Attentat de la rue des Rosiers : quand Paris négociait « la paix » avec Abou Nidal
Des documents provenant d’archives des services du Premier ministre et liés à l’attentat de la rue des Rosiers en 1982 accréditent l’idée d’un accord secret entre les renseignements français et le groupe palestinien présumé coupable de l’attaque, a appris l’AFP lundi auprès d’avocats de victimes.
Six personnes avaient été tuées et vingt-deux blessées lors de cet attentat perpétré dans le quartier juif historique de Paris le 9 août 1982, aux revendications peu claires. Quatre suspects sont toujours réclamés par la justice française.
Le juge d’instruction chargé de l’enquête s’intéresse aux déclarations réitérées d’Yves Bonnet, patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST, ex-DGSI) entre novembre 1982 et 1985, selon lequel un « marché non écrit » avait été conclu à l’époque avec le groupe palestinien Abou Nidal, mouvement dissident de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), garantissant à ses membres l’absence de poursuites en France en échange de leur engagement à ne plus y commettre d’attentats.
Les menaces du groupe Abou Nidal
Selon le quotidien français Le Parisien, qui a révélé l’information lundi, des documents en provenance du cabinet du Premier ministre Michel Rocard et versés au dossier d’instruction sont venus accréditer l’existence d’un tel accord.
Parmi ces documents, un compte-rendu d’un « entretien avec le Fatah-Conseil révolutionnaire », l’autre nom du groupe Abou Nidal, datant d’octobre 1985 et qui évoque, selon Le Parisien, « noir sur blanc un accord passé avec le groupe terroriste et qui s’insurge du ‘’non-respect des engagements antérieurs’’ de la France ».
Quelle concession fait alors la France pour éviter « une action terroriste de type rue des Rosiers » ?
Les documents déclassifiés en août dernier des archives du Premier ministère démontrent l’inquiétude des autorités françaises face à la « déception » du groupe Abou Nidal qui s’estime délié, en octobre 1985, de sa « promesse de considérer [le territoire français] comme un sanctuaire ».
Quelle concession fait alors la France pour éviter « une action terroriste de type rue des Rosiers » promise par le groupe Abou Nidal dans « les 48 heures » ?
Selon une lettre manuscrite émanant du Premier ministère et remise récemment à la justice, « la contrepartie demandée par cette organisation est la libération des deux détenus [Husni Abdul Quadir] Hatem et [Assad] Kayed ». Les deux Palestiniens ont été condamnés en 1978 à quinze ans de prison pour l’assassinat d’Ezzedine Kalak, cadre de l’OLP à Paris, et ils seront libérés en février 1986.
« Assurer la sécurité des Français »
Les révélations antérieures d’Yves Bonnet sont ainsi corroborées. En janvier 2019, l’ancien directeur de la DST avait déclaré au juge chargé d’enquêter sur l’attentat de la rue des Rosiers : « On a passé une sorte de deal verbal en leur disant : ‘’Je ne veux plus d’attentat sur le sol français et en contrepartie, je vous laisse venir en France, je vous garantis qu’il ne vous arrivera rien’’. »
« Un pacte oral ignoré des nombreux enquêteurs et magistrats qui se sont succédé durant trois décennies sur ce dossier insoluble. Sur procès-verbal, Yves Bonnet confirme un ‘’engagement donné aux représentants d’Abou Nidal de ne pas être poursuivis en France’’ », affirmait alors Le Parisien.
Contacté par le journal en août 2019, « Yves Bonnet assume ce pacte, destiné selon lui à ‘’assurer la sécurité des Français’’ ».
D’après ces révélations en 2019 au quotidien parisien, l’ancien maître espion organise une rencontre, peu après l’attentat de la rue des Rosiers, entre ses collaborateurs et des membres du groupe Abou Nidal.
« Selon [Yves Bonnet], il ne s’agissait pas des tueurs de la rue des Rosiers, mais de leurs ‘’comparses’’ », précise Le Parisien.
Les termes de l’accord scellé lors de cette rencontre sont les suivants : « Les membres d’Abou Nidal réfugiés à l’étranger sont autorisés à ‘’venir en France, sans risque’’ » d’être poursuivis ; en contrepartie, ils s’engagent ‘’à ne se livrer à aucune action violente’’ », indique le journal.
Satisfait, Yves Bonnet assurait au Parisien : « Et ça a marché, il n’y a plus eu d’attentats à partir de fin 83, en 84 et jusqu’à fin 1985 […] Après, qu’ils commettent des attentats en Italie, par exemple, ça ne me regardait pas tant qu’il n’y avait rien sur le sol français. »
Manque de volonté politique ?
« En prenant connaissance des documents, on comprend qu’il y a un accord », confirme à l’AFP l’avocat Avi Bitton, qui défend trois anciennes employées du restaurant Jo Goldenberg, visé par cette attaque à la grenade et aux pistolets-mitrailleurs.
« Ce que nous révèlent les derniers documents, c’est que malheureusement la volonté politique est peut-être insuffisante quand on voit qu’il y a probablement eu une forme de marché conclu avec les terroristes », ajoute-t-il.
Alors que la justice française a délivré des mandats d’arrêt internationaux contre quatre suspects, dont deux sont réfugiés en Jordanie et un en Norvège, « on peut craindre que ces demandes d’extradition […] soient de pure forme [et] que le gouvernement n’exerce pas la pression diplomatique nécessaire », s’inquiète l’avocat.
Face à ces « preuves de l’accord », « le citoyen est choqué », tranche maître Romain Boulet, avocat de la sœur d’une victime, estimant que la priorité, c’est « l’exécution des mandats d’arrêt et la tenue d’un procès ».
« On a des noms, des adresses, il faut aller les chercher », demande-t-il.
L’accord entre les autorités françaises et le groupe Abou Nidal « permet sans doute aussi de comprendre les difficultés rencontrées durant plus de 30 ans par la police et la justice pour arrêter les auteurs de la tuerie », estime Le Parisien.
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