour cause, l’agriculture libanaise est très peu subventionnée par l’État (0,5 % du budget étatique lui est destiné), contrairement à ses pays voisins, comme l’Égypte.

Ces derniers s’imposent d’ailleurs comme de redoutables concurrents avec des prix bradés, malgré les négociations récentes du ministre de l’Agriculture Abbas Mortada. Pour les agriculteurs libanais, il est dès lors parfois plus rentable de vendre leur terre que de la cultiver.

Traduction : « Nous avons négocié avec l’Égypte. Les importations de pommes de terre égyptiennes sont reportées et leur quantité réduite de 70 000 tonnes à 45 000 tonnes environ afin d’assurer la vente de la production locale libanaise pendant cette période. »

« Nos indications prévoient un déclin d’environ 20 % des capacités de production agricole pour 2020 », précise à MEE le représentant de la FAO.

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Alors que des millions de Libanais sont menacés d’insécurité alimentaire d’après un récent rapport de l’ONG Human Rights Watch, le Liban continue d’importer 80 % de ses besoins alimentaires.

Dans le contexte de l’épidémie mondiale de coronavirus, et alors que les Libanais sont redescendus dans la rue ces deniers jours pour protester contre leur incapacité à se nourrir, cette dépendance interroge sur les carences de l’agriculture libanaise.

Pourtant, « l’agriculture pourrait être le moteur de la reprise économique au Liban », estime Maurice Saadé. « Parce qu’avec la dévaluation de la livre, elle pourrait devenir beaucoup plus compétitive », espère-t-il.

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