« Personne ne peut le voir » : les avocats d’un prince saoudien emprisonné tirent la sonnette d’alarme
Les avocats représentant l’ancien prince héritier d’Arabie saoudite sont de plus en plus inquiets concernant son bien-être, affirmant qu’on ne sait pas où il se trouve et que le gouvernement empêche le médecin personnel et la famille du prince Mohammed ben Nayef de lui rendre visite.
Les avocats de Mohammed ben Nayef, qui se sont confiés au Financial Times sous couvert d’anonymat, ont affirmé que leur client reste introuvable depuis que les forces de sécurité l’ont arrêté lui, son frère – le prince Nawaf –, et son oncle – le prince Ahmed ben Abdelaziz – au cours d’une grande purge parmi les membres importants de la famille royale saoudienne au mois de mars.
« Ils ne savent pas où il est détenu, toutes les conversations téléphoniques [avec le prince] sont très superficielles, c’est une situation désespérée », ont déclaré les avocats au Financial Times. « Personne ne peut le voir. [Les princes] n’ont pas été officiellement inculpés. »
Accusés de préparer un coup d’État, les princes ont été arrêtés au nom de la concurrence potentielle qu’ils représentent face au prince héritier Mohammed ben Salmane, également connu sous ses initiales MBS, dont l’ascension rapide au pouvoir a secoué le processus de succession traditionnel.
Mohammed ben Nayef a été évincé par MBS, son jeune cousin, lors d’une révolution de palais en juin 2017. À cette époque, on pensait que Ben Nayef, qui souffrait de problèmes de santé, avait été assigné à résidence après avoir été privé de toute autorité.
Avant son éviction en 2017, Mohammed ben Nayef, 60 ans, était considéré comme le prétendant au trône le plus sérieux. Il contrôlait les forces de sécurité du pays, avait tissé des liens étroits avec les agences de renseignement occidentales et restait populaire parmi les conservateurs écartés par le prince héritier.
Au début, la famille du prince Ben Nayef était régulièrement en contact téléphonique avec l’ancien prince héritier, mais les communications sont devenues de plus en plus limitées, ont indiqué ses avocats au Financial Times en ajoutant que selon eux, ses appels étaient surveillés par le gouvernement saoudien.
Le prince Nawaf et le prince Abdelaziz participaient ensemble à une retraite dans le désert lorsqu’ils ont été arrêtés en mars. Le prince Nawaf a été libéré ce mois-ci, selon les avocats qui ont parlé au Financial Times, mais aucune information n’a filtré concernant l’endroit où se trouvent les deux autres membres de la famille royale.
Avant son éviction en 2017, Mohammed ben Nayef, 60 ans, était considéré comme le prétendant au trône le plus sérieux
Les avocats sont particulièrement inquiets à propos du bien-être de Ben Nayef depuis que l’un de ses anciens conseillers, Saad al-Jabri, a engagé des poursuites aux États-Unis au début du mois, accusant MBS d’avoir envoyé l’« escadron du Tigre » pour l’assassiner au Canada il y a deux ans.
En guise de remontrance directe et rare à l’Arabie saoudite, le département d’État américain a fait l’éloge de Jabri après le lancement des poursuites.
Le département d’État l’a qualifié de « précieux partenaire pour les États-Unis en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme », ajoutant que la coopération du prince en matière de renseignement avec les États-Unis avait « contribué à sauver des vies américaines et saoudiennes ».
Dans sa plainte, Jabri accuse également MBS de détenir deux de ses enfants – Sarah, 20 ans, et Omar, 22 ans – depuis mars. Tous deux sont détenus au secret et le gouvernement saoudien cherche apparemment à faire pression sur Jabri pour qu’il rentre au royaume.
Moyens de pression
Le mois dernier, Interpol a refusé d’extrader l’ancien agent des renseignements depuis le Canada à la demande de l’Arabie saoudite.
La famille de Jabri a également exprimé son inquiétude pour le prince et ses enfants.
Alors que la famille Jabri venait de faire part de ses inquiétudes à propos de leurs enfants, le prince Ben Nayef a formellement requis que ses propres relevés de compte lui soient envoyés – une requête faite sous contrainte craignent ses avocats.
« La situation actuelle [du prince Mohammed ben Nayef] – et le fait qu’aucune source n’ait été en mesure de vérifier son bien-être – suggère que toutes les instructions supposées venir de lui ne doivent pas être suivies d’effet car elles ne paraissent pas émaner légitimement de [lui] de son plein gré », indiquent les avocats cités par le Financial Times.
Les représentants légaux craignent également que l’épouse et deux filles du prince Ben Nayef – qui ne peuvent quitter l’Arabie saoudite – puissent servir de moyen de pression sur l’ancien prince héritier.
Les autorités saoudiennes n’ont pas commenté publiquement l’affaire Jabri ni celle du prince Ben Nayef.
Une personne proche de la cour royale a déclaré que selon les autorités saoudiennes, Jabri dirigeait une équipe au ministère de l’Intérieur qui aurait gaspillé 11 milliards de dollars, dont 4 à 6 milliards qui auraient été détournés et sortis du pays, a rapporté le Financial Times.
Cette personne a déclaré que le prince Ben Nayef ne faisait pas l’objet d’allégations similaires.
La famille de Jabri a démenti les allégations de corruption à son encontre affirmant que ces allégations étaient motivées par des considérations politiques.
Jabri accuse quant à lui le roi Salmane et son fils de se servir dans les fonds destinés à la lutte contre le terrorisme du ministère de l’Intérieur, y prélevant des dizaines de millions de riyals saoudiens chaque mois.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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