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Boris Johnson est un désastre pour la Grande-Bretagne – et il le sait

L’époque est bien trop grave pour les joyeuses filouteries et l’exubérance vaine qui sont les marques de fabrique du Premier ministre britannique. La Grande-Bretagne a besoin d’un leader sobre
Le Premier ministre britannique Boris Johnson à la fin d’une conférence de presse virtuelle sur la situation actuelle vis-à-vis du coronavirus, le 9 septembre (Reuters)

Il y a vingt ans, Boris Johnson m’a embauché en tant que correspondant politique au magazine The Spectator. Travailler pour lui était une joie, c’était un bon rédacteur en chef et un collègue loyal avec l’esprit le plus vif que j’aie jamais rencontré. 

Ces derniers mois, j’ai tenté de réconcilier l’image de l’individu généreux et stimulant que je connaissais si bien avec celle du Premier ministre britannique d’aujourd’hui. 

Un Premier ministre qui ment éhontément au Parlement, qui a induit la reine en erreur sur la prorogation du Parlement, qui mène une guerre permanente contre l’indépendance de la fonction publique et qui a tourné le dos aux obligations internationales de la Grande-Bretagne en s’engageant à dénoncer son propre accord de retrait avec l’Union européenne.

Deux Johnson

Il est impossible de faire coller le rédacteur en chef du Spectator d’il y a vingt ans avec le Premier ministre britannique d’aujourd’hui.

Comment le Johnson du Spectator est-il devenu cet homme qui jette à la poubelle la réputation de la Grande-Bretagne en déchirant des accords internationaux ?

C’est comme si on parlait de deux personnes différentes. Le Johnson du Spectator était pour l’État de droit, les institutions britanniques, l’Union, l’ordre international et pour la politique honnête qu’il subvertit au quotidien en tant que Premier ministre.  

À l’époque, il avait une excellente compréhension de la politique – qui dédaignait les solutions simples. Nous avions des discussions lucides sur des sujets complexes, que ce soit lors des conférences hebdomadaires ou lors des fameux déjeuner du Spectator.

Boris était enjoué, libéral, optimiste et pragmatique. Alors comment le Johnson du Spectator est-il devenu cet homme qui jette à la poubelle la réputation de la Grande-Bretagne en déchirant des accords internationaux ?

Je reconnais que les lecteurs du Moyen-Orient ont pu rire un bon coup à ce stade, étant donné le passif de la Grande-Bretagne dans la région. La trahison des Arabes après la Première Guerre mondiale. L’invasion de l’Irak. L’atteinte à la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU en Libye. Les « extraordinary rendition » et la torture. Les yeux fermés sur les violations par Israël du droit international et la complicité dans les crimes de guerre saoudiens au Yémen.

Le leadership politique britannique

Jamais auparavant on ne s’était retrouvés dans une telle situation : un ministre du cabinet a assuré devant la Chambre des communes qu’il savait que sa façon de procéder était illégale, mais qu’il allait le faire quand même.

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Brandon Lewis, le secrétaire d’État pour l’Irlande du Nord, l’a fait il y a deux semaines lorsqu’il a confirmé que le nouveau projet de loi visant à passer outre l’accord de retrait du Brexit « enfreint le droit international de façon spécifique et limitée ». Même l’ancien Premier ministre Tony Blair avait dû produire une déclaration de son procureur général prétendant que l’invasion de l’Irak était légale.

Cette nouvelle politique consistant à enfreindre délibérément la loi fait voler en éclats notre réputation. Pourquoi un quelconque pays signerait-il encore un quelconque document avec la Grande-Bretagne ? Hier encore, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères Dominique Raab sermonnait l’Iran, l’exhortant à respecter le droit international, à « se conformer à ses engagements nucléaires et à préserver le JCPOA [accord sur le nucléaire] ». Grotesque. 

Quelle hypocrisie puante de la part du secrétaire d’État aux Affaires étrangères britannique. Celle-ci a d’ailleurs été immédiatement relevée par le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, qui a pris à part le pitoyable Raab pour l’informer que la violation de l’accord de retrait suggérée par le Royaume-Uni était « inacceptable ».

Un manifestant contre le Brexit agite l’Union Jack et un drapeau de l’Union européenne devant les chambres du Parlement à Londres (AFP)
Un manifestant contre le Brexit agite l’Union Jack et un drapeau de l’Union européenne devant les chambres du Parlement à Londres (AFP)

En début d’année, la Grande-Bretagne a condamné la détention par l’Iran de l’ambassadeur britannique à Téhéran sur la base du droit international. Nous avons utilisé le droit international pour condamner l’annexion de la Crimée par la Russie et les attaques contre les civils à Idleb en Syrie. Pourtant, Boris Johnson, un homme intelligent, s’est obstiné et a délibérément jeté à la poubelle la réputation de la Grande-Bretagne dans le monde. Pourquoi ?

