Un « homme de conviction » : l’assassinat de l’analyste irakien Hisham al-Hashemi suscite chagrin et colère
Une vague de chagrin et de colère a déferlé après l’assassinat manifeste de l’analyste et conseiller politique irakien Hisham al-Hashemi à Bagdad lundi soir.
Bien qu’aucun groupe n’ait officiellement revendiqué cet acte, les spéculations se multiplient et beaucoup en Irak considèrent cet assassinat comme un signe de plus que les groupes armés peuvent agir en toute impunité pour éliminer leurs opposants dans le pays.
Des vidéos publiées sur les réseaux sociaux et les sites d’information semblent montrer des hommes armés attendre devant le domicile de Hashemi à Zayouna, où ils ont tendu leur embuscade.
Une petite procession composée de quelques amis et de membres de la famille ont porté le corps de Hashemi lors de ses funérailles mardi matin. L’homme de 47 ans a été enterré dans la ville sainte de Nadjaf.
L’ambassade américaine à Bagdad a appelé le gouvernement à rendre « promptement la justice » dans cette affaire de meurtre, alors que l’ambassade iranienne a condamné cet « acte criminel ».
Le Premier ministre irakien Mustafa al-Kadhimi a assuré qu’il « ne dormirait plus » tant que les assassins de Hashemi ne seraient pas en garde à vue et a annoncé qu’une rue de Bagdad serait baptisée à son nom.
« Ceux qui [répandent] le sang irakien feront face à la justice, et nous n’autoriserons jamais la politique du chaos et de la mafia », a-t-il déclaré lors d’une réunion de son gouvernement.
De nombreux journalistes, analystes et politiques qui ont travaillé avec Hashemi au fil des ans ont salué sa parfaite connaissance des affaires irakiennes, et plus particulièrement son travail sur les groupes extrémistes armés tels que l’État islamique (EI).
Hanar Marouf, analyste irakienne qui a qualifié Hashemi d’« ami proche », a confié à Middle East Eye être toujours choquée par la situation.
« C’était une personne très dévouée à son travail, une personne indépendante qui voyait les problèmes avec les yeux d’un Irakien loyal », a-t-elle dit.
« C’était une personne très dévouée à son travail, une personne indépendante qui voyait les problèmes avec les yeux d’un Irakien loyal »
- Hanar Marouf, analyste
« Il connaissait quasiment toutes les personnalités politiques et entretenait avec elles une amitié professionnelle très respectée. Sa mort est une grande perte pour l’Irak, où une personnalité telle que Hisham est peu susceptible de voir le jour. »
Pour le journaliste Stéphane Kenech, qui a travaillé avec Hisham al-Hashemi en Irak et en Europe, l’analyste était une « source essentielle d’informations pour de nombreux journalistes occidentaux ».
« Je me rappelle un homme brillant, toujours souriant, un homme de convictions », a-t-il déclaré à MEE.
Lawk Ghafuri, correspondant en Irak pour le média kurde Rudaw, a pour sa part indiqué à MEE qu’al-Hashemi était un « homme très intelligent et très futé », un véritable défenseur du mouvement contestataire contre le gouvernement irakien et de ses préoccupations.
« Il me disait constamment de donner la parole aux manifestants et de faire entendre leur voix », a-t-il rapporté.
Menaces de mort
Hisham al-Hashemi avait des ennemis en Irak, tant au sein de groupes tels que l’EI que d’organisations paramilitaires – dont beaucoup sont soutenues par l’Iran – qu’il critiquait souvent.
En novembre dernier, il avait disparu des médias quelques temps après avoir été menacé par le groupe armé Kataeb Hezbollah, selon le Washington Post.
Depuis l’arrivée de Kadhimi au pouvoir en mai, ses apparitions s’étaient cependant faites plus fréquentes.
« Tout commence par des menaces effrontées qu’ils profèrent sur les forums publics tels que Facebook et Twitter, puis avec le meurtre lui-même »
- Ruba al-Hassani, analyste
Un journaliste qui a parlé à Hashemi moins de deux semaines avant sa mort a également déclaré de manière anonyme au journal Alhurra lundi que Hashemi avait été directement menacé par le porte-parole des Kataeb Hezbollah, Abou Ali al-Askari, qui lui aurait dit : « Je te tuerai chez toi. »
Sur les réseaux sociaux, des comptes liés aux Kataeb Hezbollah ont semblé saluer le meurtre de l’analyste lundi soir.
Certains ont fait circuler une fausse capture d’écran de l’agence de presse du groupe État islamique, Amaq, selon laquelle le groupe aurait revendiqué l’attaque.
Le Kataeb Hezbollah est sous pression ces dernières semaines après une perquisition sur l’une de ses bases par le service irakien de lutte contre le terrorisme, conduisant à l’arrestation de quatorze de ses membres.
Ce raid est survenu en réaction à une série d’attaques à la roquette contre les intérêts américains dans le pays, attribués par Washington à des groupes armés soutenus par l’Iran.
Bien que cette opération ait été la tentative la plus manifeste de sévir contre une force paramilitaire en Irak à ce jour, tous les détenus sauf un ont été libérés quelques jours plus tard.
« Les groupes armés sont capables d’atteindre de nombreuses personnes. Tout commence par des menaces effrontées qu’ils profèrent sur les forums publics tels que Facebook et Twitter, puis avec le meurtre lui-même », explique Rubin al-Hassani, chercheuse universitaire en sociologie du droit à la Osgoode Hall Law School au Canada.
« Le simple fait qu’ils s’en tirent malgré les menaces publiques montre qu’ils sont confiants quant au fait qu’aucun gouvernement ou responsable de la sécurité les empêchera d’aller au bout des choses en passant au meurtre. »
Les assassinats de politiciens et de militants sont monnaie courante en Irak depuis l’invasion de 2003 qui a renversé Saddam Hussein.
Au cours des deux dernières années, les activistes hostiles au gouvernement ont été particulièrement visés, des dizaines de disparitions souvent inexpliquées et de meurtres se sont produits à Bagdad, Bassorah et dans d’autres villes du pays.
Dans l’un des derniers articles qu’il a rédigés avant sa mort, Hashemi prévenait que les factions armées possédaient « des ressources économiques, militaires médiatiques et sociétales qui les rendent capables de dissuader quiconque tente de menacer leurs intérêts ».
Il expliquait qu’il serait dangereux que les milices en arrivent à croire que la tentative de répression menée par Kadhimi constituait « une crise qui menace leur survie ».
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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