Casino du Liban : à court de liquidités, le pays du Cèdre pourrait-il céder son attraction iconique ?
L’iconique Casino du Liban était autrefois l’endroit où les plus riches de la région venaient jouer. Adossé aux falaises donnant sur la Méditerranée, à 20 kilomètres au nord de Beyrouth, il a été surnommé le Monte Carlo du Moyen-Orient.
Bien que très apprécié et considéré comme un monument lors des jours meilleurs au Liban, le casino, qui est en partie détenu par l’État, pourrait bientôt être privatisé.
L’économie libanaise est en chute libre. La monnaie a perdu environ 80 % de sa valeur ces derniers mois et les dirigeants cherchent des moyens de lever des liquidités, y compris par la vente de certains des actifs les plus prisés de l’État, comme le casino.
À l’image du reste du pays, le Casino du Liban émerge d’un confinement dû au coronavirus. Un stand de désinfectant accueille les visiteurs à l’entrée, et des hommes en combinaison s’affairent à l’extérieur, se préparant à une nouvelle tournée de désinfection.
« Les actifs ont un potentiel inexploité. Les gérer correctement peut débloquer d’importantes sources de recettes pour le Liban »
- Mohamad Faour, expert financier
Les portraits d’anciens chefs d’État libanais et de célébrités internationales dans le hall d’entrée placent le casino au centre de l’histoire du pays et de la région.
Le Casino du Liban a accueilli une flopée de hauts dirigeants et de célébrités, notamment les shahs d’Iran, le roi Abdallah de Jordanie, et même Oussama ben Laden.
Il était considéré comme « impressionnant sur le plan culturel, mais aussi social », explique à Middle East Eye Mona Fawaz, professeure d’urbanisme et d’aménagement du territoire à l’Université américaine de Beyrouth.
Outre le fait qu’on y faisait étalage de son statut social et profitait d’événements culturels, c’était aussi un lieu pour faire des affaires et « rencontrer des gens importants », ajoute-t-elle.
En fait, indique l’universitaire, le réseautage d’affaires au Casino du Liban était essentiel pour lancer des projets de développement majeurs dans le pays, comme à Hay al-Sellom, le plus grand quartier résidentiel informel du pays juste au sud de Beyrouth.
« Dans les années 1950, [le promoteur] savait qu’il devait se rendre là-bas pour rencontrer des gens importants afin d’obtenir des services et autres dans le quartier », raconte Mona Fawaz. « C’est ainsi qu’il a rencontré tous ces gens importants pour obtenir le goudronnage et d’autres choses dans ce quartier. »
Rien de tel n’a toutefois été possible ces derniers mois. Le coronavirus a engendré une fermeture forcée pendant 80 jours, et bien que des dizaines d’hommes et de femmes portant des masques puissent être vus jouer aux machines à sous, les restaurants du casino sont toujours fermés, comme le sont d’autres secteurs de jeu.
Le retour des recettes serait pourtant bienvenu au Casino du Liban, ainsi qu’au gouvernement.
Le Casino du Liban, détenu à 52 % par une société par actions avec une participation du gouvernement, est une vache à lait pour l’État libanais.
La moitié de toutes les recettes sont versées au gouvernement avant qu’un seul impôt ou salaire ne soit versé. Après cela, une partie du bénéfice revient à la part du gouvernement dans la société par actions par l’intermédiaire du ministère des Finances et de la banque centrale, respectivement.
Les 15 % et 32 % restants appartiennent respectivement à Abela Tourism and Development Company et à des investisseurs privés anonymes.
Après avoir ouvert en capacité réduite le 1er juin, lorsque le confinement lié au COVID-19 s’est assoupli au Liban, c’est désormais une course contre la montre pour générer de nouvelles recettes.
Le casino travaille sur le lancement d’une plate-forme de jeu en ligne et l’ouverture d’une salle de bingo pour diversifier sa clientèle, alors que la situation économique continue de se dégrader.
« Le [jeu] en ligne peut être une source d’argent frais dans le pays », assure à MEE Roland Khoury, président et directeur général du casino, avec un optimisme prudent.
« C’est particulièrement le fait de la diaspora libanaise ; ceux qui veulent jouer et parier peuvent aller sur la plate-forme du Casino du Liban. »
Le coronavirus n’a pas été le seul malheur du casino.
Ses recettes ont connu une chute vertigineuse de 12 millions de dollars moins d’un mois après le début du soulèvement populaire né en octobre dernier d’une crise monétaire, de la corruption endémique, d’un chômage élevé et de la stagnation politique.
Khoury avait alors déploré la diminution de la clientèle due selon lui aux barrages routiers, une tactique couramment utilisée par les manifestants qui rendait difficile l’arrivée du personnel du casino et des clients.
Il n’a pu fonctionner que partiellement jusqu’à ce que le président Michel Aoun appelle le PDG en mars, lui demandant de fermer le casino pour empêcher la propagation du COVID-19, quelques jours avant que le pays ne se confine.