Ce qui suit n’est que spéculation éclairée. Personne ne peut se plonger dans l’âme d’un autre humain et être certain de ce qui le guide. Mais voilà ma tentative pour réconcilier le rédacteur en chef inspirant pour lequel j’ai travaillé il y a vingt ans avec le hors-la-loi malhonnête du 10 Downing Street d’aujourd’hui. 

Qui dirige la Grande-Bretagne ?

Au début de l’année dernière, Johnson est entré en négociations avec Michael Gove et Dominique Cummings, les organisateurs de la campagne pour le Brexit, Vote Leave. Ils allaient le propulser à Downing Street, lui permettant de concrétiser son ambition de devenir Premier ministre. 

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En échange, Johnson abandonnerait le conservatisme traditionnel qu’il soutenait au Spectator. Cummings a été installé à Downing Street en tant que « conseiller principal », tandis que Gove dirigerait le gouvernement. J’ai expliqué certains éléments de cet arrangement dans un éditorial pour Middle East Eye en juillet.  

Johnson est en poste. Gove et Cummings sont au pouvoir. Notez qu’hier, c’est Gove – et non Johnson – qui a discuté avec l’Union européenne. C’est la politique de Gove et Cummings, pas celle de Johnson. Tous les politiciens sont en quelque sorte des acteurs à la recherche d’un scénariste. Johnson a trouvé son scénariste en Cummings.

Au fond, ce pacte faustien rend Johnson malheureux. Regardez les récentes photos de lui, on peut voir la tristesse dans ses yeux, qui ces dernières semaines commencent à exprimer sa panique. 

Son gouvernement est un désastre national mais, rappelez-vous, c’est également une tragédie individuelle pour Johnson.  

La prise de conscience 

Johnson est terrifié. Il est en train de détruire la Grande-Bretagne. Il le sait. Homme d’une grande intelligence, il va sentir que l’histoire le condamnera comme l’un des pires Premiers ministres de la Grande-Bretagne. Il ne s’agit pas seulement du Brexit. La crise du COVID-19 est pire, son gouvernement envoie des messages chaotiques et observe le pire bilan en Europe.

Selon la formule du Daily Mail, l’un des plus grands soutiens du Premier ministre, « l’approche du gouvernement semble confusément embrouillée ». Restez chez vous. Retournez travailler. Soyez vigilants. Ne voyez pas plus de six personnes. Mangez au restaurant pour aider l’économie. »

Le parti conservateur pourrait, le moment venu, agir pour faire partir Johnson, comme il l’a fait auparavant avec des dirigeants bien meilleurs que lui

Johnson ne va pas durer. Il pourrait s’en aller de son propre chef, même si Gove et Cummings vont lutter pour le garder. C’est compréhensible. Il est leur instrument et leur seul accès au pouvoir, alors il sert leurs objectifs.

Le parti conservateur pourrait, le moment venu, agir pour le faire partir, comme il l’a fait auparavant avec des dirigeants bien meilleurs que Johnson. D’une façon ou d’une autre, il s’en ira. L’époque est bien trop grave pour les joyeuses filouteries et l’exubérance vaine, marques de fabrique de Johnson.

La peur, l’anxiété et la véritable souffrance sont bien plus répandues, tandis que le désastre économique et la désintégration nationale se profilent à l’horizon. La nation voudra un leader sobre en ces temps graves et terribles. 

- Peter Oborne a été élu meilleur commentateur/bloggeur en 2017 et désigné journaliste indépendant de l’année 2016 à l’occasion des Online Media Awards pour un article qu’il a rédigé pour Middle East Eye. Il a reçu le prix de Chroniqueur britannique de l’année lors des British Press Awards de 2013. En 2015, il a démissionné de son poste de chroniqueur politique du quotidien The Daily Telegraph. Parmi ses ouvrages figurent Le triomphe de la classe politique anglaise, The Rise of Political Lying et Why the West is Wrong about Nuclear Iran.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Peter Oborne won best commentary/blogging in both 2022 and 2017, and was also named freelancer of the year in 2016 at the Drum Online Media Awards for articles he wrote for Middle East Eye. He was also named as British Press Awards Columnist of the Year in 2013. He resigned as chief political columnist of the Daily Telegraph in 2015. His latest book is The Fate of Abraham: Why the West is Wrong about Islam, published in May by Simon & Schuster. His previous books include The Triumph of the Political Class, The Rise of Political Lying, Why the West is Wrong about Nuclear Iran and The Assault on Truth: Boris Johnson, Donald Trump and the Emergence of a New Moral Barbarism.
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