Avec l’assèchement des recettes, les responsables commencent à se demander s’il ne serait pas préférable de vendre tout simplement.
« Microcosme du Liban »
Assis dans son bureau surplombant les contreforts verdoyants du mont Liban et la baie de Jounieh, Khoury confie à MEE que gérer le casino était son « rêve », mais que la période précédant son arrivée avait été entachée par la mauvaise gestion.
« Mon premier jour, j’ai voulu partir – vraiment », dit-il en riant. « Il y avait des seaux en plastique rouge pour collecter l’eau des climatiseurs partout, comme ceux que votre mère utilise pour nettoyer les sols à la maison. »
Les six années qui ont précédé l’arrivée de Khoury au Casino du Liban ont été marquées par la chute libre des recettes, la flambée des coûts et une baisse du tourisme, en particulier parmi les Libanais aisés qui tentaient souvent leur chance au casino.
« 80 % de notre chiffre d’affaires provient de 15 % de nos clients », explique Khoury. « Ces 15 % sont principalement des touristes et des acteurs majeurs venant de l’étranger. »
Mais l’administration précédente du Casino du Liban a fait également l’objet d’allégations de corruption endémique se manifestant par l’ingérence politique et le népotisme dans le processus d’embauche du personnel. En février, un mandat d’arrêt a été émis par contumace contre l’ancien président Hamid Kreidy, qui s’est depuis enfui en Suisse à la suite d’une enquête pour corruption remontant à 2017.
Il semble que, comme dans beaucoup d’institutions libanaises, l’embauche reposait sur le favoritisme politique, certains rapports affirmant que de nombreux employés ne se présentaient que pour recevoir leur salaire. Le président a admis qu’il s’agissait d’un problème grave, décrivant le casino comme un « microcosme du Liban ».
« Tout le monde était ici par le biais du wasta [piston] », rapporte Roland Khoury, admettant qu’il reste environ 400 à 450 employés inutiles. Il n’a pas l’intention de les licencier, espérant que les projets visant à générer plus de recettes, tels que les salles de bingo et les jeux en ligne, leur permettent d’avoir des rôles plus productifs.
Cela dit, Khoury a su retourner cette projection financière négative : le Casino du Liban a généré 194 millions de dollars de revenus en 2018 – loin des quasi 282 millions de dollars de 2011, mais un retour à une tendance positive pour la première fois en cinq ans.
Mais celle-ci a été brusquement stoppée, ne faisant qu’encourager les appels à la vente.
En avril, le ministère des Finances a lancé un processus visant à évaluer les biens de l’État au taux actuel du marché, mais le président du casino pense que c’est une très mauvaise idée.
Il appelle les économistes et ceux qui souhaitent la vente du casino à « avoir une conversation », ajoutant qu’ils ne sont pas conscients des bénéfices financiers que rapporte l’établissement à l’État, qui « bénéficie des impôts et des bénéfices ».
Vente au rabais
Roland Khoury n’est pas le seul à s’opposer à la vente du Casino du Liban et d’autres propriétés de l’État.
Mohamad Faour, chercheur postdoctoral en finance à l’University College de Dublin, affirme que les vendre dans le climat financier actuel serait une « vente au rabais ».
« [Ils] finiraient par être vendus à des prix beaucoup plus bas », explique-t-il à MEE. « Compte tenu de la corruption au Liban, [les biens vendus] seraient également susceptibles d’aller à des copains. »
Faour ajoute que ce qui importe réellement est le problème sous-jacent de la mauvaise gestion qui, selon lui, fait obstacle à la maximisation des recettes dans un pays pourtant à court de liquidités.
« Ces actifs ont un potentiel inexploité », estime le chercheur. « Les gérer correctement peut débloquer d’importantes sources de recettes pour le Liban […] Si la privatisation de certains actifs se produit plus tard pour une raison quelconque, ce sera à des conditions bien plus avantageuses financièrement qu’aujourd’hui. »
Mis à part les chiffres, Khoury pense que le Casino du Liban est unique en son genre dans toute la région et représente une composante distinctive de l’identité de l’industrie touristique libanaise.
« Qu’est-ce qui nous distingue encore des États régionaux et arabes ? Il ne nous reste que deux choses dans ce pays en matière de tourisme », estime le président.
« Vous avez le tourisme où vous pouvez aller à la montagne et voir de belles régions qui n’ont rien à voir avec les autres pays arabes, et vous avez le casino… nous devons donc prendre soin du casino. »
« Notre environnement est en train d’être détruit, et maintenant la même chose pourrait être faite avec le casino », déplore son président, tout en montrant de la main le paysage pittoresque de montagnes vallonnées visible depuis la fenêtre de son bureau. « S’il vous plaît, laissez-nous quelque chose dans notre pays qui nous permette de nous démarquer de ce qui nous entoure. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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